&&000 FRANCE 6TH GRADE 1960S (period of major changes in US) FR-6TH-60S.TXT SAMPLES DRAWN FIVE PUBLISHERS: HACHETTE; ECOLE; COLIN; DELAGRAVE; HATIER N=53 SAMPLE PAGES SAVED IN UTF-8 FORMAT Re-edited by dph 23 May 2005 &&111 LE ROMAN DE =RENARD La pêche =d'Ysengrin =Renard, le goupil, a promis à =Ysengrin, le loup, de lui faire faire une pêche merveilleuse. Peu de temps avant la Noël, quand jambons sont mis à saler, sous le ciel clair, brillant d'étoiles, si gelé était le vivier où devait pêcher =Ysengrin qu'on aurait pu danser dessus. On y voyait tout juste un trou, abreuvoir fait par les vilains, qui menaient leur bétail, le soir, pour y boire et se dégourdir. Ils y avaient laissé un seau. =Renard pique là sans tarder, et se tournant vers son compère - Sire, fait-il, c'est par ici. Venez voir quel coup poissonneux! Voici l'engin dont nous pêchons les anguilles, les barbeaux, et tant de poissons bons et beaux. - Frère =Renard, dit =Ysengrin, prenez-moi ce seau par un bout, fixez-le moi bien à la queue. ==Renard le prend et l'entortille, le noue à la queue de son mieux. - Frère, dit-il, votre devoir, c'est de vous tenir sagement, pour laisser venir les poissons. Il se tapit près d'un buisson, le museau entre les deux pattes, attendant les événements. =Ysengrin trône sur la glace, le seau descend dans l'abreuvoir, pêchant glaçons à volonté. L'eau dans le trou commence à prendre et à serrer autour du seau, qui est bien noué à la queue et qui déborde de glaçons. La queue qui trempe dans le trou gèle et se scelle dans la glace. Le loup veut soulager le poids et tirer le seau à soi. De cent façons il s'y emploie, ne sait que faire, et se tourmente. Il lui faut bien héler =Renard. De se cacher il n'est plus temps, car voilà l'aube qui éclate. =Renard qui dresse le museau, ouvre les yeux, jette un regard - Frère, dit-il, pliez bagage, allons-nous en, beau doux ami. Poissons avons bien assez pris. - Assez? dit =Ysengrin. J'en ai trop pris, voulez-vous dire! Oui, j'en ai tant qu'ils m'embarrassent Et =Renard de se mettre à rire. Il dit au loup en clair langage - Qui convoite le tout, le tout perd. La nuit s'en va, l'aube perce; le soleil du matin se lève, la neige blanchit les chemins. =Renard et =Chantecler =Chantecler est tenté =Renard a réussi à s'introduire dans l'enclos de Constant de Noes. Il a tenté de saisir le coq Chantecler par surprise, mais le coq échappe par un saut de côté. AU TEMPS DES PREUX ET DES CHEVALIERS Les enfances du petit =Gui. =Guillaume, marquis de =Bordeaux et de =Barcelone, après s'être battu avec acharnement contre les =Sarrasins, dans la plaine de =Larchamp, a vu périr tous les siens. Son héroïque neveu =Vivien est mort aussi. Revenu chez lui, il est affectueusement accueilli par sa femme =Guibourc, qui le réconforte. Mais =Guillaume reste soucieux. « Soeur, douce amie, dit =Guillaume, hélas, si je mourais, qui garderait mes terres ? Je n'ai pas d'héritier qui puisse les tenir. » Lors surgit du foyer un sien neveu, sire =Gui. C'est le fils du marquis Beuve de =Cornebut et de la fille du brave comte =Aimeri. Neveu de =Guillaume, frère de =Vivien le =Hardi, =Gui a quinze ans, il n'est pas encore grand. Toute sa barbe est sur sa tête. Il se plante tout droit et vient se camper devant son oncle; il l'interpelle comme allez bien l'entendre « Ma foi, mon oncle, lui a dit l'enfant =Gui, si tu mourais, c'est moi qui tiendrais ton pays. Je voudrais bien servir dame =Guibourc; de tout malheur je la garantirais, pour m'avoir élevé si tendrement. » =Guillaume alors de rugir contre lui; il lui répond d'injurieuse façon « Il vaudrait mieux, fripon, que tu gises en poussière, plutôt que d'avoir, toi, à tenir mon comté. » « Mieux te vaudrait, fripon, être en cendre réduit que de gouverner mon comté. Jamais tu n'auras à défendre ma femme Guibourc. » =Gui, l'entendant, sagement lui répond « Ma foi, mon oncle, je n'ai jamais entendu parler ainsi. » =Guillaume de répondre « De quoi, fripon, peux-tu bien m'accuser? Je vous le dirai, mais après réflexion. Qui n'est pas encore sage parfait, son désir peut l'emporter. De mon jeune âge, pourquoi me faire grief? Nul n'est si grand qui n'ait été petit. Et par la croix de Dieu =Très-Haut, en ma conscience, puisque =Vivien est trépassé, il n'est pas d'homme en la chrétienté, si après ta mort il s'emparait de ton bien, il n'est pas d'homme que je ne tue en rase campagne. Puis je prendrais tout l'héritage et sauverais très bien dame =Guibourc. » =Guillaume entend et il secoue la tête. Ses yeux se mouillent, il pleure doucement. Il fait venir l'enfant, il le prend dans ses bras, il le baise trois fois, et dit . « Mon neveu, par ma foi, c'est parlé sagement. Tu as corps d'enfant, mais raison de baron. Qu'après ma mort, mon fief te soit donné. Prends-le, =Guibourc, emmène-le chez toi. » =Gui, à quinze ans, a reçu un grand fief. =Guillaume est reparti combattre les =Sarrasins, avec trente mille chevaliers, mais sans emmener son neveu =Gui. Quand on ne les vit plus, =Gui se mit à pleurer. =Guibourc s'en aperçut et =l'interRogea: Je m'en revenais de =Paris à pied; j'étais parti d'assez grand matin, et vers midi, les beaux arbres de la forêt de =Bondy m'invitant, à un endroit où le chemin tourne brusquement, je m'assis, adossé à un chêne, sur un talus d'herbe, les pieds pendants dans un fossé, et je me mis à crayonner sur mon livre vert la note que vous venez de lire. Comme j'achevais la quatrième ligne, je lève vaguement les yeux et j'aperçois, de l'autre côté du fossé, sur le bord de la route, devant moi, à quelques pas, un ours qui me regardait fixement. En plein jour, on n'a pas de cauchemar; à midi, par un soleil de mai, on n'a pas d'hallucinations. C'était bien un ours, un ours vivant, un véritable ours, parfaitement hideux du reste. Il était gravement assis sur son séant, me montrant le dessous poudreux de ses pattes de derrière, dont je distinguais toutes les griffes, ses pattes de devant mollement croisées sur son ventre. Sa gueule était entrouverte; une de ses oreilles, déchirée et saignante, pendait à demi; sa lèvre inférieure, à moitié arrachée, laissait voir ses crocs déchaussés; un de ses yeux était crevé, et avec l'autre il me regardait d'un air sérieux. Je n'étais pas sans éprouver quelque émotion. On se tire parfois d'affaire avec un chien en l'appelant Fox, =Soliman ou =Azor ; mais que dire à un ours ? Que signifiait cet ours sur le grand chemin de Paris à Claye ? J'étais, je l'avoue, fort perplexe. Je ne bougeais pas cependant; l'ours, de son côté, ne bougeait pas non plus; il avait je ne sais quoi d'honnête, de béat et d'endormi. En somme, sa contenance était si bonne que je résolus, moi aussi, de faire bonne contenance. J'acceptai donc l'ours comme spectateur, et je continuai ce que j'avais commencé. Je commençais à me faire à ce tête-à-tête, et j'écrivais la sixième ligne de la note lorsqu'un bruit de pas précipités se fit entendre dans la grande route, et tout à coup je vis déboucher du tournant un autre ours, un grand ours noir, le premier était fauve. Cet ours noir arriva au grand trot, et, apercevant l'ours fauve, vint se rouler gracieuse- ment à terre auprès de lui. Deux ours ! Pour le coup, c'était trop fort. Quel sens cela avait-il ? Si j'en jugeais par le côté d'où l'ours noir avait débouché, tous venaient de =Paris, pays où il y a pourtant peu de bêtes, - sauvages surtout. =Achille vient d'apprendre que son ami, =Patrocle, revêtu de ses propres armes, a été tué par le Troyen =Hector. Une nue de douleur noire enveloppe =Achille. De ses deux mains, il prend de la cendre au foyer, s'en répand sur la tête, souillant son clair visage. De ses mains, il arrache et salit ses cheveux. Il pousse un cri terrible, et sa mère divine, près de son père assise, aux abîmes des flots, l'entend : elle répond par des cris de douleur. Les filles de =Nérée accourent à sa plainte, emplissant la caverne où baigne une clarté. Elles forment un chceur et se frappent le sein, cependant que Thétis entame sa complainte « Ah ! misérable ! mère infortunée d'un preux ! J'ai mis au monde un fils, guerrier irréprochable, un héros hors de pair. Il poussait comme un plant; je le nourris moi-même, ainsi qu'un cep de vigne, au penchant du coteau. Je l'ai laissé partir sur les nefs recourbées, se battre vers =Ilion contre les =Dardaniens ! Ce fils, je ne pourrai l'accueillir au foyer, il ne reviendra plus chez son père =Pélée. Et tant qu'il m'est vivant, tant qu'il voit la lumière, il souffre, et moi je ne peux rien pour guérir sa douleur. Mais j'irai, je veux voir mon enfant, et je veux savoir quel coup l'a pu frapper, loin du combat. » A ces mots, elle part, abandonnant la grotte. Elle est près de son fils qui sanglote et qui geint. Elle crie de douleur, et prenant dans ses mains la tête de son fils, lui dit ces mots ailés « Tu pleures, mon enfant? Quel deuil saisit ton cceur ? Parle, ne cache rien. Tu vois, =Zeus a a bien fait tout ce que tu voulais : que tous les =Achéens , chassés vers leurs vaisseaux, aient le regret =d'Achille, en souffrant la misère! » =Achille aux pieds légers dit dans un sourd sanglot « Pour moi, =l'Olympien a tenu sa promesse. Mais que me fait cela quand mort est mon ami Patrocle, que j'aimais, lui plus que tous les autres, autant que ma vie même? C'est lui que j'ai perdu : =Hector l'a massacré, dépouillé de ses armes, ces merveilleuses armes, splendide présent fait par les dieux à =Pélée, le jour où lui, mortel, t'épousa toi, déesse. Ah! que ne restaistu avec les immortelles divinités des mers, et =Pélée eût conduit au seuil de sa maison une femme mortelle! Mais il fallait aussi que tu souffres l'angoisse de voir ton fils tué, sans pouvoir saluer son retour au foyer. Mais après tout, mon cceur n'a plus le goût de vivre, et je ne souhaite plus rester parmi les hommes, tant =qu'Hector, le premier, traversé par mon fer, n'a pas perdu la vie et payé pour Patrocle dont il a fait sa proie. » Tout en larmes, =Thétis à son tour lui répond « Ah! tu cours à la mort, mon fils! C'est sur tes lèvres. Car, =Hector abattu, le même sort t'attend! » La mort de =Molière Le jour que l'on devait donner la troisième représentation du =Malade imaginaire, =Molière se trouva tourmenté de sa fluxion beaucoup plus qu'à l'ordinaire, ce qui l'engagea de- faire appeler sa femme, à qui il dit, en présence de =Baron : « Tant que ma vie a été mêlée également de douleur et de plaisir, je me suis cru heureux; mais aujourd'hui que je suis accablé de peines sans pouvoir compter sur aucuns moments de satisfaction et de douceur, je vois bien qu'il me faut quitter la partie; je ne puis tenir contre les douleurs et les déplaisirs, qui ne me donnent pas un instant de relâche. Mais, ajouta-t-il, en réfléchissant, qu'un homme souffre avant que de mourir! Cependant je sens bien que je finis. » =LaMolière et Baron furent vivement touchés du discours de =MdeMolière, auquel ils ne s'attendaient pas, quelque incommodé qu'il fût. Ils le conjurèrent, les larmes aux yeux, de ne point jouer ce jour-là, et de prendre du repos, pour se remettre. « Comment voulez-vous que je fasse, leur dit-il, il y a cinquante pauvres ouvriers qui n'ont que leur journée pour vivre; que feront-ils si l'on ne joue pas? Je me reprocherais d'avoir négligé de leur donner du pain un seul jour, le pouvant