&&000 FRANCE – 6TH GRADE – 1950S FR-6TH-50S.TXT TWO TEXTS: BY LIGEL; AND NATHAN N= PAGES SAVED IN UTF-8 FORMAT Last edited on 19 May 2005 &&111 le veux, je serai pour toi l'amie la plus dévouée. Mais suis-je digne de cet honneur ? » Après un instant de silence, le singe répondit « Les philosophes ont depuis longtemps déterminé les conditions de l'amitié. Trois sortes de gens, selon eux, méritent d'être recherchés. pour amis : les savants et les vertueux qui ne procurent que du bonheur par leurs lumières et leur sagesse; les êtres de bon caractère, qui ne tiennent pas compte des torts de l'ami et lui dispensent leurs utiles conseils; les gens généreux et impartiaux, dont l'amitié est construite sur la sincérité et l'affection. « Par contre, il existe trois sortes de gens dont il faut éviter l'amitié les voleurs et les traîtres, gens de sac et de corde, qui nous vaudraient déboires et malheurs; les menteurs et les flatteurs, de qui nous ne pourrions obtenir que déceptions et revers; les prétentieux et les sots, incapables de nous donner de bons avis, soit pour servir nos intérêts, soit pour nous éviter un dommage. Ces derniers sont les plus dangereux, car leur sottise leur montre pour bon ce qui est mauvais, et ils nous sont néfastes en croyant nous être utiles. C'est pourquoi l'on dit qu'un ennemi sage vaut mieux qu'un ami sot, et la mésaventure arrivée au roi de =Kachmir en est la meilleure preuve. - Quelle mésaventure ? demanda la =Tortue. - Pardonne-moi, je pensais que tu la connaissais, car on l'a racontée partout. Écoute donc. « Le roi de =Kachmir avait à son service un pauvre d'esprit qu'il avait accoutumé à veiller sur son sommeil. Une nuit, un malin voleur s'introduisit dans le palais, et, après avoir déjoué par mille ruses la vigilance des gardiens, parvint à la chambre du roi. Celui-ci dormait sous la garde de l'innocent, lequel avait fort à faire, car de nombreux moustiques harcelaient son maître. Depuis plusieurs heures, le domestique agitait un grand éventail de plumes devant le visage du souverain, lui évitant les piqûres des voraces insectes, et lui procurant à la fois la fraîcheur favorable au repos. Soudain, une idée lui vint, qu'il crut géniale au lieu de chasser sans arrêt les moustiques qui revenaient toujours, Un jour, à la chasse au faucon, il prit une grue ', près d'un village nommé =Peretola. La trouvant jeune et grasse, il ordonna qu'on la remît à son cuisinier pour la rôtir et la servir à son souper. Notez bien que ce cuisinier, =Vénitien d'origine, et qui portait le nom de =Quinquibio, était, un sot accompli. Il prend la grue et la fait rôtir de son mieux. Elle était sur le point d'être cuite, et répandait une excellente odeur, lorsqu'une femme du quartier, appelée =Brunette, dont =Quinquibio recherchait la main, entra dans la cuisine. L'agréable fumet qu'exhalait l'oiseau qu'on venait d'ôter de la broche fait naître à cette femme l'envie d'en manger, et aussitôt elle prie instamment =Quinquibio de lui en donner une cuisse. Celui-ci se moqua d'elle et lui répondit en fredonnant « Vous ne l'aurez pas, dame =Brunette, vous ne l'aurez pas de moi. - Si vous ne me la donnez, réplique celle-ci, je vous jure que vous n'aurez jamais rien de moi. » Après plusieurs paroles de part et d'autre, =Quinquibio, qui ne voulait pas déplaire à =Brunette, coupe une cuisse et la lui donne. Il y avait ce jour-là, au logis, grande compagnie à souper. La grue fut servie avec une seule cuisse. Un des convives, qui fut le premier à s'en apercevoir, ayant montré de l'étonnement, messire =Conrad fit appeler le cuisinier et lui demanda ce qu'était devenue l'autre cuisse. Le =Vénitien, naturellement menteurs, répondit effrontément que les grues n'avaient qu'une jambe et une cuisse. « Crois-tu donc que je n'aie jamais vu d'autres grues que celle-ci ? - Ce que je vous dis, monsieur, est à la lettre ; et si vous en doutez encore, je me fais fort de vous le prouver dans celles qui sont en vie. » Tout le monde se prit à rire de cette réponse; mais =Conrad, ne vou- lant pas faire plus grand bruit à cause des étrangers qu'il avait à sa table, se contenta de répondre au lourdaud : « Puisque tu te fais fort, coquin, de me montrer ce que je n'ai jamais vu ou entendu dire, nous verrons demain si tu tiendras ta parole. Mais, parbleu , si tu ne le fais pas, je Tous les autres lui cédèrent , il n'y eut que moi qui espérai la D'abord il me donna dans la tête, et puis dans l'estomac , des qui me firent vomir le sang et qui répandirent sur mes yeux un nuage. Je chancelai ; il me pressait , et je ne pouvais plus respirer je fus ranimé par la voix de =Mentor, qui me criait : « O fils seriez-vous vaincu ? » La colère me donna de nouvelles forces; j'évitai plusieurs coups dont j'aurais été accablé. Aussitôt que le =Samien m'avait porté un faux coup et que sonn bras s'allongeait en vain, je le surprenais dans cette posture penchée. Déjà il reculait, quand je haussai mon ceste pour tomber sur lui avec plus de force : il voulut esquiver, et, perdant l'équilibre, il me donna le moyen de le renverser. A peine fut-il étendu. parterre, que je lui tendis la main pour le relever. Il se redressa