&&000 FRANCE – 4TH GRADE – 1950S FR-4TH-50S.TXT TWO PUBLISHERS: NATHAN; SUDEL N= 15 PAGES FILE SAVED IN UTF-8 FORMAT LAST EDITED: 19 MAY 2005 &&111 Porcher ? Pourquoi pas ? Un soir, à table, le cousin me dit très sérieusement - Écoute, petit, depuis longtemps les classes sont commencées, ton père se fâche, il s'agit de prendre un parti 1 et de s'entendre ; veux-tu retourner à Canteperdrix, oui ou non ? - J'aimerais autant ne pas y retourner encore. - Parfait ! mais ici tout le monde travaille ; à quoi es-tu bon pour gagner ta vie ? - Pour gagner ma vie... Je ne sais pas, je chercherai. - =Tiston le porcher a sa mère malade et nous quitte. Saurais-tu, par exemple, mener les porcs à la glandée , en remplacement de Tiston ? Un silence se fit, on me regardait. Porcher ? Pourquoi pas ? Le lendemain le cousin me confiait tout l'attirail laissé par =Tiston : son bâton à gros bout, sa gourde, son carnier plat en cuir luisant qu'un bouton de cuivre fermait, sa trompe faite d'une coquille percée à la pointe... Dès lors commença pour moi une existence délicieuse. Tous les matins, levé avec l'aube, dans les cocoricos de la basse-cour réveillée, j'allais tirer le verrou du toit à porcs, puis je partais, fier comme Artaban , en tête du troupeau confié à ma garde. Une fois arrivés au bois, mes porcs vivaces et joyeux se dispersaient sous les grands chênes, et, jusqu'au soir, tandis qu'ils broyaient le gland, je m'étendais à l'ombre près d'une source. Les beaux rêves que j'ai rêvés là ! Un soir, à force de rêver,. j'oublie l'heure de la rentrée à la ferme. Il est plus de huit heures. Je trompe : Tou rou tou! je trompe éperdumentA ce signal les porcs accourent ; et, pour rattraper le temps perdu, à coups de poing, à coups de bâton, je les pousse dans le raccourci, étroit et glissant raidillon pratiqué au flanc d'une pente abrupte. Des chèvres y eussent passé ; les porcs, hélas ! n'y passèrent et puis en bas au fond, des villages, des peupliers sans feuilles, des fayards noirs, des hangars à machines, des mulets rembourrés de bourre d'hiver, des boeufs à la mangeoire, des femmes qui pétrissaient le fromage, des hommes qui venaient voir le temps aux fenêtres et des petits garçons en sabots qui couraient dans le brouillard. On ne pouvait pas. Si on voulait savoir, il fallait bien regarder : il y avait dans la neige d'es traces légères d'un renard, comme de petites roses de griffes. Tant qu'on les voyait, c'était la neige. A l'endroit où ça s'arrêtait, c'était le nuage. Savoir si le renard était tombé dans l'à-pic ? Savoir si, de là, il avait fait un bond en arrière vers le gros sapin, puis refouiné sa route vers les chalets de la Mouille-Rousse, savoir ? Il avait aussi bien pu s'empeloter dans une belle boule de brouillard et puis se voguer en moulinant des pattes à travers tout ce marais de nuages pour aller aborder au-delà, vers la pointe d'Uble. Qui sait ? C'est capable de tout! Et puis le silence! Plus rien de lui, plus rien d'espoir, plus rien de ce qui fait sa vie, avec ses pieds et ses poumons. Est-ce que c'était un renard vrai, seulement ? Dans l'empreinte, il y avait bien les quatre griffes et puis la paume, et là où ça s'était regelé après son passage, à côté de l'empreinte, il y avait la traînasse de ses longs poils de jambes. Oui, ça semblait vrai. Ça semble toujours vrai ce qui est faux, car le silence! Ce grand silence où tout est mort. Tout est forcément mort pour faire un silence comme ça. Et il doit y avoir de nouvelles choses qui vivent. Et pourquoi pas des renards de silence, faits exprès pour la forêt écrasée de neige, le ciel sans vent, le froid ; et ceux-là, ils ne s'en iraient pas sur les nuages, pourquoi ? Vous le savez, vous ? Qui les empêcherait ? Vous ? Alors, vous voyez bien ! La maison de la clairière lâcha une grosse bouffée de fumée. C'est que l'homme devait ouvrir la porte pour s'aérer ou bien pour voir s'il pouvait descendre jusqu'aux Mouilles-Rousses, chercher du pain. Le temps d'aller et de revenir. La montée est longue. Il écoute. Le silence même