faire absolument. » Mais il envoya chercher les comédiens à qui il dit que se sentant plus incommodé que de coutume, il ne jouerait point ce jour-là, s'ils n'étaient prêts à heures précises pour jouer la comédie. La toile levée, précisément à heures, =Molière représenta avec beaucoup de difficulté; et la moitié des spectateurs s'aperçurent qu'en prononçant =Juro, dans la cérémonie du =Malade imaginaire , il lui prit une convulsion. Ayant remarqué lui-même que l'on s'en était aperçu, il se fit un effort, et cacha par un ris forcé ce qui venait de lui arriver. Quand la pièce fut finie, il prit sa robe de chambre et fut dans la loge de =Baron, et il lui demanda ce que l'on disait de sa pièce. le =Baron, lui répondit que ses ouvrages avaient toujours une =heu réussite et que, plus on les représentait, plus on les goûtait. « Mais, ajouta-t-il, vous me paraissez plus mal que tantôt. - Cela est vrai, lui répondit =Molière, j'ai un froid qui me tue. » =Baron, après lui avoir touché les mains, qu'il trouva glacées, les lui mit dans son manchon pour les réchauffer; il envoya chercher ses porteurs pour le porter promptement chez lui. Quand il fut dans sa chambre, Ah ! Pauvre =GilBlas ! En route pour aller étudier à la célèbre Université espagnole de =Salamanque, le jeune =GilBlas, qui, à dix-sept ans, ne connaît guère le monde encore, s'arrête dans une hôtellerie, où il est abordé par un inconnu qui le comble d'éloges exagérés. Je n'avais pas encore mangé le premier morceau, que l'hôte entra, suivi de l'homme qui l'avait arrêté dans la rue. Ce cavalier portait une longue rapière, et pouvait bien avoir trente ans. Il s'approcha de moi d'un air empressé : « Seigneur écolier, me dit-il, je viens d'apprendre que vous êtes le seigneur =GilBlas de =Santillane, l'ornement =d'Oviedo et le flambeau de la philosophie. Est-il bien possible - que vous soyez ce savantissime, ce bel esprit. dont la réputation est si grande en ce pays-ci? Vous ne savez pas, continua-t-il, en s'adressant à l'hôte et à l'hôtesse, vous ne savez pas le trésor que vous possédez : vous voyez dans ce jeune gentilhomme la huitième merveille du monde. Mon admirateur me parut un fort honnête homme, et je l'invitai à souper avec moi. « Ah! très volontiers, s'écria-t-il; je sais trop bon gré à mon étoile de m'avoir fait rencontrer l'illustre Gil Blas de =Santillane. » En parlant ainsi, mon panégyriste s'assit vis-à-vis de moi. On lui apporta un couvert. Il se jeta d'abord sur l'omelette avec tant d'avidité qu'il semblait n'avoir mangé de trois jours. A l'air complaisant dont il s'y prenait, je vis bien qu'elle serait bientôt expédiée. J'en ordonnai une seconde qui fut faite si promptement qu'on nous la servit comme nous achevions, ou plutôt comme il achevait de manger la première. Il y procédait pourtant d'une vitesse toujours égale, et trouvait moyen, sans perdre un coup de dent, de me donner louanges sur louanges ; ce qui me rendait fort content de ma petite personne. Il buvait aussi fort souvent; tantôt c'était à ma santé, et tantôt à celle de mon père et de ma mère, dont il ne pouvait assez vanter le bonheur d'avoir un fils tel que moi. En même temps, il versait du vin dans un verre et m'excitait à lui faire raison. Flatté des compliments du parasite, =GilBlas demande du poisson à l'aubergiste. J'ai une truite excellente, dit-il; mais elle coûtera cher à ceux qui la mangeront : c'est un morceau trop friand pour vous. Qu'appelez-vous trop friand? dit alors mon flatteur d'un ton de mais moi, j aurais tort de les imiter, car en buvant un peu plus lard je ne gagnerais rien, je pense, que de nie rendre ridicule à mes propres yeux : j'aurais l'air de me cramponner: à la vie et de vouloir « faire des économies quand il n'y a plus rien' ». Ainsi donc, fais ce que je te dis et n'insiste pas. » =Criton, à ces mots, fit un signe au jeune esclave qui était là; l'enfant sortit et revint au bout d'un moment, ramenant un homme qui apportait le poison tout broyé dans une coupe et qui devait le donner à Socrate. « Bien, mon ami, dit ce dernier en l'apercevant; niais toi, qui en as l'expérience, dis-moi ce que je je dois faire. - Tu n'as qu'à boire, répondit l'autre, puis à marcher de long en large jusqu'à ce que tu sentes tes jambes s'alourdir, et alors à te coucher : 'je poison agira de lui-même. » A ces mots, il lui tendit la coupe; =Socrate la prit tout tranquillement, sans trembler, sans pâlir, sans changer de visage; il regarda cet homme bien en face, selon son' habitude, et lui demanda : « Dis-moi, ne puis-je verser un peu de ce breuvage, pour en faire une libation'? - =Socrate, fit l'homme, nous en broyons juste cc qu'il faut en boire. - C'est entendu, reprit Socrate; mais je puis toujours (d'ailleurs, c'est mon devoir) adresser une prière aux dieux et leur demander (le donner une heureuse issue au voyage que je vais faire; c'est. le voau que je les prie d'exaucer. 'e Là-dessus il porta la coupe à ses lèvres et la vida avec un calme parfait. Jusqu'à ce moment, la plupart d'entre nous avaient été assez maîtres d'eux-mémos pour retenir leurs pleurs; mais quand nous le vîmes boire, quand il eut bu, nous n'en eûmes plus la force. Mes larmes coulaient malgré moi, et si abondamment que je me cachai la figure dans mon manteau pour pleurer sur moi-mé.ne ce n'était pas le sort de =Socrate, c'était le anion que je déplorais, car je savais quel ami je perdais. Déjà =Criton, incapace de contenir ses larmes. s'était levé. Apollodore, qui déjà jusque-là n'avait cessé de pleurer, se rait alors à sangloter, à pousser des cris de douleur et de désasp,,ir, qui brisaient le coeur de tous les assistants. à l'exception de Socrate : « Quelle folie est la vôtre! s'écria-t-il. C'est précisément pour éviter une scène de ce =gcr-c que j'ai renvoyé les femmes; car j'ai toujours entendu dire qu'il ne fallait entendre, au moment de mourir, que des paroles de bon augure) . Montrez donc plus de calme et de fermeté. » Rougissant à ce reproche, nous avons retenu nos pleurs. je le tins immobile sous moi ; tout le peuple cria : « Victoire au fils =d'Ulysse! » Et j'aidai au =Rhodien confus à se relever. Le combat du ceste' fut plus difficile. Le fils d'un riche citoyen de =Samos avait acquis une haute réputation dans ce genre de combats. Tous les autres lui cédèrent'; il n'y eut que moi qui espérai la victoire. D'abord il me donna dans la tête, et puis dans l'estomac', des coups qui me firent vomir le sang et qui répandirent sur mes yeux un épais nuage. Je chancelai ; il me pressait, et je ne pouvais plus respirer; mais je fus ranimé par la voix de Mentor,qui me criait : « O fils =d'Ulysse, seriez-vous vaincu » La colère me donna de nouvelles forces ; j'évitai plusieurs coups dont j'aurais été accablé. Aussitôt que le =Samien m'avait porté un faux' coup et que son bras s'allongeait en vain, je le surprenais clans cette posture penchée. Déjà il reculait, quand je haussai' mon ceste pour tomber sur lui avec plus de force : il voulut esquiver'. et, perdant l'équilibre, il me donna 5o le moyen de le renverser. A peine fut-il étendu par terre, que je lui tendis la main pour le relever. Il se redressa lui-même, couvert de poussière et de sang; sa honte fut extrême, mais il n'osa renouveler le combat. Aussitôt on commença les courses de chariots, que l'on distribua au sort. Le mien se trouva le moindres pour la légèreté des roues et la vigueur des chevaux. Nous partons : un nuage de poussière vole et couvre le ciel. Au commencement, je laissai les autres passer devant moi. Un jeune =Lacédémonien' nommé =Crantor, laissait d'abord tous les autres derrière lui. Un =Crétois", nommé =Polyclète, le suivait de près. =Hippomaque, parent =d'Idoménée, qui aspirait à lui succéder, lâchant les rênes à ses chevaux fumants de sueur, était tout penché sur leurs =crinsT flottants; et le mouvement des roues de son chariot était si rapide qu'elles paraissaient immobiles comme les ailes d'un aigle qui fend les airs. Mes chevaux s'animèrent et se mirent peu à peu visage et de personne vous me rappelez le =LorrainGarin, qui vient parfois dans cette ville et veut bien loger chez moi. Que Dieu lui rende tout le bien qu'il m'a l'ait - Ami, dit =Bégon, c'est mon frère ; nous avons eu le même père et la même mère. Je vis maintenant bien loin d'ici, près de la =Gironde, dans un fief que m'a donné le roi =Pépin'. Il y a plus de sept ans que je n'ai vu mon frère; je vais le voir. Ah! dit Bérenger, vous avez bien des ennemis dans ce pays : c'est vous qui avez tué le comte Baudouin. - J'ai entendu dire, reprend le duc, qu'un sanglier comme on n'en a jamais vu est dans le bois de Vicogne; je veux le chasser et porter sa tête au duc =Garin. C'est vrai, dit =Bérenger, et je connais bien le couvert où il se tient; je vous y mènerai demain. » =Bégon en ressent grande joie; il dégrafe son manteau de sables' et le donne à son hôte : « Bel' hôte, lui dit-il, vous viendrez avec moi. » =Bérenger reçoit le riche manteau et s'incline profondément « Voilà un généreux baron', dit-il à sa femme; on gagne tonjours à servir un prud'hommes. » Dès le matin le duc =Bégon se lève ; son chambellan vient l'aider; il revêt sa cotte' de chasse, chausse ses bêtises et arme ses pieds d'éperons d'or; il monte sur son bon cheval, pend l'écu' à son cou, prend l'épieu au poing et part avec ses dix meutes de chiens; ses trente cavaliers l'accompagnent. Ils passent =l'Escaut et entrent dans le bois, conduits par =Bérenger; ils approchent de la retraite du sanglier, et déjà retentissent les abois et les cris des chiens. On trouve bientôt les traces du porc, les branches qu'il a brisées, les endroits où il a vermillé'. On amène au duc son bon limier =Blanchard; il le délie, il lui caresse les flancs, lui manie les pattes et les oreilles pour l'encourager, et le met sur la piste. Le bon limier vient jusqu'au lit du sanglier : c'est sou Il bougonnait un peu, commençait par vous envoyer au diable vous et votre toupie, et tout de même s'interrompait débonnaiement dans son travail pour vous la raccommoder de main maîtres. - Combien est-ce, =Miliau. Il vous prenait le bout de l'oreille entre ses gros râpeux', faisait mine de serrer légèrement et disait - Me voilà payé, mais n'y reviens plus. if} Nous revenions sans cesse. Il y en avait même, - et j'étaie du nombre, - qui, la classe terminée, s'installaient chez lui àdemeure, jusqu'à la nuit déjà close. L'on y était si bien, dans le: pêle-mêle des ferrailles appuyées aux murs ou traînant à terre, dans le bruit rythmé des marteaux et l'éparpillement féerique des scories en feul =Joignez que =Miliau avait une voix superbe, une voix de métal sonore, comme il disait, en qui le timbrea mordant de l'acier se mariait aux puissantes vibrations du, bronze. De l'aube au crépuscule il chantait. Son répertoire était inépuisable. Il vous promenait en quelques heures â travers le champ si fécond de l'inspiration bretonneJe crois même qu'il improvisait parfois et que l'esprit des temps bardiques vivait en lui. C'était, en tout cas, plaisir de l'entendre, et nous nous en privions le moins possible. Le samedi était le jour de la semaine où la forge présentait le spectacle le plus animé. Les cultivateurs de =Plouzélambre =s'ayaient par groupes' : ils arrivaient montés sur leurs chevaux de labour, les jambes ballantes" du même