lui-même, couvert de poussière et de sang; sa honte fut extrême, mais il n'osa renouveler le combat. Aussitôt on commença les courses de chariots, que l'on distribua au sort. Le mien se trouva le moindre pour la légèreté des roues et la vigueur des chevaux. Nous partons : un nuage de poussière vole et couvre le ciel. Au commencement, je laissai les autres passer devant moi. Un jeune Lacédémonien , nommé =Crantor, laissait d'abord tous les autres derrière lui. Un =Crétois , nommé Polyclète, le suivait de près. Hippomaque, parent d'Idoménée, qui aspirait à lui succéder, lâchant les rênes à ses chevaux fumants de sueur, était tout penché sur leurs crins flottants ; et le mouvement des roues de son chariot était si rapide qu'elles paraissaient immobiles comme les ailes d'un aigle qui fend les airs. Mes chevaux s'animèrent et se mirent peu à peu en haleine; je laissai loin derrière moi presque tous ceux qui étaient partis avec tant d'ardeur. =Hippomaque, parent =d'Idoménée, poussant trop ses chevaux, le plus vigoureux s'abattit, et ôta,, par sa chute, à son maître l'espérance de régner. Polyclète, se penchant trop sur ses chevaux, ne put se tenir ferme dans une secousse; il tomba : les rênes lui échappèrent, et il fut trop heureux de pouvoir, en tombant, éviter la mort. =Crantor, voyant avec des yeux pleins d'indignation que j'étais tout auprès de lui, redoubla Elle tâchait de couvrir sous ces paroles menaçantes la joie de son coeur, qui éclatait malgré elle sur son visage. =Télémaque lui répondit « O vous, qui que vous soyez, mortelle ou déesse (quoique à vous voir on ne puisse vous prendre que pour une divinité), seriez-vous insensible au malheur d'un fils qui, cherchant son père à la merci des vents et des flots, a vu briser son navire contre vos rochers? - Quel est donc votre père que vous cherchez? reprit la déesse. - Il se nomme =Ulysse, dit =Télémaque; c'est un des rois qui ont, après un siège de dix ans, renversé la fameuse Troie. Son nom fut célèbre dans toute la =Grèce et dans toute =l'Asie par sa valeur dans les combats et plus encore par sa sagesse dans les conseils. Maintenant, errant dans toute l'étendue des mers, il parcourt tous les écueils les plus terribles. Sa patrie semble fuir devant lui. =Pénélope, sa femme, et moi, qui suis son fils, nous avons perdu l'espérance de le revoir. Je cours, avec les mêmes dangers que lui, pour apprendre où il est. Mais que dis-je ? peut-être qu'il est maintenant enseveli dans les profonds abîmes de la mer. Ayez pitié de nos malheurs, et si vous savez, ô déesse, ce que les destinées ont fait pour sauver ou pour perdre =Ulysse, daignez en instruire son fils =Télémaque. » =Calypso, étonnée et attendrie de voir dans une si vive jeunesse tant de sagesse et d'éloquence, ne pouvait rassasier ses yeux en le regardant, et elle demeurait en silence. Enfin elle lui dit « =Télémaque, nous vous apprendrons ce qui est arrivé à votre père. Mais l'histoire en est longue : il est temps de vous délasser de tous vos travaux. Venez dans ma demeure, où je vous recevrai comme mon fils : venez; vous serez ma consolation dans cette solitude, et je ferai votre bonheur, pourvu que vous sachiez en jouir. » =Télémaque suivait la déesse environnée d'une foule de jeunes nymphes, au-dessus desquelles elle s'élevait de toute la tête, comme un grand chêne dans une forêt élève ses branches épaisses au-dessus de tous les arbres qui l'environnent. Il admirait l'éclat de sa beauté, la riche pourpre il demanda à =JeandeParis : « Mon doux ami, dites-nous donc, par passé., temps, par quelle occasion vous venez en ce pays d'Espagne. - Vraiment, sire, dit =jeandeParis, je vous le dirai volontiers. Je vous dis et assure pour vrai qu'il peut y avoir environ quinze ans feu mon père, à qui Dieu fasse merci, vint chasser en ce pays, et quand il en partit, il tendit un petit lacet pour prendre une cane. Je viens me promener ici pour voir si la cane est prise. - Par ma foi, dit le roi en riant, vous êtes un grand chasseur, vous qui venez si -loin chercher votre gibier. Par Dieu, si elle était prise, elle serait pourrie et mangée des vers. - Vous n'en savez rien, dit =JeandeParis les canes de ce pays-ci ne ressemblent pas aux vôtres, elles se gardent très longtemps sans pourrir. » Les Anglais rirent beaucoup de cette réponse, parce qu'ils ne comprenaient pas dans quelle intention il le disait, et certains répétaient qu'il était à moitié fou. Quand ils furent assez près de la cité de =Burgos, où étaient le roi et la reine =d'Espagne, et où les noces se devaient faire, le roi d'Angleterre s'en va dire à =jeandeParis : «=JeandeParis, mon bon ami, si vous voulez venir avec nous jusqu'à =Burgos et vous déclarer mon vassal, je vousdonnerai de l'argent bien largement, et vous verrez une belle assemblée de dames et de seigneurs. - Sire, dit =JeandeParis, pour ce qui est d'y aller, je ne sais ce que j'en ferai : ce sera selon le vouloir qui m'en prendra. Et de me reconnaîtree pour votre vassal, il ne faut pas que vous y comptiez, car, par Dieu, je ne le ferais pas pour votre royaume, et de votre argent je n'ai que faire, car j'en ai plus que vous. » Quand le roi entendit ce refus, il en fut très fâché, et il eût bien voulu que =JeandeParis fût encore en =France. 