avait étouffé son grondement, rien, plus rien sur la terre et dans le ciel. L'homme venait de se regarder dans son petit miroir. Il s'était trouvé d'un coup tout vieux. En bas, il avait l'habitude de se raser moustache et barbe. Ici, il avait tout laissé pousser, pour voir. Il venait de voir cette moustache pâle au-dessus de sa bouche, et sa barbe blonde et blanche. Il pensa que la neige portait bien les raquettes, moins sûr pour les skis. Il fallait voir comment était le ventre de la pente au-delà du bois. Il pensait aussi qu'avec les skis, en trois sauts, il y serait presque tout de suite, et les =Mouilles, c'est trois chalets, l'un contre l'autre. Dans l'un il y a =FernandPlate, la =Zéphyrine, le vieux =Ressachat et =Boromé. Dans l'autre, il y a les cinq vaches, l'odeur du fumier, la chèvre, du foin sec, la grosse lampe. Dans le premier chalet, il ya encore la large table, la chaudronnée, la cafetière, le tiroir aux cuillères qui s'ouvre en faisant un gros bruit de fer, les louches, les casseroles, les marques du couteau sur la table, pendu près du poêle le calendrier de l'épicerie Esparchaz... Il y en a des choses en bas ! Il attache ses skis, on verra bien. - Oui, répondit =Marinette en montrant le petit chien blanc couché sur ses genoux. Tournant la tête, le cygne fit entendre un long sifflement et presque aussitôt s'avancèrent deux autres cygnes qui tiraient un radeau. - Montez, commanda celui qui semblait avoir pour mission de surveiller les embarquements. - Attendez, protesta Deiphine, il faut que je vous explique. - Je n'ai pas d'explications à entendre, coupa le cygne. Vous vous expliquerez dans l'île, si vous voulez. Allons, vite. - Laissez-moi vous dire. - Silence! i Le cygne, l'oeil méchant, allongeait déjà son grand cou, et son bec menaçait les mollets des petites. - Allons, dit l'un des cygnes attelés au radeau, soyez raisonnables. Nous n'avons plus de temps à perdre ici. Effrayées, les petites n'osèrent pas résister davantage et montèrent sur le a radeau. Les deux cygnes partirent aussitôt et, gagnant le milieu de l'étang, nagèrent en direction de l'île. La promenade était agréable et les deux enfants ne regret- taient guère le rivage. On rencontra des cygnes qui revenaient de l'île où ils avaient sans doute déposé des passagers. D'autres, légèrement chargés d'un chaton ou d'un marcassin en bas âge, dépassèrent l'attelage et eurent bientôt abordé. Le petit chien blanc était si content de naviguer qu'il faillit plusieurs fois sauter hors des bras de =Marinette pour aller jouer avec l'eau. La traversée dura un peu plus d'un quart d'heure. Au débarqué, un cygne vint prendre livraison des deux sueurs et du petit chien et les conduisit à l'ombre d'un bouleau d'où il leur défendit de s'éloigner sans sa permission. Delphine et =Marinette reconnurent, dans le troupeau des jeunes bêtes qui les entouraient, la chevrette et les deux canetons, sans compter quelques autres aperçues tout à l'heure sur le rivage de l'étang. =Marinette compta une quarantaine d'orphelins, de tout poil et de toute plume, et, à chaque instant, le cygne en amenait de nou- veaux. lis songeaient à la famille qu'ils allaient trouver bientôt et l'émotion les rendait silencieux. A l'autre bout de l'île était massé un autre troupeau. Une ligne de buissons empêchait de les bien voir, mais l'on pouvait distinguer qu'il n'y avait là que des animaux d'un âge mûr. Ils semblaient assez bavards et le bruit de leurs voix par- venait aux petites. Au bout d'un quart d'heure d'attente, Deiphine avisa un vieux cygne occupé à faire les cent pas devantt les orphelins qu'il était sans doute chargé de surveiller. Il marchait en dodelinant de la tête avec un air de bonté. Voyant Delphine faire un geste d'appel, il s'avança et dit aimablement Mais ce pesant bien-être, où l'assoupissement vous plonge, m'enlevait toute peur et je continuais tout doucement à dormir. Il faut croire qu'à la longue la fumée finit par me suffoquer; je sursaute soudain et je jette un cri d'effroi. Oh ! quand je ne suis pas mort, mort