&&000 FRANCE 6TH GRADE 10S FR-6TH-90SA.TXT Two texts used by the French School of NYC N=18 pages, file saved in UTF-format. &&111 Le voleur de chapeaux Tout était silencieux dans l'appartement. =Soudain, on entendit une toux discrète. «Bonjour, dit une voix, je ne vous ai pas encore salués. Permettez-moi de me présenter. J'appartenais à un magicien et j'ai été volé ce matin dans le vestiaire d'un restaurant. C'était le haut-de-forme qui parlait. - Volé dans un vestiaire ? s'indigna un chapeau melon. C'est tout à fait choquant. - C'était un bon restaurant ? demanda une toque de cuisinier. - Je ne sais si mon maître a été satisfait de son repas, répondit le haut-de-forme, mais il a dû en tout cas être fort affligé de ma disparition, car il tenait beaucoup à moi. - Il est étonnant que vous n'ayez point été dérobé de la même façon que nous, remarqua le chapeau melon. - C'est-à-dire ? demanda le haut-de-foilue. - C'est-à-dire ramassés sur le trottoir après que le vent nous eut emportés, précisa le chapeau melon. - Ainsi donc vous avez tous été volés ? - En quelque sorte, chanta un tyrolien. - Vous apparteniez à un magicien ? demanda un chapeau à fleurs fort coquet. Vous avez dû avoir une vie bien passionnante. - En effet, reconnut le haut-de-forme en se rengorgeant', je n'ai pas souvent eu l'occasion de m'ennuyer. J'ai connu maints succès, je me suis fait applaudir dans toutes les capitales du monde, j'ai fasciné des milliers de spectateurs. - Qu'il est beau, murmura une toque de fourrure, et comme il parle bien ! - Allons donc, c'est un bellâtre2 et un hâbleur3, protesta le vieux gibus que Prosper avait posé à côté d'elle pour faire place au haut-de-forme. Et en plus, on m'a chassé de mon étagère que j'aimais tant pour le mettre à ma place. - Taisez-vous, vous n'êtes qu'un vieux jaloux, répondit la toque de fourrure. - Pourtant, reprit le haut-de-forme, à la réflexion, je ne suis pas fâché d'avoir été volé. - Comment cela ? s'étonna une casquette. - Mon maître, poursuivit le haut-de-forme, s'est servi de moi pendant des années sans jamais me demander s'il me plaisait de travailler pour lui. Aujourd'hui, pour la première fois de ma vie, je me sens dégagé de cette dépendance. - Vous verrez que vous vous lasserez vite de rester immobile sur une étagère, affirma la casquette. - Qui vous parle de rester immobile ? s'étonna le haut-de-forme. - On ne nous sort jamais, répondit un canotier. e premier voyage de =Gulliver Le cinq novembre, commencement de l'été dans ces régions, le ciel étant très brumeux, les matelots aperçurent soudain un rocher à moins d'un demi-câble' du navire. Le vent était si fort que nous fûmes poussés tout droit contre l'écueil, et ibtiz La !Six hommes de l'équipage, dont j'étais, avant pu mettre la chaloupe à la mer, parvinrent à s'écarter à la fois du vaisseau et du rocher. Nous fîmes, autant que je pus m'en rendre compte, environ trois lieues à la rame, jusqu'au moment où tout effort nous devint impossible, après l'extrême lassitude dont nous avions déjà souffert à bord. Nous nous abandonnâmes donc à la merci des vagues, et environ une demi-heure après, la chaloupe fut renversée par un soudain coup de vent du nord. Ce qui advint de mes compagnons dans la chaloupe, ou de ceux qui avaient pu s'accrocher aux récifs, ou de ceux encore qui étaient restés sur le navire, il m'est impossible de le dire, mais je crois qu'ils périrent tous. Pour moi, je nageai à l'aventure, poussé à la fois par le vent et la marée. J'essayais parfois, mais en vain, de toucher le fond, puis, quand je fus sur le point de m'évanouir, et dans l'impossibilité de prolonger la lutte, je m' aperçus que j' avais pied. La tempête s'était considérablement apaisée. La pente était si insensible que je dus marcher près d'une demi-lieue avant de parvenir au rivage, et ce ne fut, me sembla-t-il, que vers huit heures du soir. Je continuai à m'avancer de près d'un mille, sans pouvoir découvrir trace d'habitation ni d'habitants ; ou du moins, j'étais trop exténué pour en apercevoir. L'extrême fatigue jointe à la chaleur et à une demi-pinte d'eaude-vie que j'avais bue en quittant le navire firent que je me sentis fort enclin au sommeil. Je m'étendis sur l'herbe qui était douce et unie et j'y dormis plus profondément qu'il ne me semble avoir dormi de ma vie, et cela, calculai-je, durant plus de neuf heures, car lorsque je m'éveillai le jour venait de poindre. J'essayai alors de me lever, mais ne pus faire le moindre mouvement ; comme j'étais couché sur le dos, je m'aperçus que mes bras et mes jambes étaient solidement fixés au sol de chaque côté, et que mes cheveux, qui étaient longs et épais, étaient attachés au sol de la même façon. Je sentis de même tout autour de mon corps de nombreuses et fines ligatures m'enserrant depuis les aisselles jusqu'aux cuisses. Je ne pouvais regarder qu'au-dessus de moi ; le soleil se mit à chauffer très fort et la lumière vive blessait mes yeux. J'entendis un bruit confus autour de moi, mais, dans la position où j'étais, je ne pouvais voir rien d'autre que le ciel. Au bout d'un instant, je sentis remuer quelque chose de vivant sur ma jambe gauche, puis cette chose avançant doucement sur ma poitrine arriva presque jusqu'à mon menton ; infléchissant alors mon regard aussi bas que je pus, je découvris que c'était une créature humaine, haute tout au plus de six pouces, tenant d'une main un arc et de l'autre une. flèche et portant un carquois sur le dos. Sens dessus dessous Actuellement, mon immeuble