11 craignait que s'il allait à =Burgos, son train de maison n'empêchât de priser le sien. Il n'osa plus lui en parler, si ce n'est qu'il lui dit : « Par votre foi, ne pensez-vous pas y venir? - Par mon serment, répondit =JeandeParis, peut-être irai-je, peutêtre non, selon ce que je trouverai en moi. Là-dessus ils cessèrent d'en parler, mais le roi pensait bien qu'il viendrait et il était fort inquiet. Bien entendu =jeandeParis va à =Burgos, éblouit la cour par son faste et la noblesse de ses manières, se fait reconnaître pour le roi de France 'et épouse la princesse, ce dont le roi =d'Angleterre fut bien marri et courroucé.] d'avoir un tel moine dans la maison. Dieu maudisse qui l'a mis ici. Il nous fera honte à tous. Nous avons des robes de cinq aunes de drap, Il est si grand qu'il en faut douze pour la sienne, sans compter la chape et la cote. Et pelisse à l'avenant. Il ne jeûne que de midi jusqu'à none le matin il mange trois grandes miches, et il n'en laisse croûte ni mie. .Quand il y a des fèves, il réclame des bettes, du poisson, et du vin pour arroser le tout. D'un grand setier, il ne laisse pas une goutte. Quand il en a son saoûl, il nous bat et nous chasse. Il n'est pas de honte que nous n'ayons à subir de lui. » Tous les moines sont entrés au chapitre. Ils commencent à parler De dom guillaume. lis se disent l'un à l'autre : « C'est un vrai fléau. Si cet homme vit longtemps, il nous réduira à la famine. » Pendant qu'ils parlaient, l'abbé est entré. « Seigneurs, fait-il, qu'est-ce qui vous agite ? Parlez-vous de Guillaume au court nez s et des ennuis qu'il nous cause ? Nous ne pouvons le souffrir. Si nous parlons, il se fâche et veut nous -battre. Il a des poings assez gros pour nous assommer. Les coups qu'il -donne sont terribles. Ses colères nous font tous trembler. Il n'y a personne qui ose sonner mot devant lui. » Voici qu'arrive le cellerier , avec des béquilles. Il ne peut se tenir sur ses pieds. =Guillaume au court nez l'a battu si fort qu'il ne peut marcher sans aide. « Pour Dieu, sire abbé, je viens me plaindre à vous de votre maudit moine. Vous m'avez remis les clefs pour garder vos provisions donnez-les à tous les diables. -Hier, j'étais en bonne santé, aujourd'hui, me voilà infirme à cause du moine forcené qui est céans. Car, dès qu'il a un peu jeûné, il vient au -cellier; il a tôt fait de forcer la porte à grands coups de pied. Il n'a de cesse qu'il n'ait trouvé du vin et des victuailles pour s'en remplir le ventre. Si on veut l'en empêcher, il vous bat ou vous jette contre le mur. Hier, il est venu me demander de votre vin. Je fus assez fou pour -refuser. Il me l'a fait chèrement payer. Il sauta sur moi et me frappa d'une mes yeux par les temps bien clairs, pour regarder, derrière les. voiles lointaines qui passaient à l'horizon, si je n'apercevais pas par hasard =l'Amérique. Oh! ces régions éloignées où le soleil brûle, ces forêts tropi- cales, en ai-je rêvé jadis, en m'isolant pendant de longues heures d'été, dans les recoins solitaires des bois. Un certain jour d'été, par la grande chaleur de juin, je m'en - allais raisonnablement, mon carton de musique sous le bras,. prendre ma première leçon de piano. J'avais environ douze ans. C'était la première fois qu'on me laissait sortir dans la ville sansetre accompagné. Je m'en allais à l'ombre, en suivant l'allée du rempart. Par-dessus le parapet de pierres grises, je regardais Ia: campagne, la plaine tranquille inondée de soleil, avec des bois qui apparaissaient tout au bout de l'horizon. Il n'y avait personne sur ce rempart, peu fréquenté à l'heure: chaude de midi. Cependant deux mousses parurent, qui sortaient de derrière un talus. Ils firent quelques pas, en causant, et puise s'assirent par terre contre un ormeau. C'étaient deux enfants un: peu plus âgés que moi, et déjà brunis par le hâle de la mer. « Espèce de singe du =Brésil! » disait le plus grand à l'autre. en lui tirant une oreille. Singe du =Brésil! Ce mot de =Brésil me rendit rêveur; et je regardais à l'horizon, du côté du bois ensoleillé, il me passait en tête je ne sais quelle intuition ou quel mystérieux ressouvenir de forêt vierge. Sans doute ils y avaient été, au =Brésil, ces mousses, pour en parler. Je m'arrêtai timide, derrière eux, désirant encore les entendre. Eux me virent et engagèrent brusquement la conversation. Mon costume, examiné par eux de la tête aux pieds, parut leur inspirer un certain respect, et ils furent réservés d'abord. Mai je sentais dans leurs questions quelque chose de sourdemen moqueur : la pitié et l'ironie des enfants libres, développés déja sur la grande mer, vis-à-vis de l'enfant privé , choyé dans sa grand cage comme un petit oiseau rare. Et je m'étonnais de leur to bref, de leurs allures hardies que je n'avais pas. mes injures. Je me sentis touché de cette intrépidité et de cette patience. J'eus' honte d'avoir voulu, dans ce premier transport, me servir de mesarmes pour tuer celui qui me les avait fait rendre; mais, comme mon ressentiment n'était pas encore apaisé, j'étais encore inconsolable de devoir mes armes à un homme