côté, le chapeau rejeté en arrière, le brûle-gueule aux dents. Et c'étaient des cris, des appels, des remontrances aux bêtes pour les faire tenir tran-- quilles. Les étalons hennissaient, se dressaient debout contre la muraille, balayant le sol du crin de leurs queues; les juments ruaient ou reniflaient avec force ; les hommes jouaient, =tempêaient, claquaient du fouet et tout à coup éclataient en gros rires; quand =Miliau leur jetait une facétie ou les bousculait d'uné bourrade amicale. Il fallait le voir se démener, le rude forgeron, brandissant au bout d'une pince le fer empourpré. Il connaissait MORCEAUX CHOISIS Quoiqu'il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements', des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes. en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de =sou =liers forts'', mal cirés, garnis de clous". On commença la récitation des leçons"'. Il les écouta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon", n'osant même croiser les cuisses, ni s'appuyer sur le coude, et, à deux heures, quand la cloche sonna, le maître d'études fut obligé de l'avertir pour qu'il se mît avec nous dans les rangs. Nous avions l'habitude. en entrant en classe, de jeter nos cas- quettes par terre, afin d'avoir ensuite nos mains plus libres; il fallait, dès le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon à frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussière : c'était là le genre'. Mais soit qu'il n'eût pas remarqué cette manœuvre ou qu'il n'eût osé s'y soumettre, la prières était finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux". C'était une de ces coiffures d'ordre" composite, où l'on retrouve les éléments du bonnet à poila du cllapska, du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de colon", une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbécile'. Ovoïde et renflée nuit et jour, les occupent jusque dans le sommeil, et, par leurs bonds et leurs piqûres, accélèrent le mouvement des esprits" et la circulation du sang. Les puces des brigands, dont je puis vous montrer quelques échantillons dans ma collection entomologique, sont plus rustiques, plus fortes et plus agiles que celles des citadins : le grand air a des vertus si puissantes Mais je m'aperçus trop tôt qu'elles n'étaient pas contentes de leur soit et qu'elles trouvaient. plus de régal sur la peau fine d'un jeune =Allemand que sur le cuir tanné de leurs maîtres Une émigration armée se dirigea sur mes jambes. Je sentis d'abord une vive démangeaison autour des chevilles : c'était la déclaration de guerre". Dix minutes plus tard, une division d'avant-garde se jeta sur le mollet droit. J'y portai vivement la main. Mais, à la faveur de cette diversion, l'ennemi s'avançait à marches forcées vers mon aile gauche et prenait position sur les hauteurs" du genou. J'étais débordé, et toute résistance devenait inutile. Si j'avais -été seul, dans un coin écarté, j'aurais tenté avec quelque succès la guerre d'escarmouches. Mais la belle =Mary-Ann était devant moi, rouge comme une cerise et tourmentée peut-être aussi par quelque ennemi secret. Je n'osais ni me plaindre ni me défendre; je dévorais héroïquement" mes douleurs sans lever les yeux sur Miss =Simons et je souffrais pour elle un martyre dont elle ne me saura jamais gré. Enfin, à bout de patience et décidé à me soustraire par la fuite au flot montant des invasions, je demandai à comparaître devant le Roi. RENDEZ-VOUS A =PICCADILLY La scène se passe à Londres, un jour où le brouillard est particulièrement dense. L'héroïne quitte sa maison pour aller rejoindre un ami, =Stève, qui doit l'attendre, à proximité, dans un taxi. Je cours à travers la maison, je vole vers mon rendez-vous, je franchis le petit jardin; la porte était entrebâillée et, dans l'opacité laiteuse, je distingue une silhouette vague qui me paraît ressembler à un taxi. J'ouvre la portière, je me glisse dans le véhicule qui démarre sans que j'aie le temps de dire « ouf Il faisait très sombre dans la voiture, d'abord parce que le plafonnier n'était pas allumé, et ensuite parce que le fog avait empli l'intérieur du véhicule d'une buée de lessive à la senteur lourde, un peu écoeurante. Il y avait quelqu'un assis à côté de moi sur la banquette de vieille moleskine; quelqu'un dont j'apercevais confusément la forme générale, agrémentée d'un parapluie soigneusement roulé appuyé tout près de mon genou, et d'un chapeau melon. Et ce quelqu'un, je m'en suis brusquement rendu compte, n'était pas Stève. Non, Stève ne ressemblait pas du tout à l'homme qui, mystérieux, inex- plicable, était tapi à côté de moi. Dans un accès de panique je m'efforçai de déchiffrer sur les traits de mon voisin le visage de l'homme que j'avais connu à =Palerme. Mais à quoi bon? Le personnage, dont la main gantée s'appuyait à la poignée du parapluie à quelques centimètres de moi, était plus gros et plus petit que Stève. Il était entouré d'une sorte d'aura poivrée et un peu âpre où se mêlaient l'odeur de la laine mouillée de son pardessus et la senteur agressive d'une eau de toilette de luxe dont il semblait littéralement imbibé. Immobile et muet, n'offrant à mes regards inquiets qu'un profil noyé d'ombre, il paraissait parfaitement imperméable à ma présence. L'ENFANCE DE =BEETHOVEN Dès le commencement, la vie se révéla à lui comme un combat triste et brutal. Son père voulut exploiter ses dispositions musicales et l'exhiber comme un petit prodige. A quatre ans, il le clouait pendant des heures devant son clavecin, ou l'enfermait avec un violon, et le tuait de travail. Peu s'en fallut qu'il ne le dégoûtât à tout jamais de l'art. Il fallut user de violence pour que Beethoven apprît la musique. Sa jeunesse fut attristée par les préoccupations matérielles, le souci de gagner son pain, les tâches trop précoces. A onze ans, il faisait partie de l'orhestre du théâtre; à treize ans, il était organiste. En =1787, il perdit sa mere qu'il adorait; « Elle m'était si douce, si digne d'amour, ma meilleure amie! Oh! qui était plus heureux que moi, quand je pouvais prononcer le doux nom de mère, et qu'elle pouvait l'entendre? » Elle était morte phtisique; et Beethoven se croyait atteint de la même maladie, il souffrait déjà constamment; à son mal se joignait une mélancolie, plus cruelle que le mal. A dix-sept ans, il était chef de famille, chargé de l'éducation de ses deux frères; il avait la honte de devoir solliciter la mise à la retraite de son père, ivrogne, incapable de diriger la maison; c'est au fils qu'on remettait la pension du père, pour éviter que celui-ci la dissipât. Ces tristesses laissèrent en lui une empreinte profonde. Si triste qu'ait pu être l'enfance de Beethoven, il garda toujours pour elle, pour les lieux où elle s'écoula, un tendre et mélancolique souvenir. Forcé de quitter =Bonn', et de passer presque toute sa vie à =Vienne, dans la grande ville frivole et ses tristes faubourgs, jamais il n'oublia la vallée du =Rhin, et grand fleuve auguste et paternel, unser mater Rhein, comme il l'appelle, « notre père le =Rhin », si vivant, en effet, presque humain, pareil à une âme gigantesque où passent des pensées et des forces innombrables, nulle part plus beau, plus puissant et plus doux qu'en la délicieuse =Bonn, dont il baigne les pentes ombragées et fleuries, avec une violence caressante. Là, =Beethoven a vécu ses vingt premières années; là, se sont formés les rêves de son Coeur d'adolescent. A ce pays, son caeur reste éternellement fidèle; jusqu'au dernier. 2 - LES CIGOGNES La scène se passe dans la petite ville =d'AlsacedeHunebourg, devant la brasserie du =GrandCerf. « Les cigognes sont arrivées! Les cigognes sont arrivées! » Il se fit un grand tumulte; chacun quittant sa chope pour aller voir les cigognes. En moins d'une minute, il y eut plus de cent personnes, le nez en l'air, devant le =GrandCerf. Tout au haut de l'église, une cigogne, debout sur son échasse, ses ailes noires repliées au-dessus de sa queue blanche, le grand bec roux incliné d'un air mélancolique, faisait l'admiration de toute la ville. Le mâle tourbillonnait autour et cherchait à se poser sur la roue, où pendaient quelques brins de paille. « Elles arrivent de Jérusalem!... Elles se sont posées sur les pyramides =d'Egypte! Elles ont traversé les mers! » Tout le long de la rue, devant la halle, on ne voyait que des commères, de vieux papas et des enfants, le cou replié, dans une sorte d'extase. Quelques vieilles disaient en s'essuyant les yeux : « Nous les avons encore revues une fois... ». Les cigognes, après un instant de repos, venaient • de se remettre en route pour faire le tour de la ville et prendre possession des nuages de =Hunebourg; et toute la place, transportée d'enthousiasme, poussait un cri d'admiration. Les deux oiseaux, comme pour répondre à ce salut, tout en planant, faisaient claquer leur bec, et une troupe d'enfants les suivaient dans la rue des Capucins, criant « Tra, ri, ro, l'été vient encore une fois! You, you, l'été vient encore une fois.. ». Et jusqu'à sept heures, il ne fut plus question que du retour des cigognes, et de la protection qu'elles étendent sur les villes où elles nichent; sans parler d'une foule d'autres services particuliers à Hunebourg, comme d'exterminer les crapauds, les couleuvres et les lézards, dont les vieux fossés seraient infestés sans elles ; et non seulement les fossés, mais encore les deux rives de la =Lauter, où l'on ne verrait que des reptiles, si ces oiseaux n'étaient pas envoyés du ciel pour détruire la vermine des champs. J'ai froid aux pieds comme =Lachenal. Sans arrêt je fais fonctionner mes orteils, même en marchant. Ils sont insensibles, mais souvent en montagne cela m'est arrivé; il suffit de persévérer pour maintenir la circulation. Même à travers les lunettes, la neige est aveuglante, le soleil tape directement sur la glace. Nous dominons les arêtes vertigineuses qui filent vers l'abîme. En bas, tout là-bas, les glaciers sont minuscules. Les sommets qui nous étaient familiers jaillissent, hauts dans le ciel comme des flèches. Brusquement Lachenal me saisit « Si je retourne, qu'est-ce que tu fais? » En un éclair, un monde d'images défile dans ma tête; les journées de marche sous la chaleur torride, les rudes escalades, les efforts exceptionnels déployés par tous pour assiéger la montagne, l'héroïsme quotidien de mes camarades pour installer, aménager les camps. A présent, nous touchons au but! Et il faudrait renoncer! C'est impossible. Mon être tout entier refuse. Je suis décidé, absolument décidé! La voix sonne clair « Je continuerai seul! » S'il veut redescendre, je ne peux pas le retenir Il peut choisir en pleine liberté. Mon camarade avait besoin que cette volonté s'affirmât. Il n'est pas le moins du monde découragé; la prudence seule, la présence du risque lui ont dicté ces paroles. Sans hésiter, il choisit « Alors, je te suis! » Les dés sont jetés. L'angoisse est dissipée. Mes responsabilités sont prises. Rien ne nous empêchera plus d'aller jusqu'en haut. Ces quelques mots échangés avec =Lachenal modifient la situation psychologique. Cette fois, nous sommes frères. Il y a quelque chose d'irréel dans la perception que j'ai de mon compagnon et de ce qui m'entoure. Intérieurement, je souris de la misère de nos efforts. Je me contemple de l'extérieur faisant ces mêmes mouvements. Mais l'effort est aboli comme s'il n'y avait plus de pesanteur. Ce paysage diaphane, cette offrande de pureté n'est pas ma montagne. C'est celle de mes rêves. Avec la neige qui brille au soleil et saupoudre le moindre rocher, le décor est d'une radieuse beauté. La transparence absolue est inhabituelle. Je suis dans un univers de cristal. Les sons s'entendent mal. L'atmosphère est ouatée. Une coupure immense me sépare du monde. J'évolue dans un domaine DANS L'ANTRE DU =CYCLOPE Les trois récits qui suivent sont tirés de =l'Odyssée, ouvrage dans lequel le poète grec Homère, vers le ixe siècle avant notre ère, raconte les aventures =d'Ulysse, roi de l'île =d'Ithaque. =Ulysse, après avoir pris part pendant dix ans à la guerre de =Troie, veut revoir son pays. Mais, avec ses compagnons, il devra voguer durant dix années encore et vivre de nombreuses aventures. Celle que nous rapportons ici se déroule au pays des =YeuxRonds. Ainsi sont nommés les Cyclopes, géants cruels ne possédant qu'un oeil au milieu du front. Ulysse raconte comment il pénétra dans l'antre de =Polyphème, l'un de ces Cyclopes, et ce qu'il en advint. Nous eûmes vite atteint l'endroit où, sur le premier cap et dominant la mer, s'offrait à nos regards une haute caverne, ombragée de lauriers. Elle servait d'étable à de nombreux troupeaux de brebis et de chèvres, avec sa cour pro- fonde, dont l'enceinte était faite de gros blocs arrachés, de chênes .