est sens dessus dessous. Tous les locataires du dessous voudraient habiter au-dessus ! Tout cela parce que le locataire qui est au-dessus est allé raconter par en dessous que l'air que l'on respirait à l'étage au-dessus était meilleur que celui que l'on respirait à l'étage en dessous ! Alors, le locataire qui est en dessous a tendance à envier celui qui est au-dessus et à mépriser celui qui est en dessous. Moi, je suis au-dessus de ça ! Si je méprise celui qui est en dessous, ce n'est pas parce qu'il est en dessous, c'est parce qu'il convoite l'appartement qui est au-dessus, le mien Remarquez... moi, je lui céderais bien mon appartement à celui du dessous à condition d'obtenir celui du dessus ! Mais je ne compte pas trop dessus. D'abord, parce que je n'ai pas de sous ! Ensuite, au-dessus de celui qui est au-dessus, il n'y a plus d'appartement ! Alors, le locataire du dessous qui monterait au-dessus obligerait celui du dessus à redescendre en dessous. Or, je sais que celui du dessus n'y tient pas ! D'autant que, comme la femme du dessous est tombée amoureuse de celui du dessus, celui du dessus n'a aucun intérêt à ce que le mari de la femme du dessous monte au-dessus ! Alors, là-dessus. quelqu'un est-il allé raconter à celui du dessous qu'il avait vu sa femme bras dessus, bras dessous avec celui du dessus ? Toujours est-il que celui du dessous l'a su ! Et un jour que la femme du dessous était allée rejoindre celui du dessus, comme elle retirait ses dessous. et lui, ses dessus. soi-disant parce qu'il avait trop chaud en dessous. «Théâtre ! Mot magique ! Quel heureux temps !» Dès midi, nous nous bourrions aux bouches' de la salle paroissiale pour assister à l'arrivée des acteurs. =MDuü l'acteur au lorgnon, venait le premier, suivi de =MChiasson, basse profonde, l'interprète des pères nobles. Le barbier du village jouait d'ordinaire les jeunes premiers, l'épicier, =MGravel, les gendarmes. =MRaymond et beaucoup d'autres dont les noms m'échappent se succédaient par la porte de service. Soudain un cri partait, déclenchant un murmure contagieux comme l'électricité «Le voilà, c'est lui !» Toutes les têtes s'étiraient. De tous les côtés les mains tiraient les blouses des voisins «Regarde ! » =GaspardLavoie, au corps léger, coiffé d'un chapeau mou, noir, relevé sur le front, sa pipe croche3, ses joues maigres, s'avance les yeux par terre comme s'il avait du chagrin. Notre comédien =Gaspard Lavoie, plombier de son métier, notre héros, cet homme aux mille corps et âmes il passe lentement, nous envoie la main timidement comme si nous le gênions, et disparaît par la porte qui conduit aux coulisses. La porte est fermée depuis quelques secondes que nous la fixons encore, bouche bée, nous demandant bien ce qu'elle cache. Des miroirs ? Fidor dit : «Des pauvres qui boivent du vin» ; mon frère le deuxième : «Des escaliers qui descendent à la mer» ; Lédéenne affirme qu'il y a des écharpes tissées dans des chevelures. En réalité, traînent là des souliers de gnomes à bouts retroussés, des échelles qui conduisent à la lune, des mantes de lutins, des masques vivants, tout ce que l'on veut. =GaspardLavoie possède la science de se transformer en banquier, en pirate, en draveur, en prêtre, en seigneur ou en vagabond ; il connaît les fées et converse avec elles ; il assoit su ses genoux le vrai =Chaperon rouge, donne des ordres au Chat botté... derrière cette porte. =GaspardLavoie ! C'est lui que nous singeons, une partie de l'année. Ses compositions, ses gestes, son rire et sa façon de marcher, sont mêlés à nos prouesses. [...] Un certain soir de mars, la représentation finie, nous nous sommes hasardés, deux camarades et moi, jusque derrière la scène pour regarder de près =GaspardLavoie. La petite porte d'une loge s'ouvrit ; je me souviens d'avoir entrevu sur une tablette parmi les pots de crème sous une veilleuse rouge, la poignée d'une épée ; pour la toucher, j'aurais donné tout ce que je possédais. =Soudain, nous aperçûmes notre idole qui venait. Il nous frôla et descendit à la course en s'excusant. Son visage était encore tout maquillé, des sueurs perlaient sur son front et ses joues. Un acteur nous avait dit «Allez-vous en. Laissez-le tranquille, sa petite fille est malade.» =GaspardLavoie avait donc des chagrins pour vrai ? Nous aurions La cruche miraculeuse Un soir des temps anciens, la vieille =Baucis et le vieux =Philémon, son mari, étaient assis au seuil de leur chaumière. Ils venaient de manger leur soupe quotidienne et ils respiraient l'air pur de ce jour finissant en regardant les dernières traînées roses que le soleil avait laissées au ciel. Après s'être entretenus de leur jardin, de leurs abeilles, de la vigne qui tapissait le mur de leur petite maison et de leur unique vache qui se faisait maintenant un peu vieille, ils allaient se lever pour gagner leur lit, lorsqu'ils entendirent des cris d'enfants et des io abois furieux. «Ah ! dit =Philémon, c'est sans doute quelque voyageur égaré qui demande l'hospitalité à nos voisins. Et ceux-ci, comme à leur habitude, lancent les chiens à ses trousses au lieu de lui faire bon accueil ! - Toujours les mêmes ! répondit =Baucis. Ils n'ont aucune pitié pour leur prochain. Et tout naturellement, leurs enfants sont comme eux : on leur apprend dès leur plus jeune âge à jeter des pierres aux étrangers. - Pour sûr, on ne peut rien attendre de bon d'enfants qui ont été élevés de la sorte, reprit =Philémon en secouant sa vieille tête blanche. Et à vrai dire, chère =Baucis, je ne serais