que je haïssais tant. Cependant =Néoptolème me disait : « Sachez que le divin =Hélénus, fils de =Priam, étant sorti de la ville de Troie par l'ordre et par l'inspiration des dieux, nous a dévoilé l'avenir : « La malheureuse Troie tombera, a-t-il dit, mais elle ne peut tomber qu'après qu'elle aura été attaquée par celui qui tient? les flèches =d'Hercule; cet homme ne peut guérir que quand il sera devant les murailles de =Troie; les enfants =d'Esculape le guériront. » En ce moment je sentis mon coeur partagé : j'étais touché de la naïveté de =Néoptolème et de la bonne foi avec laquelle il m'avait rendu mon arc, mais je ne pouvais me résoudre à voir encore le jour, s'il fallait céder à =Ulysse; et une mauvaise honte me tenait en suspens. « Me verra-t-on, disais-je en moi-même, avec =Ulysse et avec les =Atrides ? Que croira-t-on de moi ? » Pendant que j'étais dans cette incertitude, tout à coup j'entends une voix plus qu'humaine : je vois =Hercule dans un nuage éclatant; il était environné de rayons de gloire . Je reconnus facilement ses traits un peu rudes, son corps robuste et ses manières simples; mais il avait une hauteur et une majesté qui n'avaient jamais paru si grandes en lui quand il domptait les monstres. Il me dit « Tu entends, tu vois =Hercule. J'ai quitté le haut Olympe pour t'annoncer les ordres de Jupiter. Tu sais par quels travaux" j'ai acquis l'immortalité : il faut que tu ailles avec le fils =d'Achille, pour marcher sur mes traces dans le chemin de la gloire. Tu guériras; tu perceras de mes flèches Pâris, auteur de tant de maux. Après la prise de =Troie, tu enverras de riches dépouilles à Péan ton père, sur le mont Œta; ces dépouilles battre. Mentor s'en excusa sur son âge. Ma jeunesse et ma m'ôtaient toute excuse; je jetai néanmoins un coup d'ceil sur entor pour découvrir sa pensée, et j'aperçus qu'il souhaitait que je combattisse. J'acceptai donc l'offre qu'on me faisait : je me dépouillai de mes habits; on fit couler des flots d'huile douce et luisante sur tous les membres de mon corps, et je me mêlai parmi les combattants. On dit de tous côtés que c'était le fils =d'Ulysse qui était venu pour tâcher de remporter les prix, et plusieurs =Crétois, qui avaient été à =Ithaque pendant mon enfance, me reconnurent. Le premier combat fut celui de la lutte. Un =Rhodien d'environ trente-cinq ans surmonta tous les autres qui osèrent se présenter à lui. Il était encore dans toute la vigueur de la jeunesse : ses bras étaient nerveux et bien nourris ; au moindre mouvement qu'il faisait, on voyait tous ses muscles; il était également souple et fort. Je ne lui parus: pas digne d'être vaincu, et, regardant avec pitié ma tendre jeunesse, il voulut se retirer; mais je me présentai à lui. Alors nous nous saisîmes l'un l'autre, nous nous serrâmes à perdre la respiration. Nous étions épaule contre épaule, pied contre pied, tous les nerfs tendus, et les bras entrelacés comme des serpents, chacun s'efforçant d'enlever de terre son ennemi. Tantôt il essayait de me surprendre en me poussant du côté droit, tantôt il s'efforçait de me pencher du côté gauche. Pendant qu'il me tâtait ainsi, je le poussai avec tant de violence que ses reins plièrent : il tomba sur l'arène et m'entraîna sur lui. En vain, il tâcha de me mettre dessous : je le tins immobile sous moi; tout le peuple cria : « Victoire au fils d'Ulysse! » Et j'aidai au =Rhodien confus à se relever. Le combat du ceste 14 fut plus difficile. Le fils d'un riche citoyen de =Samos avait acquis une haute réputation dans ce genre de combats. lendemain matin ils partirent de Bayonne, et se mirent aux champs, et en chevauchant ils trouvèrent une petite rivière qui était très mauvaise car il s'y noya plusieurs =Anglais, comme vous allez voir. Comment en passant une petite rivière, beaucoup des =Anglais se noyèrent, et comment =jeandeParis et ses gens passèrent hardiment. Quand ils furent arrivés auprès de la rivière, le roi =d'Angleterre et ses gens qui étaient devant se mirent à passer la rivière à gué; il y en eut soixante à quatre-vingts de noyés parce qu'ils étaient mal montés. Le roi en eut grand déplaisir. =JeandeParis venait après tout tranquillement et ne s'effrayait guère de cette rivière parce que lui et sa compagnie étaient bien montés. Ils commencèrent à passer les uns après les autres, en telle façon et manière que tous passèrent, par la volonté et grâce de Dieu, sans nul péril et danger. Et pourtant la rivière était devenue grosse et avait rompu le pont, de sorte qu'il y avait grand danger, mais Dieu cette fois garda =jeandeParis et ses gens d'être noyés. Le roi =d'Angleterre était au bord de la rivière, se lamentant et pleurant les gens qu'il avait perdus. Il regardait passer =jeandeParis et ses gens et il s'émerveillait de voir qu'aucun ne demeurait en la rivière. Quand ils furent sortis de l'autre côté, le roi commença à dire à jean de =Paris : « Mon doux ami, vous avez eu meilleure aventure en cette rivière que moi qui y ai perdu plusieurs de mes gens. » Alors =jeandeParis se prit à sourire et lui dit : « Je m'émerveille qu'étant si puissant et si riche vous ne fassiez porter un pont pour passer vos gens, car quand