d'épouvante, là, je ne mourrai jamais plus! Figurez-vous trois faces de bohèmes qui, tous les trois à la fois, se retournèrent vers moi, avec des yeux, des yeux terribles. - Ne me tuez pas! ne me tuez pas ! leur criai-je, ne me tuez pas ! Lors, les trois bohémiens, qui avaient eu, bien sûr, autant de peur que moi, se prirent à rire et l'un d'eux me dit - C'est égal ! tu peux te vanter, mauvais petit moutard, de nous avoir fichu une belle venette! Mais, quand je les vis rire et parler comme moi, je repris un peu courage, et je sentis, en même temps, extrêmement agréable, une odeur de rôti me monter dans les narines. Ils me firent descendre de mon perchoir, me demandèrent d'où j'étais, de qui j'étais, comment je me trouvais là, que sais-je encore ? Et rassuré, enfin, complètement, un des voleurs (c'étaient en effet trois voleurs): - Puisque tu as fait un plantié, me dit-il, tu dois avoir faim. Tiens, mords là. Et il me jeta, comme à un chien, une éclanche d'agneau saignante, à moitié cuite. Alors, je m'aperçus seulement qu'ils venaient de faire rôtir un jeune mouton, qu'ils devaient avoir dérobé, probablement, à quelque pâtre. Aussitôt que nous eûmes, de cette façon, tous bien mangé, les trois hommes se levèrent, ramassèrent leurs hardes, se parlèrent à voix basse; puis, l'un d'eux - Vois, petit, me fit-il, puisque tu es un luron, nous ne voulons pas te faire de mal... Mais, pourtant, afin que tu ne voies pas où nous passons, nous allons te ficher dans le tonneau qui est là. Quand il sera jour, tu crieras, et le premier passant te sortira, s'il veut. - Mettez-moi dans le tonneau, répondis-je d'un air soumis. J'étais encore bien content de m'en tirer à si bon marché. Et, effectivement, en un coin de la masure, se trouvait par hasard un tonneau défoncé où, sans Un petit sac de filet contenait les plus belles billes, qu'une à une l'on m'avait données et que je ne mêlais pas aux vul- gaires. Il en était que je ne pouvais manier ;ans être à neuf ravi par leur beauté; une petite, en particulier, d'agate noire avec un équateur et des tropiques blancs; une autre translucide, en cornaline, couleur d'écaille claire dont je me servais pour caler ». Et puis, dans un gros sac de toile, tout un peuple de billes grises qu'on gagnait, qu'on perdait, et qui servirent d'enjeu lorsque, plus tard je pus trouver de vrais camarades avec qui jouer. Un autre jeu dont je raffolais, c'est cet instrument de merveilles qu'on appelle kaléidoscope : une sorte de lorgnette qui, dans l'extrémité opposée à celle de l'ceil, propose au regard une toujours changeante rosace, formée de mobiles verres de couleur emprisonnés entre deux feuilles translucides. L'intérieur de la lorgnette est tapissé de miroirs où se multiplie systématiquement la fantasmagorie des verres que déplace entre les deux feuilles le moindre mouvement de l'appareil. Le changement d'aspect des rosaces me plongeait dans un ravissement indicible. Je revois encore avec précision la couleur, la.forme des verroteries; le morceau le plus gros était un rubis clair; il avait forme triangulaire; son poids l'entraînait d'abord et par-dessus l'ensemble qu'il bousculait. Il y avait un grenat très sombre à peu près rond; une émeraude en lame de faux; une topaze dont je ne revois plus que la couleur, un saphir, et trois petits débris mordorés. Ils n'étaient jamais tous ensemble en scène, certains restaient cachés complètement; d'autres à demi, dans les coulisses, de l'autre côté des miroirs; seul le rubis, trop important, ne disparaissait jamais tout entier. La =Maréchale appuya fortement sur le collier, dont les grelots tintèrent; mais elle retomba d'aplomb sur ses jambes raides. Cadrix essaya de l'entraîner, en la reprenant par la bride et en lui envoyant sur l'encolure de rudes tapes amicales. Rien ne bougeait. Basilisse saisit le fouet. Madame =Lestelle, debout, lança de sa fine voix perçante - Voyons, ma belle. Voyons, ma jolie. Oh! la vilaine! Les quatre sabots semblaient rivés au sol. - Si on la laissait sans bouger, sans rien dire, je suis