pas surpris qu'un terrible malheur vienne un jour frapper les habitants de ce pays pour les punir de leur cruauté. - Tu as raison, mon cher mari, répondit Baucis. Comment peuton refuser de partager son pain avec un voyageur affamé ?» Les deux bons vieillards qui parlaient ainsi étaient fort pauvres et ne parvenaient à gagner leur vie qu'à force de travail. Philémon piochait le jardin. Baucis filait la laine et faisait du beurre ou du fromage avec le lait de la vache. Ils n'avaient pour toute nourriture que celle qu'ils produisaient eux-mêmes : du pain, des légumes et du lait, parfois une grappe de leur treille, parfois un rayon de miel de leur ruche. Mais ils se seraient plutôt privés de souper que de laisser partir le ventre creux quiconque s'arrêtait à leur porte. La chaumière de =Philémon et de =Baucis se dressait sur une petite colline, au-dessus d'une vallée riante qui, jadis, avait servi de lit à un lac. Oui, autrefois, au commencement du monde, des poissons avaient nagé là parmi les roseaux. Mais peu à peu les eaux s'étaient retirées, et des hommes étaient venus, bâtissant des maisons et cultivant ce sol fertile. Il n'en restait qu'un petit ruisseau qui murmurait à l'ombre de grands chênes et serpentait gracieusement entre les habitations. Un vallon si charmant, et favorisé de telle sorte par le =Ciel, aurait dû rendre bons et généreux tous ceux qui avaient la bonne fortune d'y vivre. Eh bien ! c'était tout le contraire. Ceux qui demeuraient là, quoique ne manquant de rien, se montraient sans pitié pour tous les pauvres gens qui venaient à traverser leur village. Aussitôt les enfants, garçons et filles, se mettaient à crier après eux en leur jetant des `pierres, tandis que les parents, loin de les arrêter, les encourageaient de leur fenêtre «Que chacun s'asseye à sa place, ordonna le chef ; on va partager. Les patates d'abord, faut commencer par quéque chose de chaud, c'est mieux, c'est plus chic, c'est comme ça qu'on fait dans les grands dîners.» Et les quarante gaillards, alignés sur leurs sièges, les jambes serrées, les genoux à angle droit comme des statues égyptiennes, le quignon de pain au poing, attendirent la distribution. Elle se fit dans un religieux silence : les derniers servis lorgnaient les boules grises dont la chair d'une blancheur mate fumait en épandant un bon parfum sain et vigoureux qui aiguisait les appétits. On éventrait la croûte, on mordait à même, on se brûlait, on se retirait vivement et la pomme de terre roulait quelquefois sur les genoux où une main leste' la rattrapait à temps ; c'était si bon ! Et l'on riait, et l'on se regardait, et une contagion de joie les secouait tous, et les langues commençaient à se délier. De temps en temps on allait boire à l'arrosoir. Le buveur ajustait sa bouche comme un suçoir, au goulot de fer-blanc', aspirait un bon coup et, la bouche pleine et les joues gonflées, avalait tout hoquetant sa gorgée et recrachait l'eau en gerbe, en éclatant de rire sous les lazzi' des camarades. «Boira ! boira pas ! parie que si ! parie que ni !» C'était le tour des sardines. La Crique, religieusement, avait partagé chaque poisson en quatre ; il avait opéré avec tout le soin et la précision désirables, afin que les fractions ne s'émiettassent point et il s'occupait à remettre à chacun la part qui lui revenait. Délicatement, avec le couteau, il prenait dans la boîte que portait Tintin et mettait sur le pain de chacun la portion légale. Il avait l'air d'un prêtre faisant communier les fidèles. Pas un ne toucha à son morceau avant que tous ne fussent servis =Tigibus, comme il était convenu, eut la boîte avec l'huile ainsi que quelques petits bouts de peau qui nageaient dedans. Il n'y en avait pas gros, mais c'était du bon ! Il fallait en jouir. Et tous flairaient, reniflaient, palpaient, léchaient le morceau qu'ils avaient sur leur pain, se félicitant de l'aubaine4, se réjouissant au plaisir qu'ils allaient prendre à le mastiquer, s'attristant à penser que cela durerait si peu de temps. Un coup d'engouloiret tout serait fini ! Pas un ne se décidait à attaquer franchement. C'était si minime. Il fallait jouir, jouir, et l'on jouissait par les yeux, par les mains, par le bout de la langue, par le nez, par le nez surtout, jusqu'au moment où =Tigibus, qui pompait, torchait, épongeait son reste de «sauce» avec de la mie de pain fraîche, leur demanda ironiquement s'ils voulaient faire des reliques de leur poisson, qu'ils n'avaient dans ce cas qu'à porter leurs morceaux au curé pour qu'il pût les joindre aux os de lapin qu'il faisait baiser aux vieilles gribiches en leur disant : «Passe tes cornes' !» Lisez le texte une première fois et découvrez l'histoire. Relisez-le en faisant particulièrement attention à la manière dont l'imagination de l'enfant transforme son univers familier L'enfant s'aperçut qu'il palpait, avec sa paume, une coupure, déjà ancienne, au sommet de son genou. Il se pencha pour l'examiner de près. Une croûte, cela le fascinait toujours, attrait irrésistible où se mêlait un peu de provocation. «Oui, se dit-il, je vais l'arracher, même si c'est trop tôt, même si ça colle encore dans le milieu. Tant pis si j'ai très mal !» Tâtant d'un doigt prudent les bords de l'escarres, il y glissa le bout de l'ongle, la souleva - oh ! à peine - et soudain, sans la moindre résistance, la belle croûte brune se détacha tout entière, laissant à sa place un joli petit cercle de peau rose et lisse. «Bien, très bien !» Frottant la cicatrice, il n'éprouva aucune