il faut passer des rivières il leur serait bien nécessaire. » Le roi se prit à rire, malgré sa perte et dit : « Par Dieu, vous me baillez de bonnes raisons. Or sus, chevauchons, car je suis fort mouillé, et voudrais être au logis. » =JeandeParis lui dit, faisant semblant de ne l'avoir pas entendu : « Sire, chassons un peu dans ces bois. - En bonne foi, dit le roi, je n'ai pas envie de railler à cette heure. » Ils chevauchèrent fort, tant que chacun arriva à son logis. Là les =Anglais se plaignaient et se lamentaient sur leurs parents et amis qui s'étaient noyés en cette rivière. Toutefois ils firent la meilleure chère qui leur fut possible, car il leur fallait aller aux noces, et ce leur fut un prétexte pour oublier leur mélancolie et leur courroux. Ils séjournèrent là de deux à trois jours. Quand vint un autre jour, alors qu'ils étaient aux champs et que le roi =d'Angleterre avait oublié partie de sa mélancolie, en chevauchant d'avoir un tel moine dans la maison. Dieu maudisse qui l'a mis ici. Il nous fera honte à tous. Nous avons des robes de cinq aunes de drap, Il est si grand qu'il en faut douze pour la sienne, sans compter la chape et la cote. Et pelisse à l'avenant. Il ne jeûne que de midi jusqu'à none Le matin il mange trois grandes miches, et il n'en laisse croûte ni mie. Quand il y a des fèves, il réclame des bettes, du poisson, et du vin pour arroser le tout. D'un grand setier, il ne laisse pas une goutte. Quand il en a son saoûl, il nous bat et nous chasse. Il n'est pas de honte que nous n'ayons à subir de lui. » Tous les moines sont entrés au chapitre. Ils commencent à parler de dom =Guillaume. lis se disent l'un à l'autre : « C'est un vrai fléau. Si cet homme vit longtemps, il nous réduira à la famine. » Pendant qu'ils parlaient, l'abbé est entré. « Seigneurs, fait-il, qu'est-ce qui vous agite ? Parlez-vous de =Guillaume au court nez et des ennuis qu'il nous cause ?» « Nous ne pouvons le souffrir. Si nous parlons, il se fâche et veut nous battre. Il a des poings assez gros pour nous assommer. Les coups qu'il donne sont terribles. Ses colères nous font tous trembler. Il n'y a personne qui ose sonner mot devant lui. » Voici qu'arrive le cellerier avec des béquilles. Il ne peut se tenir sur ses pieds. =Guillaume au court nez l'a battu si fort qu'il ne peut marcher sans aide. « Pour Dieu, sire abbé, je viens me plaindre à vous de votre maudit moine. Vous m'avez remis les clefs pour garder vos provisions : donnez-les à tous les diables. Hier, j'étais en bonne santé, aujourd'hui, me voilà infirme à cause du moine forcené qui est céans. Car, dès qu'il a un peu jeûné, il vient au cellier; il a tôt fait de forcer la porte à grands coups de pied. Il n'a de cesse qu'il n'ait trouvé du vin et des victuailles pour s'en remplir le ventre. Si on veut l'en empêcher, il vous bat ou vous jette contre le mur. Hier, il est venu me demander de votre vin. Je fus assez fou pour refuser. Il me l'a fait chèrement payer. Il sauta sur moi et me frappa d'une ravis les oeufs, je les mets dans ma chemise et redescends. Malheu reusement je me laisse glisser entre les tiges jumelles et j'y reste califourchon. L'arbre étant élagué, je ne pouvais appuyer mes pied ni à droite ni à gauche pour me soulever et reprendre le limbe extérieur : je demeure suspendu en l'air à cinquante pieds. Tout à coup un cri : « Voici le préfet! » et je me vois inconti nent abandonné de mes amis, comme c'est l'usage. Un seul, appel Le =Gobbien, essaya de me porter secours, et fut tôt obligé de renoncerà sa généreuse entreprise. Il n'y avait qu'un moyen de sortir de fâcheuse position, c'était de me suspendre en dehors par les mains à l'une des deux dents de la fourche, et de tâcher de saisir avec mes pieds le tronc de l'arbre au-dessous de sa bifurcation. J'exécutai cette manoeuvre au péril de ma vie. Au milieu de mes tribulations je n'avais pas lâché mon trésor; j'aurais pourtant mieux fait de le jeter, comme depuis j'en ai jeté tant d'autres . En dévalant le tronc, je m'écorchai les mains, je m'éraillai les jambes et la poitrine, et j'écrasai les neufs : ce fut ce qui me perdit. Le préfet ne m'avait point vu sur l'orme; je lui cachai assez bien mon sang, mais il n'y eut pas moyen de lui dérober l'éclatante couleur d'or dont j'étais barbouillé. « Allons, me dit-il, monsieur, vous aurez le fouet. » Si cet homme m'eût annoncé qu'il commuait cette peine en celle de mort, j'aurais éprouvé un mouvement de joie. L'idée de la honte n'avait point approché de mon éducation sauvage : à tous les âges de ma vie, il n'y a point de supplice que je n'eusse préféré à l'horreur d'avoir à rougir devant une créature vivante. L'indignation s'éleva dans mon coeur; je répondis à l'abbé Égault, avec l'accent non d'un enfant, mais d'un homme, que jamais ni lui ni personne ne lèverait la main sur moi. Cette réponse l'anima; il m'appela rebelle et promit de faire un exemple. « Nous verrons », répliquai-je, et je me mis à jouer à la balle avec un sang-froid qui le confondit. Nous retournâmes au collège; le régent me fit entrer chez lut et m'ordonna de me soumettre. Mes sentiments exaltés firent place Il cherche, il brouille , il crie, il