à panache et de pins au long fût. C'est là que notre monstre humain avait son gîte; c'est là qu'il vivait seul, à paître ses troupeaux, ne fréquentant personne, mais toujours à l'écart et ne pensant qu'au crime. Je débarque et j'ordonne à mon brave équipage de garder le vaisseau sans bouger de la grève; mais je pars, n'emmenant que douze hommes d'élite que j'avais désignés. J'emportais avec moi, dans l'outre en peau de chèvre, de ce vin noir si doux, que le fils =d'Evantheus, =Maron, m'avait donné. Rapidement, nous arrivons à la caverne : il n'était pas chez lui; il était au pacage avec ses gras moutons. Nous entrons dans la grotte, dans les enclos bondés.... Mais aussitôt entrés, mes gens n'ont de paroles que pour me supplier de prendre les fromages, les agneaux, les chevreaux, de vider les enclos et de nous en aller en courant, au croiseur, retrouver l'onde amère. C'est moi qui refusai; ah! qu'il eût mieux valu! Mais je voulais le voir et savoir les présents qu'il nous ferait, cet hôte! Le voici qui revient, ramenant son troupeau : il porte à pleine charge un tas de branches mortes, pour le feu du souper; sous la voûte, il les jette avec un tel fracas qu'éperdus, nous fuyons au fond de la caverne. Il fait alors entrer dans cette vaste salle tout le troupeau dodu des femelles à traire; mais il laiss =TRISTAN ET LE =MORHOLT Au pays de =Cornouailles règne, dans son château de =Tintaqel, le roi =Marc. Son neveu, le preux =Tristan de =Locnnois, s'est proposé pour livrer bataille au =Morholt, un guerrier géant venu lever, pour le roi =d'Irlande, un horrible tribut de trois cents jeunes garçons et trois cents jeunes filles de l'âge de quinze ans, tirés au sort entre les familles de =Cornouailles. Au jour dit, =Tristan se plaça sur une courtepointe de cendal vermeil, et se fit armer pour la haute aventure. Il revêtit le haubert et le heaume d'acier bruni. Les barons pleuraient de pitié sur le preux et de honte sur eux-mêmes. « Ah ! =Tristan, se disaient-ils, hardi baron, belle jeunesse, que n'ai-je, plutôt que toi, entrepris cette bataille? Ma mort jetterait un moindre deuil sur cette terre ! » Les cloches sonnent, et tous, ceux de la baronnie et ceux de la gent menue, vieillards, enfants et femmes, pleurant et priant, escortent =Tristan jusqu'au rivage. Ils espéraient encore, car l'espérance au coeur des hommes vit de chétive pâture. =Tristan monta seul dans une barque et cingla vers l'île =Saint-Samson. Mais le =Morholt avait tendu à son mât une voile de riche pourpre, et le premier il aborda dans l'île. Il attachait sa barque au rivage, quand =Tristan, touchant terre à son tour, repoussa du pied la sienne vers la mer. Vassal, que fais-tu? dit le =Morholt, et pourquoi n'as-tu pas retenu comme moi ta barque par une amarre? - Vassal, à quoi bon? répondit =Tristan. L'un de nous deux reviendra seul vivant d'ici : une seule barque ne lui suffit-elle pas? » Et tous deux, s'excitant au combat par des paroles outra- geuses, s'enfoncèrent dans l'île. Nul ne vit l'âpre bataille, mais, par trois fois, il sembla que le vent de mer portait au rivage un cri furieux. Alors, en signe de deuil, les femmes battaient leurs paumes en choeur, ,et les compagnons du =Morholt, massés à l'écart devant fleurs tentes, riaient. Enfin, vers l'heure de none, on vit au. LE =RENARD ET LE BOU Capitaine =Renard allait de compagnie Avec son ami =Bouc des plus haut encornés. Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez; L'autre était passé maître en fait de tromperie. l La soif les obligea de descendre en un puitsLà, chacun d'eux se désaltère. Après qu'abondamment tous deux en eurent pris, Le =Renard dit au =Bouc : « Que ferons-nous, compère ? Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici. Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi; Mets-les contre le mur : le long de ton échine Je grimperai premièrement: Puis sur tes cornes m'élevant, A l'aide de cette machine, De ce lieu-ci je sortirai. Après quoi je t'en tirerai. - Par ma barbe, dit l'autre, il est bon; et je lou Les gens bien sensés comme toi. Je n'aurais jamais, quant à moi, Trouvé ce secret, je l'avoue. » Le =Renard sort du puits, laisse son compagnon Et vous lui fait un beau sermon Pour l'exhorter à patience. « Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence Autant de jugement que de barbe au menton, Tu n'aurais pas, à la légère, Descendu dans ce puits. Or adieu; j'en suis hors; Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts; Car, pour moi. j'ai certaine affaire Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin. » En toute chose il faut considérer la fin. MŒURS D'AUTREFOIS LE SAVANT ET LE VOLEUR L'abbé de =Molières était un homme simple et pauvre, étranger à tout, hors à ses travaux sur le système de Descartes; il n'avait point de valet et travaillait dans son lit, faute de bois, sa culotte sur sa tête par-dessus -son bonnet, les deux côtés pendant à droite et à gauche. Un matin, il entend frapper à sa porte. « Qui va là? Ouvrez. » Il tire un cordon et la porte s'ouvre. L'abbé de =Molières, ne regardant point : « Qui êtes-vous? - Donnez- moi de l'argent. - De l'argent ? - Oui, de l'argent. - Ah ! j'entends : vous êtes un voleur? - Voleur ou non, il me faut de l'argent. - Vraiment oui, il vous en faut ? Eh bien ! cherchez là-dedans. » Il tend le cou, et présente un des côtés de la culotte; le voleur fouille : « Eh bien ! il n'y a point d'argent. - Vraiment non, mais il y a ma clef. - Eh bien ! cette clef ? Cette clef, prenez-la. - Je la tiens. - Allez-vous-en à ce secrétaire; ouvrez. » Le voleur met la clef à un autre tiroir : « Laissez donc, ne dérangez pas, ce sont mes papiers ! Ventrebleu ! finirez-vous ? ce sont mes papiers; à l'autre tiroir vous trouverez de l'argent. - Le voilà. - Eh bien ! prenez. Fermez donc le tiroir!... » Le voleur s'enfuit. « Monsieur le voleur, fermez donc la porte. =Morbleu ! il laisse la porte ouverte ! Quel chien de voleur ! Il faut que je me lève par le froid qu'il fait! Maudit voleur ! » L'abbé saute en pieds, va fermer la porte, et revient se mettre au travail, sans penser peut-être qu'il n'avait pas de quoi paver son dîner. FLEURS DÉMODÉES Ce matin, en visitant mes Heurs entourées de la barrière blanche qui les défend contre les bonnes vaches qui paissent dans l'herbage, je revois en pensée tout ce qui s'épanouit dans les bois, dans les plaines, les jardins, les orangeries et les serres; et je songe à ce que nous devons au monde mer- veilleux que visitent les abeilles. J'aime surtout les plus simples, les plus vulgaires, les plus anciennes et les plus démodées; celles qui ont derrière elles un long passé humain, une longue suite de bonnes actions consolantes, celles qui nous accompagnent depuis des centaines d'années et qui font partie de nous-mêmes, puisqu'elles mirent quelque chose de leur grâce et de leur joie de vivre dans l'âme de nos aïeux. Mais où se cachent-elles? Elles deviennent plus rares que celles qu'on appelle aujourd'hui les fleurs rares. Leur existence est secrète et précaire. Il semble que l'on soit sur le point de les perdre, et peut-être en est-il qui viennent de disparaître, enfin découragées, dont les graines sont mortes sous les ruines, qui ne connaîtront plus la rosée des jardins et qu'on ne retrouvera que dans de très vieux livres, parmi les gazons clairs des miniatures bleues ou le long des par- terres jaunis des primitifs. Elles sont chassées des plates-bandes et des corbeilles orgueilleuses par d'arrogantes inconnues arrivées du =Pérou, du Cap, de la Chine, du Japon. Elles ont notamment deux impitoyables ennemis. C'est d'abord, l'encombrant et prolifique =Bégonia tubéreux qui pullule dans les parterres comme un peuple de coqs intransigeants, aux crêtes innombrables. Il est joli, mais abusif et un peu artificiel; et quels que soient le silence e recueillement de l'heure, sous le soleil et sous la lune, l'ivresse du jour et la paix solennelle de la nuit, il sonne du clairon et célèbre une victoire monotone, criarde et sans parfums. Ensuite, c est le =Géranium double, un peu/ L'ÈRE DES GRANDES DÉCOUVERTES Dans un jardin, en vacances, trois enfants jouent « aux explorateurs ». des grandes découvertes commença. Les six massifs. U ère des grandes découvertes commença. Les six massifs furent six continents, que l'on découvrit l'un après l'autre. Avec la serre, on atteignit les régions tropicales. Et un soir, au moment où la cloche du dîner sonnait, les explorateurs, béants, avaient aperçu, qui moutonnait au loin devant eux, comme une mer inconnue et sauvage, pour la première fois reflétée par des yeux humains : le réservoir du potager ! Mais tout cela ne fut pas l'eeuvre d'un jour, ni même d'une semaine. Chaque continent fut exploré dans tous les coins. Les plus voisins, qu'un bras de mer seulement séparait de l'île, présentaient un semblant de civilisation. Leurs rivages étaient assez peuplés. Il y avait même quelques villes. Mais l'intérieur n'était qu'une immense prairie. Pendant des lieues et des lieues, on marchait à travers les hautes herbes, car, naturellement, on supposait qu'on était tout petit, à l'échelle du massif-continent. D'autres parties du monde offrirent plus de variété. Le carré au persil fut un grand pays de verdures légères, que de longues brises caressaient. Ailleurs, au milieu d'un vaste désert, on découvrit une demi-douzaine de rois obèses, au corps jaune et tout rond, posés à même le sable. De grands parasols verts abritaient à peine leur énorme rotondité, et. comme ils ne pouvaient se mouvoir, leurs peuples les nour- rissaient au moyen d'un ingénieux réseau de gros câbles verts, tout velus, et frais au toucher. Dans le cinquième continent que l'on découvrit, un des plus éloignés de l'île, et dont le rivage paraissait inhabité, on rencontra, à cinq jours de marche dans l'intérieur, une immense ville faite