sûr que dans une paire ou trois heures, elle partirait comme un agneau. - Dieu du ciel! Je n'aurai jamais la patience! Il doit bien rester un moyen de la faire démarrer, supplia Madame =Lestelle. - Bien madame, elle va partir. Cadrix rapporta une poignée de paille qu'il posa à terre, entre les quatre pieds de la bête. Toujours calme et silencieux, il alluma une allumette, la tint abritée au creux de sa main, la jeta dans la paille et recula en recommandant - Tenez-vous ferme! Un très court instant l'immobilité persista puis, dans une rude fouettée d'air, tout l'attelage se trouva subitement lancé sous la voûte sombre de la grande allée. Les arbres fuyaient à reculons devant la voiture qui, semblant n'avoir plus aucune pesanteur, volait tantôt à droite, tantôt à gauche du chemin. Les, deux femmes furieusement secouées, assourdies par un bruit de grelots et de ferraille, se cramponnaient et criaient sans entendre leur voix, comme on crie en rêve. L'allée finissait. Les =Pyrénées se dressèrent, brusquement rapprochées, sombres, comme durcies sur le ciel clair. Madame =Lestelle ferma les yeux, avec l'impression qu'on courait s'abattre contre cette barrière éclatante. =Basilisse pensa - Pourvu que la bête tourne pour prendre la route! Elle tourna par habitude, et ce mouvement coupa son élan. Les harnais claquèrent plus mollement, en retombant sur son dos, où leur place était marquée dans le poil trempé de sueur. Trutta s'opposait à cette force en plongeant son corps à la verticale. Pendant deux minutes elle se maintint dans cette position sans bouger, sa large queue déployée comme un drapeau. Il y avait plus de surprise que de crainte chez la truite. Là-bas, à vingt mètres, sur le gravier, par une adroite tactique, on avait évité l'attaque brutale. Des rafales de neige tourbillonnaient au-dessus du =Tarn. La nature n'était que silence. Trutta nagea quatre ou cinq mètres vers la rive, sans hâte, descendit le courant comme désoeuvrée. La force conservait le contact, sans aucun désir de commencer la lutte; elle avait jugé son adversaire; docile, elle suivait Trutta. Poussée par un secret instinct, la truite se retourna, remonta vers sa cave. Elle tirait derrière elle un fil nerveux qui cédait et s'allongeait sans fin. Cette résistance la fatiguait sournoisement. Elle dépassa les premières pierres de la jetée. Sa course s'était ralentie, le poids du fil pesait durement sur sa langue. =Trutta se sentit immobilisée dans sa course en avant sans qu'augmentât la résistance; on reculait sur le gravier en lui lâchant du fil. Impatientée, elle fit un brusque tête à queue. Le contact reprit sans à-coups et la truite, énervée, s'en alla zigzaguant dans la rivière. Les truites fuyaient sur le passage de =Trutta. Puis, cachées sous les pierres, elles la regardaient évoluer. =Trutta s'affolait. Elle gaspilla ses forces de longues minutes durant, à louvoyer loin du rivage. Lasse enfin, elle se posa sur une pierre, au milieu du courant. Elle resta inébranlable quand, du gravier, déconcerté, on imprima au fil de vives secousses. Une secousse plus violente la décida à se décoller de la pierre. Elle fit un cercle et longea la rive. C'est alors qu'elle vit la silhouette de l'homme, c'est alors que commença la vraie bataille. Le corps de la truite vola dans l'air zébré par les flocons de neige. Il y eut trois « plouf » sonorisés par le silence, l'eau jaillit par trois fois sous la lourde masse en révolte et ce fut le «démarrage». Des bottes claquèrent sur le gravier comme après une perte le cratère d'un volcan. Vous avez des ailes, vous gagnez sur les compagnies; encore un peu et vous les saisiriez de votre main immensément agrandie. Bon! Vous redescendez sur le soi, vous vous mettez à cavalcader dans une plaine immense qui se réduit soudain à un carré de chaume plus petit que votre chambre, où jaillissent des perdreaux qui sont des autruches, des lièvres qui sont des hippopotames, et qui vous par!ent, qui tombent à votre coup de fusil et se relèvent en ricanant. Vous vous relancez à -leurs