s'échauffe, il appelle ses valets l'un après l'autre : On lui perd tout, on lui égare tout ; il demande ses gants qu'il a dans ses mains, semblable à cette femme qui prenait le temps de demander son masque lorsqu’ elle l'avait sur son visage. Il entre à l'appartement , et passe sous un lustre où sa perruque s'accroche et demeure suspendue. Tous les courtisans regardent et rient; Ménalque regarde aussi, et rit plus haut que les autres; il cherche des yeux dans toute l'assemblée où est celui qui, montre ses oreilles et à qui il manque une perruque. S'il va par la ville, après avoir fait quelque chemin, il se croit égaré, il s'émeut et il demande où il est à des passants, qui lui disent précisément le nom de sa rue; il entre ensuite dans sa maison, d'où il sort précipitamment, croyant qu'il s'est trompé. Il descend du =Palais , et, trouvant au bas du grand degré un carrosse qu'il prend pour le sien, il se met dedans : le cocher touche et croit remener son maître dans sa maison; =Ménalque se jette hors de la portière, traverse la cour, monte l'escalier, parcourt l'antichambre, la chambre, le cabinet, tout lui est familier, rien ne lui est nouveau, il s'assied, il se repose, il est chez soi . Le maître arrive; celui-ci se lève pour le recevoir, il le traite fort civilement , le prie de s'asseoir et croit faire les honneurs de sa chambre; il parle, il rêve il reprend la parole; le maître de la maison s'ennuie , et demeure étonné . Ménalque ne l'est pas moins, et ne dit pas ce qu'il en pense : il a affaire à un fâcheux, à un L'ENFANT ET LA FAMILLE ménage, tu fais la cuisine, tu es maman. Tu te lèves le matin pour balayer, et puis tu prépares la soupe, et puis tu viens m'éveiller. J'entends tes pas sur les marches de l'escalier. C'est le jour qui arrive avec l'école, et je ne suis pas content. Mais tu ouvres la porte, c'est maman qui vient avec du courage et de la bonté. Tu m'embrasses, et je passe les bras autour de ton cou et je t'embrasse. Tu es une bonne divinité qui chasse la paresse. Tu entres, ouvres la fenêtre et l'air et le soleil c'est toi, et tu es encore le matin et le travail. Tu es ici à la source de mes actions, et tes gestes me donnent mes premières pensées et ta tendresse me donne mon premier bonheur. =Maman, j'ai douze ans et je commence à te comprendre. Je te distingue des autres mères comme je distingue ma maison des autres maisons. Tu deviens une femme particulière dont je connais les habi tudes et je m'aperçois que tu es meilleure que les autres femmes. =Maman, tu es travailleuse. Le travail de mon père est celui qui nous donne la vie, et ton travail consiste à l'ordonner. Tu veux que rien ne manque, et tout ton corps, et tes mains et tes yeux et tes jambes s'occupent à ce soin et je sens que tu en as fait les serviteurs de notre vie et les ordonnateurs de notre joie. Il y a la vaisselle, il y a le ménage, il y a le puits plein d'eau que tu puises, il y a le balai et la lessive. Il y a les commissions chez l'épicier, chez le boulanger, et chez tous les marchands. Il y a le raccommodage et la confection. Ce sont des travaux simples qui s'étendent devant ta vie et que tu accomplis sans cesse. Après chacun d'eux, tu regardes le suivant et tu pars où il te conduit, docile et calme. Tu n'es jamais les mains vides. Je te vois maman. Je te vois avec tes yeux de ménagère qui rie regardent pas plus loin que la maison. Je te vois avec tes joues tendres où mes baisers s'enfoncent. le vois tes mains un peu rugueuses que la vie a frottées avec tous ses travaux. Le soir, tu te fais un peu plus belle, et tu prends un bonnet gaufré, Je préfère celui qui est orné d'un ruban de velours noir. Tu es assise. tu es bien propre. C'est comme cela que je t'aime. =Maman, lorsque tu es assise à la fenêtre, tu couds et tu penses. -Je sais bien à quoi tu penses. Tu penses à la chemise que tu couds, à un gilet, à un pantalon, à la soupe du soir. Tu te dis : « Il va falloir à cinq heures que je coupe mon oseille pour faire de la soupe à l'oseille. » Tu écoutes mon père qui fait des sabots et tu causes parce que causer fait du bien. LE CHASSEUR D'IMAGES Il saute du lit de bon matin, et ne part que si son esprit est net, son cceur pur, son corps léger comme un vêtement d'été. Il n'emporte point de provisions : il boira l'air frais en route et reniflera les odeurs salubres. Il laisse ses armes à la maison et se contente d'ouvrir les yeux. Les yeux servent de filets où les images s'emprisonnent d'elles-mêmes. La première qu'il fait captive est celle du chemin qui montre ses os, cailloux polis, et ses ornières, veines crevées entre deux haies riches de prunelles et de mûres. Il prend ensuite l'image de la rivière. Elle blanchit aux coudes et dort sous la caresse des saules. Elle miroite quand un poisson tourne le ventre, comme si on jetait une pièce d'argent; et, dès que tombe une pluie fine, la rivière a la chair de poule. Il lève l'image des blés mobiles, des luzernes appétissantes et des prairies ourlées de ruisseaux. Il saisit au passage le vol d'une alouette ou d'un chardonneret. Puis, il entre au bois. Il ne se savait pas doué de sens si délicats. Vite imprégné de parfums, il ne