de palais de verre tous semblables, en forme de dômes, et bien alignés. Cette ville était si belle que les explorateurs poussèrent un cri et se sentirent récompensés de tous leurs travaux. Mais l'éclat du soleil sur les dômes de verre était si douloureux pour leurs yeux que, dans la LE MOINE RICHER / Les plaisirs du voyage En =991 le moine =Richer entreprend avec un domestique et un autre compagnon le périlleux voyage de =Reims à =Chartres. Il raconte son aventure en latin. Songez que les chemins étaient très mauvais, infestés de brigands et qu'il n'y avait pas d'hôtels. C'est dépourvu d'argent, de vêtements de rechange et d'auties objets nécessaires que j'arrivai à =Orbais, monastère réputé pour sa grande hospitalité. J'y trouvai un réconfort dans l'accueil du seigneur abbé en même temps qu'une aide dans sa générosité et le lendemain je partis pour =Meaux. Mais m'étant engagé avec mes deux compagnons dans les sentiers sinueux des bois, a j'eus bien des déboires. Nous étant égarés à des carre- fours, nous fîmes un détour de six lieues. Après la traversée de =Château-Thierry la monture qui avait paru jusque-là un =Bucéphale commença à marcher au pas d'un ânon. Le soleil allait se coucher ; le temps était pluvieux. Soudain notre vigoureux =Bucéphale épuisé par un effort suprême, s'abattit entre les jambes du domestique qui le montait et expira foudroyé à six milles de la ville. Le domestique qui n'était pas habitué aux difficultés d'un si grand voyage était rompu de fatigue. Il s'était couché par terre depuis qu'il avait perdu son cheval. Il n'y avait plus de monture pour porter les bagages. Des averses diluviennes tombaient. Le ciel était couvert de nuages obscurs. Le soleil, qui déjà se couchait, menaçait de nous plonger dans les ténèbres. Parmi tous ces ennuis, Dieu ne me refusa pas son conseil. Je laissai sur place le domestique avec les bagages; je lui dictai la réponse à faire aux passants qui le questionneraient ; je l'invitai à résister au sommeil qui l'envahissait et, accompagné du cavalier chartrain, j'arrivai à Meaux. Je distinguai avec peine à la clarté du jour le pont sur lequel je m'avançai ; mais en le contemplant je fus saisi de nouvelles émotions. Il était percé de trous si grands et si nombreux que ceux qui allaient habituellement à Meaux avaient eu de la peine à le traverser dans la journée. Le Chartrain qui était un homme actif et qui avait l'expérience des voyages, chercha partout aux alentours un bateau. N'en trouvant pas il revint tenter les dangers du pont et, grâce au ciel, les chevaux le traversèrent sans accident. =EURIPIDE /La mort de Polyxène La petite =Polyxène est devenue une belle jeune fille. Mais =Troie est prise ; toute la famille de =Priam est captive des =Grecs. L'ombre =d'Achille mort apparaît et demande que =Polyxène soit sacrifiée sur sa tombe. Même mort, il veut encore du sang. =Ulysse annonce à =Hécube que =Polyxène doit mourir. =Euripide, auteur de la tragédie =Hécube, est un poète athénien du ve siècle avant. =HÉCUBE Ah ! la voici venue, paraît-il, la lutte décisive, pleine de sanglots et pleine de larmes ! Non, je ne suis pas morte quand j'aurais dû mourir : au lieu de me tuer, Zeus m'a fait vivre pour voir d'autres malheurs surpasser mes malheurs, infortunée ! (Se prosternant devant Ulysse.) Je t'en conjure ! N'arrache pas mon enfant de mes bras ; ne la tuez pas ! c'est bien assez de morts. Elle est ma joie et me fait oublier mes maux ; voici la consolation qui me tient lieu de tant de choses, ma cité, ma nourrice, mon bâton, mon guide. Les puissants ne doivent pas abuser de leur puissance, ni croire, étant heureux, qu'ils le seront toujours. Moi aussi, je l'étais jadis ; aujourd'hui je ne le suis plus ; toute ma prospérité, un seul jour me l'a ravie ; épargne-moi, pitié ! Las sur moi ! Je succombe et mes membres défaillent. O ma fille ! touche ta mère, étends la main ; donne ! Ne me laisse pas sans enfant ! =Polyxène disparaît avec =Ulysse. =Hécube s'affaisse sur le sol.) Ah ! je suis morte, amies ! Puissé-je voir en cet état la =Laconienne, sceur des deux =Dioscures, =Hélène ! Ses beaux yeux ont infligé au bonheur de Troie la plus affreuse ruine. (Elle reste étendue sur le dos, enveloppée dans ses voiles). Peu après un =Grec vient sur scène raconter la mort de =Polyxène. Toute la foule de l'armée achéenne était là au complet, devant le tombeau. Prenant par la main =Polyxène, le fils =d'Achille la plaça debout au sommet du tertre funèbre, et j'étais tout auprès. Une élite de jeunes gens choisis parmi les Achéens nous suivaient. Tenant une Journal d'un bourgeois de =Paris Dans la première moitié du xve siècle, pendant les années les plus douloureuses de la guerre de =CentAns, un bourgeois de =Paris, dont on ne connaît pas le nom, a écrit son journal. On y voit revivre ces temps de tristesse, de défaites et de misère. =RIPAILLES ET =COHUES Les Anglais occupent =Paris. Le pauvre roi de =France, =CharlesVI, est mort fou. Le =27 novembre =1431, c'est le jeune roi =d'Angleterre, =Henri VI, alors âgé de neuf ans, qui est sacré roi de =France à =Notre-Dame de =Paris. Après le sacre, il revint dîner avec sa suite dans la grand'salle du =Palais à la grande table de marbre. Tout le reste de l'assistance se plaça au hasard dans la salle car il n'y avait aucune étiquette. Le peuple de =Paris y était entré dès le matin, les uns pour voir, les autres pour dévorer, d'autres encore pour piller ou dérober les viandes ou autre chose. C'est ainsi qu'on vola dans cette foule plus de quarante chaperons et qu'un grand nombre de boucles de ceintures furent coupées. La presse était si grande que ni l'Université, ni le Parlement ni le Prévôt des marchands, ni les échevins n'osaient essayer de franchir la foule. Ils crurent y réussir à deux ou trois reprises mais le commun les repoussa si vigoureusement qu'ils trébuchèrent plusieurs fois les uns sur les autres, à quatre-vingts ou cent ensemble. C'est là que travaillaient les larrons !... Quand la foule fut écoulée ils montèrent les marches mais, arrivés dans la salle tout était si plein qu'ils purent à peine s'asseoir. Ils se mirent cependant aux tables qui avaient été préparées pour eux mais ce fut en compagnie de savetiers, de lieurs, de marchands de vin, d'aides-maçons que l'on tenta de faire lever mais réussissait-on pour un ou deux qu'il s'en asseyait six ou huit de l'autre côté. Ils furent si mal servis que personne n'eut à se du repas. La plupart des viandes, surtout celles que l'on destinait au commun avaient été cuites le jeudi précédent, ce qui semblait très étrange aux =Français. C'étaient les Anglais qui commandaient le travail et ils ne se souciaient aucunement d'en tirer quelque honneur pourvu qu'ils en fussent délivrés. Même les malades de =l'Hôtel-Dieu dirent que jamais ils n'avaient vu à Paris des restes si pauvres et si maigres. en muscadin tel garçon qui-eût passé la nuit précédente dans une bergerie abandonnée. Il y avait, sur la cheminée, des allumettes auprès d'un grand flambeau. Mais on avait omis de cirer le parquet ; et =Meaulnes sentit rouler sous ses souliers du sable et des gravats. De nouveau il eut l'impression d'être dans une maison depuis longtemps abandonnée. En allant vers la cheminée, il faillit buter contre une pile de grands cartons et de petites boîtes : il étendit le bras, alluma la bougie, puis souleva les couvercles et se pencha pour regarder. C'étaient des costumes de jeunes gens d'il y a longtemps, des redingotes à hauts cols de velours, de fins gilets très ouverts, d'interminables cravates blanches et des souliers vernis du début de ce siècle. Il n'osait rien toucher du bout du doigt, mais après s'être nettoyé en frissonnant, il endossa sur sa blouse d'écolier un des grands manteaux dont il releva le collet plissé, remplaça ses souliers ferrés par de fins escarpins vernis et se prépara à descendre nu-tête. Il arriva, sans rencontrer personne, au bas d'un escalier de bois, dans un recoin de cour obscur. Il était là, dans son grand manteau, comme un chasseur, à demi penché, prêtant l'oreille, lorsqu'un extraordinaire petit jeune homme sortit du bâtiment voisin, qu'on aurait cru désert. Il avait un chapeau haut de forme très cintré qui brillait dans la nuit comme s'il eût été d'argent ; un =Costumes =Restauratio habit dont le col lui montait dans les cheveux, un gilet très ouvert, un pantalon à sous-pieds. Cet élégant, qui pouvait avoir quinze ans, marchait sur la pointe des pieds comme s'il eût été soulevé par les élastiques de son pantalon, mais avec une rapidité extraordinaire. Il salua Meaulnes au passage sans s'arrêter, profondément, automatiquement, et disparut dans l'obscurité, vers le bâtiment central, ferme, château ou abbaye, qanoucoup dont la tourelle avait guidé l'écolier au début de l'après-midi. « Si vous leur faisiez un beau morceau de veau, comme c'est samedi. » Si à dix heures et demie un distrait tirait sa montre en disant : « Allons, encore une heure et demie avant de déjeuner », chacun était enchanté d'avoir à lui dire : « Mais voyons, à quoi pensez-vous, vous oubliez que c'est samedi ! » On en riait encore un quart d'heure après et on se promettait de monter raconter cet oubli à ma tante pour l'amuser. Le visage du ciel même sem- blait changé. Après le déjeuner, le soleil conscient que c'était samedi, flânait une heure de plus en haut du ciel, et quand quelqu'un, pensant qu'on était en retard pour la promenade, disait : « Comment, seulement deux heures ? » en voyant passer les deux coups du clocher de Saint-Hilaire (qui ont l'habitude de ne rencontrer encore personne dans les chemins désertés à cause du repas de midi ou de la sieste, le long de la rivière vive et blanche que le pêcheur même a abandonnée) tout le monde en choeur lui répondait : « Mais ce qui vous trompe, c'est qu'on a déjeuné une heure plus tôt, vous savez bien que c'est samedi ! » La surprise d'un barbare (nous appelions ainsi tous les gens qui ne savaient pas ce qu'avait de particulier le samedi) qui, étant venu à onze heures pour parler à mon père, nous avait trouvés à table, était une des choses qui, dans sa vie avaient le plus égayé =Françoise. Mais si elle trouvait amusant que le visiteur interloqué ne sût pas que nous déjeunions plus tôt le samedi, elle trouvait plus comique encore (tout en sympathisant au fond du caeur avec ce chauvinisme étroit) que mon père, lui, n'eût pas eu l'idée que ce barbare pouvait l'ignorer et eût répondu sans autre explication à son étonnement de nous voir déjà dans la salle à manger : « Mais voyons, c'est samedi ! » Parvenue à ce point de son récit, elle essuyait des larmes d'hilarité et pour accroître le plaisir qu'elle éprouvait, elle prolongeait le dialogue, inventait ce qu'avait répondu le visiteur à qui ce « samedi » n'expliquait rien. Et bien loin de nous plaindre de ses additions, elles ne nous suffisaient pas encore et nous disions : « Mais il me semblait qu'il avait dit autre chose. C'était plus long la première fois quand vous l'avez raconté. » Ma grand-tante elle-même laissait son ouvrage, levait la tête et regardait par-dessus son lorgnon. =SAINT-SIMON Princesse et femme de chambre Grand seigneur ambitieux, et témoin exemplaire, le duc de =Saint-Simon =1675 =1755 avait vu de fort près la cour de =Louis =XIV et les événements de la =Régence. C'est