trousses; mais, les regards rivés sur le gibier, vous n'avez pas vu le petit mur d'un pâtis; vous arrivez dessus, et quand vous voulez bondir, il est trop tard : votre élan vous envoie buter de la tête contre quelque chose de dur... C'est contre votre bois de lit. Et vous vous révei!!ez, en nage, le front douloureux. Vous frottez une allumette : minuit! Encore trois heures de bonnes! Vous vous retournez, avide de prendre des forces, et vous repartez sur vos perdreaux! Tout à coup, vous sursautez : un coup de fusil! Une autre allumette : minuit et demi! Et c'est ainsi jusqu'à trois heures. Ah! elles sont reposantes les nuits de veille d'ouverture quand on est, comme vous, un enragé, un vrai chasseur, qui ajarrezs de fer, bon chien` bon fusil, et qui ne prendrait aucun plaisir à brûler deux cents cartouches dans une chasse trop bien gardée. dans une chasse trop bien gardée. Enfin, quand vous vous !evez, vous ne savez plus si vous ne rêvez pas toujours. Une détonation! Cette fois, c'est dans la plaine. La pauvre maison des Dumont. Voici ce qui arriva le lundi d'après =Pâques. C'était jour de fête et lendemain de fête. Depuis la veille, la ville était joyeuse. Des gens joyeux riaient au soleil printanier. Dans la pauvre maison des Dumont, la rayonnante gaieté de l'heure n'entrait pas. Il faisait sombre et presque froid entre les vieux murs suintant d'humidité malsaine. Depuis plusieurs jours, il n'y avait plus un centime chez les Dumont. Il n'y avait plus un centime et les fournisseurs refusaient tout nouveau crédit . Le matin même, Dumont avait tenté, près de l'un d'eux, une dernière démarche 3 et n'avait rien obtenu. - Ne nous décourageons pas ! disait Lucie, la fille aînée qui remplaçait la mère morte. Les choses vont s'arranger 1 Avec les beaux jours, le chômage prendra fin. Elle s'efforçait de garder son sourire brave, malgré les quintes de toux' qui la secouaient. Le père. lui, était loin de sourire. Lucie étant passée dans la chambre voisine, il demeura seul. Accoudé à la table, il pensait avec amer- tume J'ai pourtant fait ce que j'ai pu. J'ai beaucoup travaillé et je ne demande qu'à travailler encore. Jamais personne n'a demandé mon aide en vain. Maintenant, j'ai besoin d'aide à mon tour, mais les autres s'écartent de moi. Gomme il remuait ses idées sombres, =Françoise, qui était allée jouer sur une place voisine, entra dans la maison. Elle était misérablement vétue, mais, pour avoir couru au bon soleil, elle revenait avec des yeux rieurs. Elle sautait à cloche-pied : oup ! oup ! oup ! Quand elle s'arrèta, elle dit - J'ai trouvé un petit livre. Je le mets sur la table. Puis elle sortit : oup ! oup ! Alors le père, qui n'avait pas bougé, leva la tète. Ce que la fillette avait pris pour un petit livre était un portefeuille. Dumont l'ouvrit : il contenait dix billets de mille francs. Durnont les replaça dans le portefeuille et se leva. Oui ! Son premier mouvement fut de porter bien vite le portefeuille au commissariat de police où celui qui l'avait perdu irait certainement le réclamer. Je dus m'asseoir à même le fond. - Bonne brise, remarqua-t-il avec satisfaction. Et il hissa la toile. Elle était vieille, rapiécée; mais, gonflée de vent tout à coup, elle claqua. Alors la barque s'inclina sur l'eau qui affleura jusqu'au plat-bord, e. nous appareillâmes. Bargabot, torse nu, avait saisi les rames, et vigoureusement il tirait de deux bras. L'esquif filait, au ras de l'eau, si bien que le flot quelquefois venait mouiller mes coudes. Je craignais de le voir, sous le poids de la toile, chavirer en plein courant. Mais il tenait bon. Bargabot, insouciant, affrontait, rame au poing, vent dans le dos, les puissances de la rivière. Nous coupions les tourbillons noirs et, tanguant , roulant à plein bord, nous sautions par-dessus les eaux tumultueuses. Tout respirait la joie : =Bargabot, les flots aérés, la brise qui soufflait à la bonne fortune, le ciel rayé d'oiseaux et le grand poudroiement des terres riveraines s qui fumaient, attiédies déjà par le soleil. J'en oubliais