dou- leur. Il prit la croûte, la posa sur sa cuisse et, d'une chiquenaude, l'envoya valser sur le bord du tapis. Tiens ! Comme il était grand, ce tapis, bien plus grand que la pelouse du tennis, oh ! bien plus ! Noir, rouge et jaune, il couvrait toute l'entrée, depuis l'escalier où l'enfant était accroupi, jusqu'à la porte de la maison, là-bas, très loin. Il le regardait sans grand plaisir, d'un air sérieux, comme s'il le voyait pour la première fois. Et soudain, phénomène étrange, les couleurs parurent s'animer et lui sautèrent à la figure en l'éblouissant. Vraiment bizarre ! «J'ai compris, pensa l'enfant ; voilà : les parties rouges du tapis, ce sont des braises, des charbons ardents. Si je les touche, je brûle, oui, je brûle, et même je meurs carbonisé. Et les parties noires, voyons ?... Des serpents, c'est ça, d'horribles serpents venimeux, des tas de vipères et des cobras2 gros comme des troncs d'arbres. Si j'en touche un seul, ils me piquent, ils me tuent et je meurs avant l'heure du goûter. Mais si j'arrive à traverser de bout en bout ce dangereux tapis, sans être brûlé ni piqué, alors, demain, pour mon anniversaire, on ine fera cadeau d'un petit chien.» Pour avoir un meilleur aperçu de cette jungle aux entrelacs' de couleur et de mort, il se leva et grimpa un peu plus haut. Appuyant sur la rampe son visage grave - deux larges yeux bleus sous une frange blond-blanc, un petit menton aigu - l'enfant scruta longuement le tapis. Voyons, pouvait-il tenter l'aventure ? Il n'avait le droit de marcher que sur du jaune, mais encore fallait-il qu'il y en ait assez. Il pesa sérieusement les risques : le jaune, par endroits, paraissait bien - Mais je n'ai pas besoin qu'on me sorte, je suis bien capable de sortir tout seul. - Écoutez-moi ce fanfaron ! bougonna le vieux gibus. [...] - J'ai le pouvoir de vous rendre libres, continua le haut-de-forme, lorsque je ne serai plus là, il sera trop tard pour en profiter. - Moi, je suis d'accord pour partir, déclara la casquette, ça fait longtemps que j'en ai assez de traîner ici ! L'intervention de la casquette suscita diverses réactions. Tous voulaient parler en même temps. Il s'ensuivit un brouhaha qui s'amplifia rapidement. Ça suffit ! Un peu de discipline ! ordonna un képi. La casquette reprit la parole. - Le camarade haut-de-forme a raison, dit-elle, il faut conquérir notre liberté. Une vie nouvelle s'ouvre devant nous ; suivons le haut-de-forme ! - Bravo ! hurlèrent les autres casquettes, il a raison ! Les tyroliens se mirent à chanter pour exprimer leur approbation. - Vive le haut-de-forme ! s'écria le béret basque, c'est reparti comme en! - Ne vous agitez pas comme ça, pépé, conseilla un bonnet d'infirmière, c'est mauvais pour votre tension. - Bande d'anarchistes' ! s'indigna le vieux gibus bougon. - Taisez-vous ! répliqua la toque de fourrure, vous n'êtes qu'un vieux rabat-joie. Le képi intervint à nouveau. - Allons, de l'ordre, du silence ! ordonna-t-il. - Oui, du silence, surtout, approuva le sombrero. Un petit chapeau rond demanda la parole. - Mesdames et messieurs, commença le chapeau rond, ne nous laissons pas entraîner sur la voie trompeuse de l'illusion. - Bravo ! s'écrièrent les chapeaux mous. Les casquettes conspuèrent le chapeau rond. - On nous promet des merveilles, poursuivit le chapeau rond, mais qu'en sera-t-il à l'arrivée ? - Bien parlé ! s'exclama un chapeau mou. Les casquettes protestèrent de plus belle. - Allons, mes frères, sachons modérer nos ardeurs, conseilla une calotte, ne laissons pas la discorde s'installer parmi nous. - Il est déjà tard, remarqua le haut-de-forme, il va falloir se déci der. Puisque vous ne parvenez pas à vous mettre d'accord, que ceux qui souhaitent partir s'en aillent et que les autres restent. - Comme il est intelligent ! soupira la toque de fourrure. - Dites plutôt que c'est un brigand ! marmonna le vieux gibus bougon. Et menteur avec ça ! » Les cris enthousiastes de ceux qui voulaient s'en aller s'élevèrent de toutes parts. Le haut-de-forme compta leur nombre à haute voix, puis demanda le silence. Peu à peu la rumeur des conversations s'apaisa et l'on n'entendit bientôt plus le moindre bruit. Alors, le haut-de-forme se pencha lentement et tomba sur le côté. Une colombe blanche s'échappa de lui, puis une autre et une autre lémentaire, mon cher =Watson ! =ConanDoyle est le créateur du célèbre détective =Sherlock =Holmes dont la puissance de déduction résout toutes les énigmes. Son ami, le fidèle docteur =Watson raconte ses enquêtes. «Je vous ai entendu dire qu'il est difficile de se servir quotidienement d'un objet sans que la personnalité de son possesseur y laisse des indices qu'un observateur exercé puisse lire. Or, j'ai acquis depuis peu une montre de poche. Auriez-vous la bonté de me donner votre opinion quant aux habitudes ou à la personnalité de son ancien propriétaire ?» Je lui tendis la montre non sans malice : l'examen, je le savais, allait se révéler impossible, et le caquet de mon compagnon s'en trouverait rabattu. Il soupesa l'objet, scruta attentivement le cadran, ouvrit le boîtier et examina le mouvement d'abord à l' oeil nu, puis avec une loupe. J'eus du mal à retenir un sourire devant son visage déconfit' lorsqu'il referma la montre et me la rendit. «Il n'y a que peu d'indices, remarqua-t-il. La montre ayant été récemment nettoyée, je suis privé des traces les plus évocatrices. - C'est exact ! répondis-je. Elle a été nettoyée avant de m'être remise.» En moi-même, j'accusai mon compagnon de