ce monde et cette époque-là qu'il fait revivre dans ses =Mémoires. Voici une page de =Saint-Simon sur la princesse =d'Harcourt. Une princesse, au =xvue siècle. Vous l'imaginez sans doute pleine de distinction et de dignité ? Eh bien, lisez le texte. Cette princesse =d'Harcourt était alors une grande et grosse créature, fort allante, couleur de soupe au lait avec de grosses et vilaines lippes et des cheveux de filasse toujours sortants et traînants, comme tout son habillement ; sale, malpropre, toujours intriguant, prétendant, entreprenant, toujours querellant, et tou- jours basse comme l'herbe, ou sur l'arc-en-ciel, selon ceux à qui elle avait affaire ; c'était une furie blonde et de plus une harpie : elle en avait l'effronterie, la méchanceté, la fourbe et la violence ; elle en avait l'avarice et l'avidité; elle en avait encore la gourmandise. Elle payait mal ou point ses gens ; elle les battait, et était forte et violente, et changeait de domestiques tous les jours. Elle prit, entre autres, une femme de chambre forte et robuste à qui, dès la première journée, elle distribua force tapes et soufflets. La femme de chambre ne dit mot, et, comme il ne lui était rien dû, n'étant entrée que depuis cinq ou six jours, elle donna le mot aux autres, de qui elle avait su 'l'air de la maison, et un matin qu'elle était seule dans la chambre de la princesse =d'Harcourt et qu'elle avait envoyé son paquet dehors, elle ferme la porte en dedans sans qu'elle s'en aperçût, répond à se faire battre comme elle l'avait déjà été, et, au premier soufflet, saute sur la princesse, lui donne cent soufflets et autant de coups de poing et de pied, la terrasse, la meurtrit 'depuis les pieds jusqu'à la tête, et, quand elle l'a bien battue à son aise et à son plaisir, la laisse à terre toute déchirée. et toute échevelée, hurlant à pleine tête, ouvre la porte, la ferme dehors à double tour, gagne le degré et sort de la maison. =Fantine vient de mourir. Son protecteur =JeanValjean, ex-maire de =Montreuil, est traqué par l'implacable Javert. Il n'a qu'une pensée en tête : échapper aux policiers pour recueillir et élever la petite Cosette, fille de la morte. Chez lui, dans sa chambre, il prepare fiévreusement sa fifite. =avert est sur ses traces. ... On frappa deux petits coups à la porte. « Entrez », dit-il. C'était la sceur =implice. Elle était pâle, elle avait les yeux rouges, la chandelle qu'elle tenait vacillait dans sa main. Dans les émotions de cette journée, la religieuse était redevenue femme. Elle avait pleuré, et elle tremblait. =JeanValjean venait d'écrire quelques lignes sur un papier qu'il tendit à la religieuse en disant « Ma seeur, vous remettrez ceci à =MleCuré. Vous pouvez lire. » Elle lut : « Je prie =MonsieurleCuré de veiller sur tout ce que je laisse ici. Il voudra bien payer là-dessus les frais de mon procès et l'enterrement de la femme qui est morte aujourd'hui. Le reste sera aux pauvres. » La sceur voulut parler, mais elle put à peine balbutier quelques sons inarticulés. Elle parvint cependant à dire « Est-ce que =MonsieurleMaire ne désire pas revoir une dernière fois cette pauvre malheureuse ? - Non, dit-il, on est à ma poursuite, on n'aurait qu'à m'arrêter dans sa chambre, cela la troublerait. » Il achevait à peine qu'un grand bruit se fit dans l'escalier. Ils entendirent un tumulte de pas qui mon- taient, et la vieille portière qui disait de sa voix la plus haute et la plus perçante « Mon bon monsieur, je vous jure le bon Dieu qu'il n'est entré personne ici de toute la journée ni de toute la soirée, que même je n'ai pas quitté ma porte ! » Un homme répondit « Cependant il y a de la lumière dans cette chambre. » Ils reconnurent la voix de =Javert. La chambre était disposée de façon que la porte en s'ouvrant masquait l'angle du mur à droite. =JeanValjean souffla la bougie et se mit dans cet angle. L'âne du chiffonnier =PaulLéautaud qui parle souvent des hommes avec une cruauté et une amertume déplaisantes, traitait gentiment, affec- tueusement les bêtes, et il a écrit sur ses relations avec elles des pages agréables. Ah ! il faut que je vous fasse part d'une nouvelle relation que je me suis faite. C'est l'âne d'un chiffonnier dont la carriole stationne tous les matins, rue =GayLussac, devant la gare du Luxembourg. Je le trouve là quand je débarque de mon train, à neuf heures moins dix. Voilà déjà deux mois que nous nous connaissons. Comment s'appelle-t-il ? Je n'ai pas encore pu le demandes à son patron qui n'est jamais là. Sans doute s'appelle t-il =Charlot, comme beaucoup d'ânes, comme l'âne de =JulesJanin ? Un petit âne, tout petit, tout gris, har- naché de cordes, un vrai âne de chiffonnier. Il a fait ma conquête dès le premier jour et je crois bien que j'ai fait aussi la sienne. J'ai toujours du sucre sur moi. Je lui en ai offert un morceau. Il lui a fait très bon accueil. Depuis, c'est devenu une habitude. Il faut le voir quand j'arrive. Je sors à peine de la gare que je le vois tourner la tête. Dès que j'approche près de lui, il a un petit conten- tement. Je lui donne son sucre. Quand il a fini, je le caresse un peu, je me penche vers lui, je l'exhorte en moimême au courage. Il y en a tant qui sont si malheureux une existence de travail et des coups ! C'est vraiment une nouvelle relation dans ma vie. Il y tient certainement plus de place que bien d'autres ânes que je connais. Chaque matin, avant de partir, je m'assure que j'ai bien le sucre qu'il attend. Quand je manque mon train, et le dimanche quand je ne viens pas à =aris, je suis ennuyé en pensant que je manque au rendez-vous et qu'il a une déception. de la petite classe, si le hasard de ma maladresse ne m'eût fait dévier un peu. J'en fus quitte pour deux genoux très écorchés sur les tuiles ; mais ce ne fut point là l'objet de ma préoccupation. Mon talon avait enfoncé une partie du châssis de cette maudite fenêtre et brisé une demi-dousaine de vitres qui tombèrent avec un fracas épouvantable à l'intérieur tout près de l'entrée des cuisines. Aussitôt une grande rumeur s'élève parmi les soeurs converses, et, par l'ouverture que je viens de faire, nous entendons la voix retentissante de la soeur =Thérèse qui crie aux chats et qui accuse =Whisky, le maître matou de la mère =Alippe, de se prendre de querelle avec tous ses confrères et de briser toutes les vitres de la maison. Mais la soeur =Marie défendait les moeurs du chat, et la soeur =Hélène assurait qu'une cheminée venait de s'écrouler sur les toits. Ce débat nous causa ce fou rire nerveux chez les petites filles que rien ne peut arrêter. Nous entendions monter les escaliers, nous allions être surprises en flagrant délit de promenade sur les toits et nous ne pouvions faire un pas pour chercher un refuge. Fanelly était couchée tout de son long dans la gouttière ; une autre cherchait son peigne. Quant à moi, j'étais bien autrement empêchée. Je venais de découvrir qu'un de mes souliers avait quitté mon pied, qu'il avait traversé le châssis brisé et qu'il était allé tomber à l'entrée des cuisines. J'avais les genoux en sang, mais le fou rire était si violent que je ne pouvais articuler tin mot et que je montrais mon pied déchaussé en indiquant l'aventure par signes. Ce fut une nouvelle explosion de rires, et cependant l'alarme était donnée, les soeurs converses approchaient. Bientôt nous nous rassurâmes. Là où nous étions abritées et cachées par des toits qui surplombaient il n'était guère possible de nous découvrir sans monter par une échelle à la fenêtre brisée, ou sans suivre le chemin que nous avions pris. C'était de quoi nous pouvions bien défier toutes les nonnes. Aussi, quand nous eûmes reconnu l'avantage de notre position, commençâmes-nous à faire entendre des miaulements homériques afin que Whisky et sa famille fussent atteints et convaincus a notre place. Puis nous gagnâmes la fenêtre de =Sidonie, qui nous reçut fort mal. La pauvre enfant étudiait son piano et ne s'inquiétait pas des hurlements félins qui frappaient vaguement son oreille. Elle était maladive et nerveuse, fort douce, et incapable de comprendre le plaisir. =BALZAC / Au collège de Vendôme Le collège de =Vendôme était dirigé par des religieux, les Oratoriens. =HonorédeBalzac (né en =1799) y entre comme pensionnaire en =1807 ; il en sort en =1813. Nous trouvons des souvenirs. de ces années de collège au début d'un de ses romans, =LouisLambert. LE RÉFECTOIRE Tout portait l'empreinte de l'uniforme monastique. Je me rappelle, entre autres vestiges de l'ancien institut, l'inspection que nous subissions tous les dimanches nous étions en grande tenue, rangés comme des soldats, attendant les deux directeurs qui, suivis des fournisseurs et des maîtres, nous examinaient sous le triple rapport du costume, de l'hygiène et du moral. Chacun de ces collèges particuliers possédait son bâtiment, ses classes et sa cour dans un grand terrain commun sur lequel les salles d'étude avaient leur sortie, et qui aboutissait au réfectoire. Ce réfectoire, dign d'un ancien ordre religieux, contenait tous les écoliers. Contrairement à la règle des autres corps enseignants, nous pouvions y parler en mangeant, tolérance oratorienne qui nous permettait de faire des échanges de plats selon nos goûts. Ce commerce gastronomique est constamment resté l'un des plus vifs plaisirs de notre vie collégiale. Si quelque Moyen, placé en tête de sa table, préférait une portion de pois rouges à son dessert, car nous avions du dessert, la proposition suivante passait de bouche en bouche : « Un dessert pour des pois ! » jusqu'à ce qu'un gourmand l'eût acceptée ; alors celui-ci d'envoyer sa portion de pois, qui allait de main en main jusqu'au demandeur dont le dessert arrivait par la même voie. Jamais il n'y avait d'erreur. Si plusieurs demandes étaient semblables, chacune portait son numéro, et l'on disait : premiers pois pour premier dessert. Les tables étaient longues, notre trafic perpétuel y mettait tout en mouvement ; et nous parlions, nous mangions, nous agissions avec une vivacité sans exemple. Une expérience. L'auteur est un illustre savant français mort en 187Il fit faire, en vingt ans, plus de progrès à la connaissance de l'organisme humain que tous les médecins des siècles passés. Dans une langue claire et simple, il rend compte ici d'une de ses expériences capitales. apporta un jour dans mon laboratoire des lapins venant du marché. On les plaça sur une table où ils urinèrent et j'observai par hasard 1 que leur urine était claire et acide. Ce fait me frappa, parce que les lapins ont ordinairement urine trouble et alcaline en leur qualité d'herbivores,s tandis que les carnivores, ainsi qu'on le sait, ont, au contraire, les urines claires et acides. Cette observation d'acidité de l'urine chez les lapins me t venir la pensée 2 que ces animaux devaient être dans la condition alimentaire des carnivores. Je supposai qu'ils n'avaient probablement pas mangé depuis longtemps et qu'ils se trouvaient ainsi transformés par l'abstinence en véritables animaux carnivores vivant de leur propre sang. Rien =fiffn'était plus facile que de vérifier par l'expérience cette idée préconçue ou cette hypothèse. Je donnai à manger de l'herbe aux lapins, et quelques heures après, leurs urines étaient devenues troubles et alcalines. On soumit ensuite les mêmes lapins à l'abstinence