perd aucune sourde rumeur. II quitte le bois et suit de loin les paysans regagnant le village. Il fixe un moment le soleil qui se couche et dévêt sur l'horizon ses lumineux habits, ses nuages répandus pêle-mêle. Enfin, rentré chez lui, la tête pleine, il éteint sa lampe, et longuement, avant de s'endormir, il se plaît à compter ses images. Dociles, elles renaissent au gré du souvenir, chacune d'elles en éveille une autre; et sans cesse leur troupe phos- phorescente s'accroît de nouvelles venues, comme des perdrix poursuivies et divisées tout le jour chantent, le soir, à l'abri du danger, et se rappellent au creux des sillons. LA VIE DU FLEUVE Le =Rhin coulait en bas, au pied de la maison. De la fenêtre de l'escalier, on était suspendu au-dessus du fleuve comme dans un ciel mouvant. Christophe ne manquait jamais de le regarder quand il descendait les marches en clopinant; mais jamais II ne l'avait vu encore comme aujourd'hui. Le chagrin aiguise les sens; il semble que tout se grave mieux dans les regards après que les pleurs ont lavé les traces fanées des souvenirs. Le fleuve apparut à l'enfant comme un Un gourmand devant une vitrine. - Mon grand-père qui était un tantinet, sur sa bouche, étudiait du regard les bonnes choses exposées à l'étalage : les chanpignons, les crépinettes truffées, les galantines enveloppées d'un manchon de gelée: transparente, les andouillettes appétissantes et dodues. Ses narin e dilatai et ses lèvres gourmandes devenaient humides. Un repas de fête en Roussillon. - Peu à peu les vins généreux débridaient les langues. Des apostrophes pittoresques éclataient joyeusement, d'un bout l'autre des tables, brèves comme des défis, sonores et rebondissantes, frappées comme de bonnes monnaies loyales dans cette langue catalane, qui s'accommode t si bien des grands éclats de rires fendus jusqu'aux oreilles. Une gafté robuste et franche, toute débordante de cordialité, secouait 'es poitrines, entrechoquait les verres, et montait, montait dans l'air. C'était quelque chose de brutal et de solennel à la fois, de tumultueux et de patriarcal. On s'en donnait pour to l'année. Paragraphe à imiter. LA CUISINE VUE PAR UN CHIEN La cuisine est le lieu le plus agréable de la maison; cependant on n'y peut séjourner à cause de la cuisinière. C'est là que se trouvent la table, les chaises, les assiettes, qui ne contiennent plus rien lorsqu'on vous les confie, la lampe qui chasse les ténèbres et l'âtre qui met en fuite les jours froids. Les pots de porcelaine s'amusent à se pousser du coude et à se bousculer au bord des tablettes garnies de dentelles de papier. Les casseroles de cuivre jouent à éparpiller de la lumière sur les murs blancs et lisses. Le fourneau chantonne doucement en berçant trois marmites qui dansent avec béatitude; par le petit trou qui éclaire son ventre, pour narguer le pauvre qui ne peut approcher, il lui tire constamment une langue de feu. L'horloge qui s'ennuie dans son armoire de chêne fait aller et venir son gros nombril doré et les mouches sournoises agacent les oreilles. Sur la table éclatante reposent un poulet, un lièvre, trois perdreaux à côté d'autres choses qui ne valent rien et qu'on appelle fruits et légumes : petits pois, haricots, pêches, melon, raisin. La cuisinière vide un grand poisson d'argent et jette les entrailles dans la boite aux ordures. Trésor inépuisable, joyau de la maison. EFFET DE BROUILLARD SUR LA MER brouillard s'était développé, il occupait maintenant près de la l'horizon. C'était comme une vaste falaise mouvante qui avançait dans tous les sens à la fois. Quelques instants après, « la Durande » entrait dans le banc de brume. Ce fut un instant singulier. Tout à coup, ceux qui étaient à l'arrière ne virent plus ceux qui étaient à l'avant. Une molle cloison grise coupa en deux le bateau. Le soleil ne fut plus qu'une espèce de grosse lune, et, brusquement, tout le monde grelotta, les passagers endossèrent leur pardessus et les matelots leur suroît. Tout était blafard et blême, on naviguait dans la pâleur diffuse, on ne voyait plus le ciel, on ne voyait plus la mer. Parfois, l'opacité était complète, le navire était pris dans une vraie banquise de brouillard, parfois aussi, ce cercle redoutable s'entr'ouvrait comme une tenaille, laissait voir un peu de l'horizon, puis se refermait. =Paris sous la neige et sous la brume. UN JOUR DE PLUIE la terre desséchée qui la boit, avide, avec un bruit de lèvres, sur C'était la pluie, une pluie à grosses rayures comme de la toile les feuillages pendants et flétris, sur les herbes à demi pâmées de de chanvre, une vraie pluie de =Flandre qui mouille sous la peau. Il chaleur, auxquelles un mois de sécheresse semblait avoir ôté toute repartait écouter la pluie sur les routes. Elle clapotait si plaintivement la sève dans les mares ; elle gloussait comme une poule malade aux gout On ne distingue plus qu'un grand rideau de pluie, derrière lequel tières, pleurait le long des murs au fond des vergers noirs. Les fermes d'énormes châtaigniers mettent des rondeurs d'ombre; en bas, la sous leurs toits bas, avec leurs vitres étamées de la buée des marmites, gorge n'est qu'un courant d'eaux noires et