présenter une excuse bien boiteuse pour couvrir sa défaite. Quels indices pensait-il tirer d'une montre non nettoyée ? «Bien que peu satisfaisante, mon enquête n'a pas été entièrement négative, observa-t-il, en fixant le plafond d'un regard terne et lointain. Si je ne me trompe, cette montre appartenait à votre frère aîné qui l'hérita de votre père. - Ce sont sans doute les initiales =HW gravées au dos du boîtier qui vous suggèrent cette explication ? - Parfaitement. Le =W indique votre nom de famille. La montre date de près de cinquante ans ; les initiales sont aussi vieilles que la montre qui fut donc fabriquée pour la génération précédente. Les bijoux sont généralement donnés au fils aîné, lequel porte généralement le nom de son père. Or, votre père, si je me souviens bien, est décédé depuis plusieurs années. Il s'ensuit que la montre était entre les mains de votre frère aîné. - Jusqu'ici, c'est vrai ! dis-je. Avez-vous trouvé autre chose ? C'était un homme négligent et désordonné ; oui, fort négligent. Il avait de bons atouts au départ, mais il les gaspilla. Il vécut dans une pauvreté coupée de courtes périodes de prospérité ; et il est mort .après s'être adonné à la boisson. Voilà tout ce que j'ai pu trouver.» L' amertume déborda de mon coeur. Je bondis de mon fauteuil et arpentai furieusement la pièce malgré ma jambe blessée. «C'est indigne de vous, =Holmes ! m'écriai-je. Je ne vous aurais jamais cru capable d'une telle bassesse ! Vous vous êtes renseigné sur la vie de mon malheureux frère ; et vous essayez de me faire Cinq châteaux de_ cartes Ils étaient cinq : deux filles et trois garçons. Il y avait plusieurs façons de vous les présenter. D'après leur âge, par exemple, du plus jeune au plus âgé : =ans =1/4, =ans =1/2, =ans =5/, =1 ans tout rond, =1 ans 1/Mais vous n'auriez pas su où se trouvaient les filles. Ou par rangs de tailles décroissantes (en centimètres) : =1, =15, =11, =1, =1 (Vous auriez pu supposer que les filles étaient les deux plus petites, et vous vous seriez trompés). En fait, je crois que le plus simple est d'adopter l'ordre alphabétique de leurs prénoms - ce qui vous permettra de situer les filles tout de suite. Les voici : =Iris, =Lucas, =Olivier, =Pierre et =Udine. =Udine est un prénom féminin peu répandu. Il n'est peutêtre même pas répandu du tout, et c'est dommage, car c'est le nom d'une jolie province du nord-est de l'Italie, située au pied des =Dolomites, pas bien loin de la frontière de la =Yougoslavie.) Je ne sais pas pourquoi =Udine s'appelle ainsi. Sa maman est peut-être italienne ? D'ailleurs, je ne sais pas non plus pourquoi l'autre fille s'appelle Iris (qui est le nom d'une petite déesse grecque), ni les garçons comme ceci et comme cela. Je ne m'en suis pas inquiété, parce que cela n'a pas une véritable importance pour la suite de cette histoire. Ce qui a de l'importance, en revanche, c'est d'apprendre qu'ils allaient entrer tous les trois (au début de cette histoire) dans la même classe de terminale du lycée =Gaspard-de-Besse, à =Clamoury-sur-la-Dinne =Bléone-Supérieure. (La Bléone-Supérieure est un département que j'ai inventé et qui devrait normalement se situer entre =Digne, =Sisteron, =Tallard et =Barcelonnette, région un peu austère, mais où il y a beaucoup de place. Par contre, =GasparddeBesse a réellement existé : c'est un bandit de grand chemin qui vivait dans la deuxième moitié du dix-huitième siècle, entre le massif des =Maures et Toulon, et dont toutes les femmes étaient amoureuses, ce qui ne l'a pas empêché de mourir jeune et dans des conditions très désa- gréables. C'est tout de même une drôle d'idée d'avoir donné le nom de ce chenapan à un lycée). Et maintenant, il faudrait bien que je cesse de mettre des parenthèses toutes les dix lignes, sinon mon histoire n'en finira pas. (Mais j'aurai du mal, parce que je ne sais pas raconter sans parenthèses). =Iris, =Lucas, =Olivier, =Pierre et =Udine formaient une bande de vrais amis. Ils avaient pourtant des humeurs, des goûts et des passions bien différents. J'ai fait un petit tableau de tout ça, en indiquant leur taille, la couleur de leurs yeux et celle de leurs cheveux, leur caractère, leur principal dada, et ainsi de suite. La plus grande carotte du monde L'auteur de La plus grande carotte du monde nous dit au début de son ouvrage « Ce livre contient dix-neuf histoires. Chacune d'elles a trois épilogues' le lecteur peut donc choisir celui qui lui convient le mieux. Il peut, également, les écarter tous les trois et en inventer un pour son propre compte. Il peut, enfin, sans se laisser influencer, regarder à la fin du livre, pour connaître les épilogues préférés de l'auteur ». Voici l'histoire de la plus grande carotte du monde. Elle a déjà été racontée de mille manières. Mais, à mon avis, les choses se sont passées ainsi. Un jour, un jardinier sema des carottes. Il les cultiva comme d'habitude et, à l'époque prévue, il commença à les arracher. Tout'à coup, il en trouva une bien plus grosse que les autres. Il tirait, tirait, mais il ne pouvait pas la déterrer. Il essaya de différentes façons : rien à faire... Alors, il se décida à appeler sa femme. « Joséphine ! - Qu'y a-t-il, Auguste ? - Viens voir. Il y a une drôle de carotte que je ne peux pas arracher. Tiens, regarde ! - Elle a l'air vraiment énorme ! - On va faire ainsi : moi, je tire la carotte et toi, tu m'aides, en me tirant par la veste. Allez, vas-y. Tu es prête ? Tire ! Allez, ensemble... - II vaut mieux que je te tire par le bras. Sinon je