et, après vingt-quatre ou trente-six heures au plus, leurs urines étaient redevenues claires et fortement acides; puis zo elles redevenaient de nouveau alcalines en leur donnant de l'herbe, etc. Je répétai cette expérience si simple un grand nombre de fois sur les lapins et toujours avec le même résultat. Je épétai ensuite chez le cheval4, animal herbivore qui a également l'urine trouble et alcaline. Je trouvai que l'abstinence produit, comme chez le lapin, une prompte acidité de l'urine. J'arrivai ainsi, à la suite de mes expériences, à cette proposition générale, qui alors n'était pas connue, à savoir , « qu'à jeun, tous les animaux se nourfissent de viande », de sorte que les herbivores ont alors des urines semblables à celles des carnivores. Officier d'artillerie dans les armées de =Napoléon, l'auteur sert en =1806 dans le =Suddel'Italie continentale, dans la montagneuse =Calabre, dressée contre l'occupation française. Il mène là une existence riche de périls et d'aventures. UN jour, je voyageais en =Calabre; c'est un pays de méchantes gens, qui, je crois, n'aiment personne, et en veulent surtout aux Français. De vous dire pourquoi, cela serait long; suffit qu'ils nous haïssent à mort, et qu'on passe mal son temps lorsqu'on tombe entre leurs mains. J'avais pour com- pagnon un jeune homme. Dans ces montagnes, les chemins sont des précipices; nos chevaux marchaient avec beaucoup de peine; mon camarade allant devant, un sentier qui lui parut plus praticable et plus court nous égara. Ce fut ma faute : devais-je me fier à une tête de vingt ans? IU Nous cherchâmes, tant qu'il fit jour, notre chemin à travers ces bois; mais plus nous cherchions, plus nous tous perdions, et il était nuit noire quand nous arrivâmes près d'une maison fort noire Nous y entrâmes, non sans soupçon; mais comment faire? Là, nous trouvons toute une famille I, de charbonniers à table, où du premier mot on nous invita. Mon jeune homme ne se fit pas prier; nous voilà mangeant buvant, lui du moins; car, pour moi, j'examinais le lieu la mine de nos hôtes. Nos hôtes avaient bien mines de charbonniers; mais la maison, vous l'eussiez prise pour un arsenal : ce n'étaient que fusils, pistolets, sabres, couteaux, coutelas. Tout me déplut et je vis bien que je déplaisais aussi. Mon camarade, contraire, il était de la famille, il riait, il causait avec eux, et, par une imprudence que j'aurais dû prévoir mais quoi! s'il était écrit , il dit d'abord d'où nous venions, où nous allions, qui nous étions. =Français, imaginez un peu chez nos plus mortels ennemis, seuls, égarés, si loin de tout secours au. humain! Et puis, pour ne rien omettre de ce qui pouvait nous perdre, il fit le riche, promit à ces gens, pour la dépense et pour nos guides du lendemain, ce qu'ils voulurent. Enfin il parla de sa valise, priant fort qu'on en eût grand soin, qu'on la mît au chevet de son lit: Il ne voulait point, disait-il, d'autre traversin! Ah ! jeunesse, jeunesse ! Que votre âge est à plaindre! Le souper fini, on nous laisse. Nos hôtes couchaient en bas, nous dans la chambre haute. Une soupente où l'on lm grimpait par une échelle, c'était là le coucher qui nous attendait, espèce de nid clans lequel on s'introduisait en rampant L'auteur imagine que Sirius, la plus brillante étoile du ciel, est peuplée, tout comme Saturne, un des satellites de la =Terre. Un =Sirien, =Micromégas, haut de quarante kilomètres, entreprend, en compagnie d'un =Saturnien (un nain dont la taille n'excède pas deux mille mètres), un voyage sur notre globe. Ayant chevauché une comète, puis une aurore boréale, ils viennent d'atteindre la =Terre, le juillet =1737. LS voulurent reconnaître' le pays où ils étaient. Ils I allèrent d'abord du nord au sud. Les pas ordinaires du Sirien étaient d'environ trente mille pieds de roi; le nain de Saturne, dont la taille n'était que de mille toises , suivait de loin en haletant; or, il fallait qu'il fît environ douze pas quand l'autre faisait une enjambée : figurez-vous (s'il est permis de faire de telles comparaisons) un très petit chien de manchon qui suivrait un capitaine des gardes 4 du roi de =Prusse. Comme ces étrangers-là vont assez vite ils eurent fait le tour du globe en trente-six heures: le soleil, à la vérité, ou plutôt la terre, fait un pareil voyage en une journée; mais il faut songer qu'on va bien plus à son aise quand on tourne sur son axe que quand on marche sur ses pieds. Les voilà donc revenus d'où ils étaient partis, après avoir vu cette mare presque imperceptible pour eux, qu'on nomme la =Méditerranée, et cet autre petit étang qui, sous le nom de =GrandOcean, entoure la taupinière Le nain n'en avait jamais eu qu'à mi-jambe, et à peine l'autre avait-il mouillé son talon. Ils firent tout ce qu'ils purent en allant et en revenant dessus et dessous pour tâcher d'apercevoir si ce globe était habité ou non. Ils se baissèrent. Ils se couchèrent, ils tâtèrent partout; mais leurs yeux et leurs mains n'étant point pro portionnés aux petits êtres qui rampent ' ici, ils ne reçurent pas la moindre sensation qui pût leur faire soupçonner que ZS nous et nos confrères, les autres habitants de ce globe, avons l'honneur d'exister. Le nain, qui jugeait parfois un peu trop vite, décida d'abord qu'il n'y avait personne sur la terre. Sa première raison est qu'il n'y avait vu personne. =Micromégas lui fit sentir poliment que c'était raisonner assez mal : « Car, disait-il, vous ne voyez pas avec vos petits yeux certaines étoiles de la cinquième grandeur u que j'aperçois très distinctement; concluez-vous de là que ces étoiles n'existent pas? - Mais, dit le nain, j'ai bien tâté. - Mais, répondit l'autre, vous avez mal senti. Mais dit le nain. Au =Xe siècle, =Raoul =deCambrai, seigneur féodal, aussi brave que féroce, veut s'emparer du =Vermandois, un des fiefs de la =Picardie. Cette terre revient de droit aux parents de Bernier, un de ses vassaux. Ce dernier est pourtant tenu, par son serment d'hommage, d'obéir aux ordres de son suzerain lorsque celui-ci décide de dévaster le pays et de brûler l'abbaye =d'Origny. Trois « mauvais garçons » de l'armée se sont, pour le piller, glissés dans le bourg à la faveur de la nuit. Un seul a échappé à la fureur des habitants. voit =Raoul; il vient à lui, saute à terre, tombe à ses ieds. « Sire, Sire, on massacre tes hommes ! Mon frère et mon neveu gisent dans Origny, où les bourgeois les mettent en pièces. C'est miracle que j'aie pu fuir ! Le =Seigneur Dieu t'abandonnera si tu ne prends vengeance de ces gloutons qui sont si riches, si orgueilleux et si féroces. De toi, ils ne font pas plus de cas que d'un chien galeux! » =Raoul l'entend, le sang lui monte à la tête, il lève les et crie à pleine voix . « Armez-vous, chevaliers ! Je veux saccager Origny sur l'heure. » Trente cors sonnent à la fois pour signifier qu'il va y avoir bataille. Et les dix mille barons s'avancent vers =rigny. Le bourg est enclos d'un vieux fossé demi-comblé et d'une palissade. Sous les cognées et les coins d'acier, la palissade s'abat de toutes parts; les chevaliers traversent le fossé, pénètrent par toutes les brèches et se précipitent en criant dans les rues, la lance baissée. Les bourgeois ='Origny comprennent que cet assaut sera sans merci; ils se réfugient sur leurs maisons et, de là-haut, ils tirent des flèches, ils lancent des pierres et de grands pieux aigus; beaucoup d'hommes de =aoul tombent de leurs chevaux. On se bat dans les rues, dans les chambres, sur les toits. Le sang coule partout. =aoul est ivre de fureur . D'une voix terrible, il commande : « Le feu! Mettez le feu! » Les écuyers l'entendent; ils pilleraient volontiers, mais ils n'osent désobéir. Ils jettent des charbons ardents dans les granges, ils dispersent les braises des âtres sur les planchers, ils appuient des torches sur les courtines. Et les salles s'allument, les solives craquent, les planchers s'effondrent, les tonneaux d'huile et de lard prennent feu en crépi- tant dans les lardiers. Tout =rigny s'embrase Les petits enfants - grand deuil et grand péché ! - brûlent dans leurs berceaux. C'est mal fait à =aoulHier, il a promis à l'abbesse. Pendant la =randeGuerre, en première ligne, dans les tranchées du mont =alvaire, un enfer sur le front de =Champagne. Sans relâche, les duels d'artillerie labourent les positions des adversaires, dans lesquelles mines et contremines ouvrent à leur tour de vastes et profonds cratères. L'escouade du caporal Bréval n'échappera à l'anéantissement que grâce à la « relève » du régiment. AVEC le jour, l'artillerie s'éveilla. Une salve de shrapnells tonna d'abord, couronnant le =Calvaire d'une auréolez verte vite dénouée. Puis, ce fut le tour des gros Les premiers qui sifflèrent nous jetèrent terrés au fond de la tranchée. Ce fut un déchirant fracas, et une gerbe de pierraille retomba sur nous en lourds grêlons. La journée se passa ainsi, courbés sous les obus, fuyant sous les torpilles... Le rata mangé, on commença à jouer aux cartes en attendant le soir. =Broucke s'était mis à ronfler; couché près de lui, Gilbert essayait de rêver. Soudain il se souleva . et nous dit la voix sèches : « On creuse là-dessous. » Tous se retournèrent, cartes tombées : « Tu es sûr? » Il fit oui, de la tête. Je secouai brutalement =Broucke, qui ronflait toujours, et =Maroux, =Bréval, =Sulphart se couchèrent dans la galerie, l'oreille à terre. Nous autres les regardions, muets, le coeur dans l'étau Nous avions tous compris : une mine. Nous étions tous serrés, immobiles , regardant le sol dur. Quelqu'un était allé chercher le sergent =Ricordeau. Il arriva, prêta un instant l'oreille et dit : « Oui, il faudrait prévenir le lieutenant. » Chacun se couchait à son tour, et se relevait rembruni Le sous-lieutenant =Berthier vint à la nuit, avec la corvée de soupe. Il ausculta la terre un long moment, hocha la tête, et, tout de suite, voulut nous rassurer « Peuh ! Ce sont peut-être des pionniers qui creusent une tranchée, et même assez loin. Cela trompe beaucoup, vous savez, ces bruits-là. Je vais demander quelqu'un du génie. Mais ne vous montez pas la tête c'est certainement encore loin, il n'y a pas de danger. » Nous prîmes la veille. Les obus tombaient toujours, mais ils faisaient moins peur à présent On écoutait la pioche. Nos deux heures finies, nous remontâmes dans la grotte. Le bruit avait diminué. On allait souffler la bougie quand le lieutenant Berthier reparut, accompagné d'un adjudant du génie. Le premier mot que nous saisîmes fut « Nous nous en doutions. » =Fouillard eut un tic =13 qui lui tira l'oeil. L'adjudant s'était allongé, l'oreille contre terre, les yeux fermés! Nos silences écoutaient avec lui ! Féerie cosmique La science, « qui ne rêve pas, mais qui constate », nous donne de l'univers une image grandiose et écrasante, plus éblouissante et féerique que tous les rêves, car notre imagination s'épuise en vain à concevoir l'immensité des mondes auprès desquels notre système solaire n'est qu'un atome. les ailes jumelées du regard et de la pensée, nous allons franchir des espaces plus vastes encore, si nous étudions ces astres étonnants que sont les amas globulaires, ces petits groupes serrés d'étoiles en général invisibles à l'oeil nu. Dans les lunettes et télescopes de faible puissance, s ils se montrent comme de petites taches rondes