qu'un gouffre d'enfer, avec leurs volets déteints par la coulure de l'eau, avaient un air frileux ou des fumées se tordent avec démence sous le vent déchaîné. de petites arches de Noé regardant à travers leurs hublots s'enfoncer Dieu! comme II tonne! l'orage, en se répercutant à tous les échos les villages dans la brouée. de la cluse, l'emplit d'un fracas de mitraille, qui va roulant d'un bout à l'autre, toujours se perd au loin et toujours recommènce. Des éclairs s'allument, se suivent, se brisent sans relâche; à leurs lueurs rapides, maintenant que la nuit est déjà toute faite, les ténèbres du gouffre un moment se déchirent, montrent confusément tout un chaos de choses sombres et agitées; on voit luire partout des traînées d'eau qui courent; on n'entend, bruit de vent, bruit de l'eau, qu'un bruissement sans fin d'écluse, ou de vent dans les pins. Relevez quelques traits qui indiquent la douceur de cette lumière matinale ; d'autres qui indiquent la joie tranquille du groupe paisible. L'ÉVEIL DE LA FORÊT Le matin descendait. Des pointes d'arbres émergèrent dans un commencement de clarté; une blancheur envahissait le bas du ciel et cette blancheur grandit. La clarté coulait entre les branches, filtrait dans les feuillées, dévalait les pentes herbues, faisait déborder de partout l'obscurité. Et petit à petit, le ciel se lama de tons d'argent neuf. Alors, il y eut un chuchotement vague, indéfini, dans la rondeur des feuillages. Des appels furent sifflés à mi-voix par des pinsons, les becs s'ouvraient avec des claquements lents; et tout d'une fois, ce fut un large courant de bruits qui domina le murmure du vent. Un rais d'or pâle fendit l'azur, semblable à l'éclair d'une lance. L'aurore pointa sous bois rejaillissant en éclats d'étincelles comme un fer passé sur la meule. Puis une illumination constella les hautes branches, ruissela le long des troncs, alluma les eaux au fond des clairières, tandis que des buées violettes rampaient au bas du ciel. Au loin, une lisière de futaie sembla fumer dans un brouillard rose. Et la plaine était pommelée d'arbres en fleurs qui à chaque instant s'éclairaient un peu plus. Une tiédeur détendit alors les choses. Les feuilles se déroulèrent; des calices avec un bruit soyeux s'ouvrirent; une poussée vers la lumière fit bouger des branches d'un mouvement incessant. Les arbres étreignaient le matin dans leurs ramures étendues comme des bras. Subitement, le soleil creva le ciel. Une bousculade sembla refouler l'ombre. La clarté s'épandit par gerbes, par torrents, bouchant tous les trous, débordant à travers les taillis, éclaboussant l'espace de ses Il se plaquait contre les mottes, tordait son cou et ses épaules, les yeux fixés sur les cimes des épis. Peu à peu l'obscurité nocturne devenait moins opaque et moins lourde. Il distinguait le frémissement des graminées, les raies noires des sillons qui se brisaient à quelques pas contre l'immensité du ciel. Il y cherchait la forme d'un nuage, le clignotement fugitif d'une étoile. Et puis ses yeux revenaient aux sillons, aux épis, à la ligne confuse encore qui séparait le ciel de la terre. Ses regards la suivaient, la palpaient, en reconnaissaient patiemment les inflexions, les molles brisures, presque le grain et les rugosités. Et l'instant finissait par venir où il la savait tout entière, telle qu'elle était dans l'épaisseur même de la nuit. Cette longue bosse à quelque distance, cette forme presque sans contours qui se glisse sur des yeux fatigués. Combien de pas ? Une quarantaine. Voici un nuage qui approche dans le ciel, un peu nacré en transparence par le feu caché d'une étoile. Il va passer derrière la chose, il l'atteint, presque blanc derrière elle. Et tandis qu'il poursuit son voyage, des contours se précisent plus nettement, se détachent sur sa pâleur : une échine, un long cou qui se lève, une tête inquiète dressée dans la nuit. A quarante pas, avant le grand bond effrayé d'une biche prête à l'éventer, les chevrotines du =Tueur ont sifflé et blessé à mort. C'est une vieille biche très grande, très lourde. Il faut la dépecer sur place avant que le jour ne paraisse. Mais =Grenou, penché sur son cadavre n'a pas besoin de la lumière du jour pour reconnaître la vieille guetteuse, la Bréhaigne des Orfosses-Mouillées. Il tâte son flanc tiède encore, relève ses manches et s'agenouille. Le cuir est dur, mais la lame est solide. Le =Tueur pense : « J'ai eu ta peau, ma vieille. » Et il rit, tandis que sa lame tranche et que ses mains arrachent, avec une rudesse diligente, de grands lambeaux velus qui résistent longuement avant de se décoller. LA CHASSE A LA CAILLE Je prenais mon fusil, je sifflais =Flore et je gagnais les champs par le verger, où je buvais avec délices le jus encore acide des reinettes que je mâchais. A travers les maïs et les millets ruisselants, je suivais ma chienne. Je m'avançais comme un héros des =Mille et une =Nuits dans la contrée des diamants. Du rose et du bleu tremblaient partout en gouttes qui, sous les arbres de bordures, me dégoulinaient dans le cou. Des tourterelles surprises s'enfuyaient hors de portée, me laissant un moment dans cette déconvenue irritante que connaît