vais déchirer ta veste. - Tire donc par le bras. Courage ! Rien à faire ! Appelle le petit... Je suis à bout de souffle ! - Paul ! Paul ! cria la femme du jardinier. - Qu'est-ce qu'il y a, maman ? - Viens un peu ici. Et dépêche-toi. - J'ai mes devoirs à faire... - Tu les finiras après. Pour l'instant, viens nous aider... On n'arrive pas à déterrer cette carotte. Moi, je vais tirer papa par un bras, toi, par l'autre. Papa tirera la carotte. On y arrivera bien... » Le jardinier cracha dans ses mains. « Vous êtes prêts ? Allez ! Tirez ! Oh ! hisse ! Oh ! hisse ! Elle ne. bouge pas d'un pouce ! « C'était un lion de gronde taille... » Après avoir échappé à une tribu africaine menaçante, les naufragés du navire Pilgrim cherchent à regagner la côte en descendant une rivière à bord d'une pirogue. Chaque jour, leur jeune capitaine, =DickSand, explore la berge en quête de nourriture. Dans la journée du = juillet, =DickSand eut à faire preuve d'un extrême sang-froid. Il était seul à terre, à l'affût d'un caama dont les cornes se montraient au-dessus d'un taillis, et il venait de le tirer, lorsque bondit, à trente pas, un formidable chasseur, qui sans doute venait réclamer sa proie et n'était pas d'humeur à l'abandonner. C'était un lion de grande taille, de ceux que les indigènes appellent « karamos », et non de cette espèce sans crinière, dite lion du =Nyassi ». Celui-là mesurait cinq pieds de haut, - une bête formidable. Du bond qu'il avait fait, le lion était tombé sur le caama que la balle de =DickSand venait de jeter à terre, et qui, plein de vie encore, palpitait en criant sous la patte du terrible animal. =DickSand, désarmé, n'avait pas eu le temps de glisser une seconde cartouche dans son fusil. Du premier coup, le lion l'avait aperçu, mais il se contenta d'abord de le regarder. =DickSand fut assez maître de lui pour ne pas faire un mou- vement. Il se souvint qu'en pareille circonstance l'immobilité peut être le salut. Il ne tenta pas de recharger son arme, il n'essaya même pas de fuir. Le lion le regardait toujours de ses yeux de chat, rouges et lumineux. Il hésitait entre deux proies, celle qui remuait et celle qui ne remuait pas. Si le caama ne se fût pas tordu sous la griffe du lion, =DickSand eût été perdu. Deux minutes s'écoulèrent ainsi. Le lion regardait DickSand, et =DickSand regardait!e lion, sans même remuer ses paupières. Et alors, d'un superbe coup de gueule, le lion, enlevant le caama tout pantelant, l'emporta comme un chien eût fait d'un lièvre, et, battant les arbustes de sa formidable queue, il disparut dans le haut taillis. « LAutodidacte » Le narrateur, =EugèneRoquentin, se rend chaque jour à la bibliothèque. Il y a fait la connaissance d'un étrange personnage qu'il a baptisé =Autodidacte Il a une bien curieuse méthode pour se cultiver. heures. J'ai abandonné =EugénieGrandet Je me suis mis au travail, mais sans courage. =L'Autodidacte, qui voit que j'écris, m'observe avec une concupiscence' respectueuse. De temps en temps je lève un peu la tête, je vois l'immense faux col droit d'où sort son cou de poulet. Il porte des vêtements râpés, mais son linge est d'une blancheur éblouissante. Sur le même rayon, il vient de prendre un autre volume, dont je déchiffre le titre à l'envers : =LaFlèchede =Caudebec, chronique normande, par Mlle =JulieLavergne. Les lectures de =l'Autodidacte me déconcertent toujours. Tout d'un coup les noms des derniers auteurs dont il a consulté les ouvrages me reviennent à la mémoire =Lambert, =Langlois, =Larbalétrier, =Lastex, =Lavergne. C'est une illumination ; j'ai compris la méthode de =l'Autodidacte : il s'instruit dans l'ordre alphabétique. Je le contemple avec une espèce d'admiration. Quelle volonté ne lui faut-il pas, pour réaliser lentement, obstinément un plan de si vaste envergure ? Un jour, il y a sept ans (il m'a dit qu'il étudiait depuis sept ans) il est entré en grande pompe dans cette salle. Il a parcouru du regard les innombrables livres qui tapissent les murs et il a dû dire, à peu près comme =Rastignac A nous deux, Science humaine. » Puis il est allé prendre le premier livre du premier rayon d'extrême droite ; il l'a ouvert à la première page, avec un sentiment de respect et d'effroi joint à une décision inébranlable. Il en est aujourd'hui à L. Un autodidacte est quelqu'un qui s'est instruit tout seul. - =EugénieGrandet : roman d'Honoré de =Balzac (133). Le narrateur a trouvé, sur une table de la bibliothèque, le livre ouvert à la page =2 et s'est mis à le lire. - Concupiscence : regarder avec concupiscence, avec envie, en éprouvant un sentiment de convoitise. -Rastignac : un personnage qui apparaît dans plusieurs romans de =Balzac, en particulier dans Illusions perdues =143). C'est un jeune ambitieux qui, arrivant à Paris, lance une sorte de défi à la ville : « À nous deux, =Paris ! « Explorations enfantines » Le narrateur, un tout jeune garçon, découvre ce qui lui paraît être la vie dans de nombreux livres. Il est surtout intéressé par un grand dictionnaire encyclopédique. Mais le grand Larousse me tenait lieu de tout : j'en prenais un au hasard, derrière le bureau, sur l'avant-dernier rayon, =A-Bello, =Belloc-Ch ou =Ci-D, =Mele-Po ou =Pr-Z (ces associations de La famille des Verbes, ainsi que celle des Substantifs, est maî- tresse suzeraine de la nombreuse tribu des =Adverbes, dont la tâche consiste à mettre au jour les actions de leurs seigneurs, d'en dévoiler tous les mystères, de leur servir de guides, d'éclaireurs, de préciser tous leurs