et floues. Sir =WilliamHerschel et son fils, grâce à leurs puissants télescopes, réussirent à montrer que ces nébuleuses petites et rondes étaient en réalité composées de myriades d'étoiles dont le nombre dépasse tout ce qu'on peut imaginer. C'est par dizaines de milliers qu'on les dénombre autour de la partie centrale, où elles se trouvent tellement serrées qu'on ne peut les résoudre. L'un de ces amas, =Messier , est un objet d'une impressionnante beauté, essaim silencieux et pressé d'abeilles célestes dont chacun est un gigantesque soleil. On ne saurait, quand on ne l'a pas éprouvée, imaginer l'impression à la fois esthétique et émouvante 1 que produit l'image de ces myriades de soleils. Le grand télescope de pouces de l'observatoire za américain de Mount Wilson se prête, mieux encore que celui de =Meudon, à l'examen de cette fourmilière d'étoiles. Grâce à sa longue distance focale (qui est de pieds et peut être portée à =8o pieds), il sépare bien les images stellaires du centre de l'amas dont la distance, exprimée en kilomètres serait désignée par le nombre suivi de seize zéros, et on la dénommerait correctement en disant qu'elle est égale à trois cent cinquante mille trillions de kilomètres. C'est dix mille fois celle qui nous sépare de l'étoile la plus rapprochée. C'est à peu près deux milliards de fois celle du soleil à la terre. C'est cinq mille fois =celle de =Sirius. CETTE nuit, je n'ai pas pu dormir. Le mistral était en colère, et les éclats de cette grande voix m'ont tenu éveillé jusqu'au matin. On se serait cru en pleine mer. Cela m'a rappelé tout à fait mes belles insomnies d'il y a trois ans, quand j'habitais le phare des =Sanguinaires, là-bas, sur la côte de =Corse, à l'entrée du golfe =d'Ajaccio. Figurez-vous une île rougeâtre et d'aspect farouche; le phare à une pointe, à l'autre une vieille tour génoise' où, de mon temps, logeait un aigle. En bas, au bord de l'eau, un lazaret en ruine, envahi de partout par les herbes; puis =Io des ravins, des maquis, de grandes roches, quelques chèvres sauvages, de petits chevaux corses gambadant la crinière au vent ; enfin là-haut, tout en haut, dans un tourbillon d'oiseaux de mer, la maison du phare, avec sa plate-forme en maçonnerie blanche, où les gardiens se promènent de long en large, la porte verte en ogive, la petite tour de fonte et, au-dessus, la grosse lanterne à facettes qui flambe au soleil et fait de la lumière même pendant le jour. Là-haut, c'était charmant. Je vois encore cette belle salle à manger à larges dalles, à lambris de chêne, la bouillabaisse fumant au milieu, la porte grande ouverte sur la terrasse blanche et tout le couchant qui entrait les gardiens étaient là, m'attendant pour semettre à table. Nos repas se passaient à causer longuement : le phare, la mer, des récits de naufrages, des histoires de bandits % corses. Puis, le jour tombant , le gardien du premier quart allumait sa petite lampe, prenait sa pipe, sa gourde, un gros =Plutarque à tranche rouge, toute la bibliothèque des =Sanguinaires, et disparaissait par le fond. Au bout d'un moment, c'était dans tout le phare un fracas de chaînes, de poulies, de gros poids d'horloge 7 qu'on remontait. Mais pendant ce temps j'allais m'asseoir dehors, sur la terrasse. Le soleil, déjà très bas, descendait 8 vers l'eau de plus en plus vite, entraînant tout l'horizon après lui. Le vent fraîchissait, l'île devenait violette. Dans le ciel, près de moi, un gros oiseau passait lourdement : c'était l'aigle de la tour génoise qui rentrait. Peu à peu la brume de mer montait. Bientôt on ne voyait plus que l'ourlet blanc de l'écume autour de l'île. Tout à coup, au-dessus de ma tête, jaillissait un grand flot de lumière douce. Le phare était allumé. Laissant toute l'île dans l'ombre, le clair rayon allait tomber au large sur la mer, et j'étais là perdu dans la nuit, sous ces grandes ondes lumineuses qui m'éclaboussaient à peine en passant. Mais le vent fraîchissait encore. Il fallait rentrer. A tâtons, je fermais la grosse porte, j'assurais les . Leurs opinions politiques séparent depuis toujours =Longeverne et =Velran, deux villages voisins en =Franche-Comté. Renchérissant sur les sentiments des adultes, les enfants de chacun d'eux tiennent ceux de l'autre pour ennemis et leur font une guerre sans merci. Voici le récit d'une de leurs rencontres : C'est « =l'Aztec » qui mène les « =Velrans » contre « les Longevernes », commandés par =Lebrac. QUAND chacun des camps en présence eut épuisé sa réserve de cailloux, les guerriers s'avancèrent résolument de part et d'autre, les armes à la main, pour se cogner en toute conscience. Les =Velrans avançaient en coin , les =Longevernes en trois petits groupes : au centre =Lebrac, à droite =Camus, à gauche =Grangibus. Pas un ne disait mot. Ils avançaient au pas, lentement, comme des chats qui se guettent, les sourcils froncés, les yeux terribles, les fronts plissés les dents serrées, les poings raidis sur les gourdins, les sabres ou les lances. Et la distance diminuait et, au fur et à mesure, les pas se rapetissaient encore; les trois groupes de =Longevernes se concentraient sur la masse triangulaire de =Velrans. Et quand les deux chefs furent presque nez à nez, à deux pas l'un de l'autre, ils s'arrêtèrent. Les deux troupes étaient immobiles, mais de l'immobilité d'une eau qui va bouillir , hérissées, terribles; des colères grondaient sourdement en tous, les yeux décochaient des éclairs, les poings tremblaient de rage, les lèvres frémissaient. Qui le premier, de =l'Aztec ou de =Lebrac, allait s'élancer? On sentait qu'un geste, un cri allait déchaîner ces colères, débrider les rages, affoler ces énergies, et le geste ne se faisait pas et le cri ne sortait point, et il planait sur les deux armées un grand silence tragique et sombre s que rien ne rompait. Couâ, couâ, croâ ! une bande de corbeaux rentrant en forêt passèrent sur le champ de bataille en jetant, étonnés, une rafale de cris. Cela déclencha tout. Un hurlement sans nom jaillit de la gorge de Lebrac, un cri terrible sauta des lèvres de =l'Aztec, et ce fut des deux côtés une ruée impitoyable et fantastique. Impossible de rien distinguer. Les deux armées s'étaient enfoncées l'une dans l'autre, le coin des =Velrans dans le groupe de Lebrac, les ailes de Camus et de =Grangibus. La scène a lieu il y a mille siècles, à l'âge où nos lointains ancêtres, pour vivre sur une terre hostile, devaient, aidés de leur seule intelligence, affronter les éléments et les grands fauves. L'auteur imagine l'aventure d'une horde de primitifs qui, ayant au cours d'un combat contre une tribu ennemie, perdu « le Feu », puissance mystérieuse et vitale, entreprennent sa reconquête. Trois d'entre eux, =Gaw, =Nam et =Naoh, après des jours de marche, se sont, « vers le tiers de la nuit », arrêtés dans une caverne qu'ils croient sûre. « Une lune blanche comme la fleur du liseron sille le long d'un nuage ». Mais leur abri est l'antre du redoutable Ours gris « au courage furieux et inextin- guible ». Consternés, ils voient soudain sa silhouette se profiler sur la cime abrupte d'une colline. =L'ANimAL se mit à descendre la pente roide1 ! Quand il eut atteint un terrain moins incommode, il leva la tête, flaira l'atmosphère moite et prit son trot. A mesure qu'il approchait, on voyait mieux sa structure musculeuse; parfois ses dents étincelaient au clair de lune. =Nam et =Gaw grelottèrent L'amour de vivre gonflait leurs coeurs; l'instinct de la faiblesse humaine pesait sur leur souffle ; leur jeunesse palpitait comme elle palpite dans la poitrine craintive des oiseaux. =Naoh connaissait l'adversaire, il savait qu'il. lui faudrait peu de temps pour donner la mort à trois hommes. Et sa peau épaisse, ses os de granit, étaient Presque invulnérables à la sagaie, à la hache et à l'épieu. Cependant les nomades achevaient d'empiler les blocs; bientôt il ne demeura qu'une ouverture vers la droite, à hauteur d'homme. Quand l'Ours fut proche, il secoua sa tête IS grondante et regarda, interloqué-'... Il ne s'attendait pas à voir clos le gîte où il avait passé tant de saisons. Il s'étirait au clair de lune, bien à l'aise dans sa fourrure, étalant son poitrail argenté et balançant sa gueule conique. Impatient, il se dressa sur ses pieds 6 d'arrière, il parut un homme immense et velu, aux jambes trop brèves ', au torse démesuré. Et il se pencha vers l'ouverture demeurée libre. =Nam et =Gaw, dans la pénombre, tenaient leurs haches prêtes. (Elles) s'abattirent, la massue tournoya, impuissante, à cause des saillies de l'ouverture =L'Ours mugit et recula. Il n'était pas blessé...; la phosphorescence de ses prunelles annonçait l'indignation de la force offensée. Il changea de tactique... Il tâta la muraille il la poussa : elle vibrait aux pesées. La bête l'entama; elle la fit osciller . =Naoh et =Gaw arc-boutés en face de =l'Ours, parvinrent à arrêter l'oscilla. L'image du Sahara semble inséparable de l'idée de sécheresse éternelle. Ce désert connaît cependant, rarement il est vrai, le déluge des grands orages tropicaux. Deux officiers français, le capitaine Morhange et le lieutenant de =Saint-Avit (accompagnés d'un guide indigène, =Bou-Djema), en font l'expérience alors que, chargés d'une mission scientifique au =Hoggar, ils cheminent le long d'un ravin, sous le =25 parallèle. L’était six heures du matin, le soleil était né Mais on le- cherchait en vain au ciel étonnamment lisse Et pas un souffle d'air, pas un souffle. Soudain, un de nos chameaux piaula. Une énorme antilope venait de surgir et s'en était allée donner de la tête , s affolée, contre la muraille rocheuse. Elle restait là, hébétée, à quelques pas de nous, grelottant sur ses minces jambes. =Bou-Djema nous avait rejoints. « Quand les jambes du mohor vacillent, c'est que les colonnes du firmament 4 ne sont pas loin de s'ébranler », murmura-t-il 1. Les yeux de =Morhange me fixèrent, puis se reportèrent vers l'horizon, sur un point sombre de l'autre côté de la plaine blanche : « Un orage, n'est-ce pas? - Oui, un orage. » Sur la roche plate, une légère poussière s'était élevée. Dans l'atmosphère immobile, quelques grains de sable se : mirent à tourner en rond avec une vitesse qui s'accrut jusqu'à devenir vertigineuse, nous donnant par avance le spectacle microscopique de ce qui allait fondre tout à l'heure sur nous. Poussant d'aigres cris, un vol d'oies sauvages passa. Très basses, elles venaient de l'ouest. Morhange me considérait avec curiosité. « Que devonsnous faire? demanda-t-il. - Remonter immédiatement sur nos chameaux et, avant qu'ils ne soient complètement affolés, nous hâter de chercher abri sur quelque élévation de terrain. » Je lui désignai à une dizaine de mètres en l'air, au flanc du couloir rocheux, longues traînées creuses et parallèles, de vieilles traces d'érosion'. « Dans une heure, les eaux ruisselleront à cette hauteur-là. Voilà les marques de la précédente inondation. Allons 1 en route. Il n'y a pas un instant à perdre. Nous eûmes toutes les peines du monde à faire agenouiller nos chameaux. Lorsque chacun de nous fut juché sur le sien, ils filèrent à une allure que la terreur faisait de plus en plus désordonnée. Brusquement, le vent s'éleva, un vent formidable, et presque en même temps le jour sembla , s'éclipser du ravin. Au-dessus de nos têtes, le ciel était