faits et gestes, de louer ceux qui le méritent, ainsi que de blâmer hautement ceux qui en sont dignes. À cet égard, les vassaux des =Verbes sont des gens aussi aimables, francs, justes et sévères que ceux des seigneurs Substantifs. Les Substantifs, comme étant plus riches et plus puissants que leurs confrères les Verbes, se montrent toujours en public avec un décorum' plus grand que celui des Verbes: Lorsqu'ils sortent de chez eux, ils se font précéder d'un de leurs hérauts d'armes', qui annonce aux curieux quel est le seigneur qui les suit, et fait surtout connaître le sexe de ce haut personnage ; car les membres mâles de la maison des Substantifs sont, pour la plupart, revêtus du même costume que les membres femelles, et, comme ils ne portent souvent pas de barbe, il serait difficile de savoir. qui on a devant les yeux, du suzerain ou de la suzeraine elle-même. Outre les hérauts dont sont accompagnés les seigneurs Substantifs, ils ont encore à leur disposition des substituts, genre de chargés d'affaires, auxquels ils confient leurs intérêts, et qui les remplacent en tout et partout, aussitôt que leurs maîtres ont fait leur première apparition. Les seigneurs Substantifs sont si fiers et si entichés de leur personne que jamais aucun d'eux ne consentirait à s'adresser directement à ceux à qui il a affaire. Lorsqu'ils ont une harangue' à faire au public, ils se font toujours remplacer par leurs chargés d'affaires, et s'éclipsent aussitôt que ces derniers sont venus occuper leur place. Ces chargés d'affaires, qui por- tent le nom de Pronoms, sont du reste tous de très honnêtes gens, prenant très à cœur les intérêts de leurs maîtres. Des trois autres tribus indépendantes qui sont entrées au ser- vice des seigneurs de l'île, la plus importante, après les Pronoms, est celle des Prépositions. Cette dernière offre ses soins aussi bien aux Substantifs qu'aux Verbes. Ils sont mis au courant de tous les secrets, et ont pour devoir d'expliquer au public en quelles relations différents membres de la famille des Substantifs vivent entre eux, ou bien en quels rapports ils se trouvent avec leurs chargés d'affaires ou avec certaines personnes de la famille des Verbes. Ils remplissent dans l'île le rôle qu'ont chez nous la correspondance et les cartes de visite. « Les points d'intonation » =HervéBazin s'amuse à inventer une nouvelle ponctuation... L’intonation a une grande importance. L'oreille y fait très attention. L'écriture, pourtant ne l'enregistre pas. Nous ne pos- sédons que le point d'exclamation et le point d'interrogation (que nous garderons, il va de soi). Une seule petite phrase me servira d'exemple: il est beau. Elle peut en effet être affirmative (il est beau, c'est un fait), exclamative (il est beau ! Ça vous étonne), acclamative (il est beau comme un Dieu, cet artiste). Mais elle peut être aussi interrogative (il est beau? Vous ne l'avez jamais vu, vous le demandez), dubitative (il est beau, vraiment? On vous avait pourtant dit le contraire). Elle peut encore être autoritaire (il est beau, je vous le dis, je vous prie de le croire, ça ne se discute pas) ou ironique (< Ah, il est beau, il est propre! » Il arrive dépeigné, déchiré, dégoûtant. C'est une anti-phrase). Enfin elle peut être chaleureuse et, pour mieux dire, amoureuse (il est beau: c'est peut-être une illusion, mais vous l'adorez, fillette). Toujours en vertu de nos principes (écrire ce qui s'entend) nous ne saurions négliger graphiquement les intonations. Nous avons donc décidé la création de six points supplémentaires. Le point d'amour? Il est formé de deux points d'interrogation qui, en quelque sorte, se regardent et dessinent, au moins provisoirement, une sorte de caeur. Le point de conviction : C'est un point d'exclamation transformé en croix. Le point d'autorité: Il est sur votre phrase, comme un parasol sur le sultan. Le point d'ironie : C'est un arrangement de la lettre grecque. Cette lettre (psi) qui représente une flèche dans l'arc, correspondait àps: c'est-à- dire au son de cette même flèche dans l'air. Quoi de meilleur pour noter l'ironie ? Le point d'acclamation : Bras levés, c'est le =V de la victoire. C'est la représentation sty- lisée des deux petits drapeaux qui flottent au sommet de l'autobus, quand nous visite un chef d'État., Le point de doute : Il est comme vous : il hésite, il biaise, avant de tomber -de travers- sur son point. Vendredi, la marguerite et le papillon =RobinsonCrusoë est nau agé sur une île déserte. Après un moment de découra- gement où il se laisse aller à une vie dégradante, il décide de se reprendre et d'aménager l'île de façon à v mener une vie d'être civilisé. Il recueille d'abord Tenn, le chien du bord (qui a lui aussi échappé à la noyade) et, peu de temps après, un indien araucan ' à qui il donne le nom de Vendredi, et qu il tente de civiliser. Mais ce dernier, par maladresse, provoque une explosion qui détruit l'ceuvre de =Robinson et entraîne la mort de =Tenn. C'est au tour de Vendredi d'apprendre à =Robinson « la vie sauvage ». Il lui montre en particulier une toute nouvelle utilisation du langage. Au cours des années qui avaient précédé l'explosion et la destruction de l'île civilisée, =Robinson s'était efforcé d'apprendre l'anglais à Vendredi. Sa méthode était simple. Il lui montrait une =marguerite, et il lui disait - =Marguerite. Et Vendredi répétait - =Marguerite. Et =Robinson corrigeait sa prononciation défectueuse 2 aussi souvent qu'il le fallait. Ensuite, il lui montrait un chevreau, un couteau, un perroquet, un rayon de soleil, un fromage, une loupe, une source, en prononçant lentement - Chevreau, couteau, perroquet, soleil, fromage, loupe, source. Et Vendredi répétait après lui, et répétait aussi longtemps que le mot ne se formait pas correctement dans sa bouche. Lorsque la catastrophe s'était produite, Vendredi savait depuis longtemps assez d'anglais pour comprendre les ordres que lui donnait =Robinson et nommer tous les objets utiles qui les entouraient. Un jour cependant, Vendredi montra à =Robinson une tache blanche qui palpitait dans l'herbe, et il lui dit - =Marguerite. - Oui, répondit =Robinson, c'est une =marguerite. Mais à peine avait-il prononcé ces mots que la =marguerite battait des ailes et s'envolait. - Tu vois, dit-il aussitôt, nous nous sommes trompés. Ce n'était pas une marguerite, c'était un papillon. - Un papillon blanc, rétorqua Vendredi, c'est une =marguerite qui vole. Avant la catastrophe, quand il était le maître de l'île et de Vendredi, =Robinson se serait fâché. Il aurait obligé Vendredi à « Commencer, finir un livre » Voici le début de l'histoire de =Sheng-hui (Immense Savoir, en chinois), à qui un vieil homme a prédit qu'il deviendrait un savant. =Kuo décida que si le destin de =Sheng-hui était de devenir un savant, il allait falloir qu'il apprenne à lire et à écrire sans tarder. Un jour où elle était en train de cueillir des feuilles de thé, il lui vint une idée. Elle en rapporta quelques feuilles à la maison et au dos de chacune d'elles écrivit un caractère chinois. Elle montra à Sheng-hui les caractères un par un tout en les prononçant à voix haute, espérant qu'il allait l'imiter et qu'il finirait par établir un lien entre les caractères et les sons. Mais =Sheng-hui n'avait que quelques semaines, et il ne se montra pas passionné par les feuilles qui se balançaient sous son nez, pas plus qu'il ne se montra capable de produire les sons voulus. Mais =Kuo ne renonça pas. Chaque soir, en rentrant des champs, elle allumait une bougie dans la cabane de roseaux et éclairait les feuilles devant Sheng-hui tout en l'allaitant. Au bout d'un an de ce régime, elle put constater de légers progrès dans la lecture des caractères inscrits sur les feuilles, mais un jour, il tendit la main, attrapa la feuille que tenait sa mère,. et l'avala. Il se trouvait que cette feuille contenait le caractère yu, qui signifie « voyage ». Kuo en fut effarée car cela lui rappelait la prédiction du vieil homme. Après avoir essayé sans résultat de faire recracher à =Sheng-hui la feuille « voyage », elle écrivit liu tsai chia - « reste à la maison » - trois fois sur une autre feuille, et l'obligea à l'avaler. Ainsi prit fin l'éducation précoce de =Sheng-hui. =Kuo, la mère de =Sheng-hui, est assassinée et il est confié à =Wei-ching un moine dont le nom signifie « Gardien des écritures ». Mais =Sheng-hui a tout oublié, même son nom, aussi =Wei-ching lui en donne-t-il un autre: =Hsun-ching. =Wei-ching, à cette époque, se dit que si le garçon avait manifesté un tel intérêt pour le Voyage vers l'ouest, c'était un bon présage. Il se mit à lui lire le roman non plus seulement le soir, mais aussi le matin. Mais =Hsun-ching en voulait encore plus. Il voulait entendre parler du Roi des Singes 1 à longueur de journée. Il finit par supplier Wei-ching de lui apprendre à lire, comme ça il pourrait se plonger dans l'histoire tout seul. Le pieux savant fut ravi et il revint aussitôt au début du roman pour que =Hsunching puisse suivre les caractères dans l'ordre. Après l'obsession du langage, ce fut l'obsession de la lecture des aventures du =RoidesSinges. Il se trouva qu'il était doué d'une mémoire plutôt visuelle, en sorte qu'en quelques mois il connaissait suffisamment de caractères pour pouvoir lire plus Les poules « Je parie, dit Mme =Lepic, =qu'Honorine a encore oublié de fermer les poules. C'est vrai. On peut s'en assurer par la fenêtre. Là-bas, tout au fond de la grande cour, le petit toit aux poules découpe, dans la nuit, le carré noir de sa porte ouverte. « Félix, si tu allais les fermer ? dit Mme =Lepic à l'aîné de ses trois enfants. - Je ne suis pas ici pour m'occuper des poules, dit =Félix, garçon pâle, indolent et poltron. - Et toi, =Ernestine ? - Oh ! moi, maman, j'aurais trop peur ! » Grand frère =Félix et sueur =Ernestine lèvent à peine la tête pour répondre. Ils lisent, très intéressés, les coudes sur la table, presque front contre front. « Dieu, que je suis bête ! dit Mme =Lepic. Je n'y pensais plus. =PoildeCarotte, va fermer les poules ! » Elle donne ce petit nom d'amour à son dernier né, parce qu'il a les cheveux roux et la peau tachée. =PoildeCarotte, qui joue à rien sous la table, se dresse et dit avec timidité «Mais, maman, ai peur aussi, moi. - Comment ? répond Mme =Lepic, un grand gars comme toi ! c'est pour rire. Dépêchez-vous, s'il te plaît ! - On le connaît ; il est hardi comme un bouc, dit sa sueur =Ernestine. - Il ne craint rien ni personne, dit Félix, son grand frère. Ces compliments enorgueillissent Poil de =Carotte, et, honteux d'en être indigne, il lutte déjà contre sa couardise.,Pour l'encourager définitivement, sa mère lui promet une gifle. « Au moins, éclairez-moi », dit-il. Mme =Lepic hausse les épaules, =Félix sourit avec mépris. Seule pitoyable, Ernestine prend une bougie et accompagne petit frère jusqu'au bout du corridor. « Je t'attendrai là », dit-elle. Mais elle s'enfuit tout de suite, terrifiée, parce qu'un fort coup de vent fait vaciller la lumière et l'éteint.