un peu mes peines et, enivré par l'air violent qui volait surlarivière, je m'abandonnais au plaisir de boire le vent. Vers midi, on aborda la rive gauche. On y prit un repas. =Bargabot tira un canard. Il avait une immense canardière . C'était une arme vénérable, fonctionnant avec un silex. Lorsque partait le coup, elle laissait dans les airs une longue traînée d'étincelles rougeâtres et beaucoup de fumée qui sentait bon le salpêtre et le feu. On passa la nuit à la belle étoile. Le lendemain, on navigua comme la veille, mais plus près des bords, en eau calme. Vers le soir, l'île fut en vue. =Bargabot parlait peu. Il me dit cependant, en montrant l'île - C'est nettoyé, petit. « Ils » Il ont eu peur. Et il caressa gentiment sa canardière. Je crois bien qu'il était content de - Il ne reste plus rien? lui demandai-je. - Mon ami noir. =JacquesLarnaud, un combattant gravement malade, est soigné dans un hôpital militaire installé dans une ville étrangère. C'est lui qui parle. Je m'assoupissais toujours quand venait l'aube, la nuit passée, les ténèbres écartées. En me réveillant, je vis qu'il y avait quelqu'un dans le lit à ma droite. J'avais bien entendu du bruit, mais je n'avais fait aucun effort pour m'intéresser à ce qui se passait. C'était l'heure où je me « refaisais ». J'étais couché sur le côté; j'ouvris les yeux et je vis, sur la blancheur des draps, une tête et une main noires. C'était un Noir, en effet. Il était là, sagement étendu, immobile. Il tourna ses yeux vers moi et je vis qu'ils étaient pleins de lumière. Je le regardai mieux : il était beau comme un enfant. Un enfant, voilà ce qu'il était, un enfant faible, naïf , confiant. Un enfant, ça ne devrait jamais souffrir, ça n'est pas fait pour ça; ça n'est pas, non plus, fait pour la mort . Ah ! ce sourire le sourire de cet enfant désarmé qui ne savait pas ce qui attendait . Je ne pus m'empêcher de le questionner - Qu'est-ce que tu as ? - Sais pas malade. Et il souriait encore, comme pour se faire pardonner. Sa voix était chaude, chantante. Il ne savait que peu de mots, mais il aimait les dire; je crois que tout son univers, sa fierté tenait en eux. Il exprimait des sentiments simples comme de l'eau, comme un drapeau. D'où venaitil ? de quel régiment ? comment était-il là ? Dans le milieu de l'après-midi, il me dit, montrant la fenêtre - Beau, la France! Je tentai de lui expliquer - Ici, pas =France. - Si! si! a-t-il fait. =France, où il y a =Français, c'est toujours la =France. Il avait raison : à quoi bon entrer dans les détails ? C'était bien mieux et bien plus vrai ainsi. Le jeune boulanger. La =Misangère est une fermière du =Poitou; son fils et son gendre combattent sur le front. Elle-même, quoique très dgée, aide aux travaux de la ferme. Elle s'intéresse aux deux enfants du cousin Ravisé, qui donnent un si bel exemple de courage. La =Misangère se détourna un peu de son chemin et avança, comme elle faisait toujours, jusqu'à la boulangerie du cousin Ravisé. Ce dernier était parti à la guerre avec les dernières levées ; veuf, il n'avait laissé en sa maison que deux enfants : =Marguerite, une frêle blonde de dix-sept ans à peine, et Lucien, de deux ans plus jeune. Au moment de partir, il leur avait montré l'argent qu'il possédait, disant - Vivez comme vous pourrez avec cela en attendant mon retour. Puis il avait fermé la boutique. Le lendemain, les deux enfants la rouvraient et, depuis, au prix d'un labeur inconcevable', auquel rien ne les avait préparés, ils maintenaient la clientèle. La =Misangère aimait à les voir, à les encourager : au besoin, elle modérait leur ardeur, donnait des conseils de prudence. Cette fois, elle les trouva en train de charger la voiture pour une tournée de plaine. =Marguerite, du fond de la boulangerie, cria - Bonsoir, cousine =Hortense. Et le garçon, essoufflé, une douzaine de miches entre les bras, dit à son Tour. - Ça chauffe, ce soir. Nous ne sommes pas en avance. La =Misangère les quitta vite afin de ne pas leur faire perdre de temps. Elle reprit le chemin du =Paridier. Elle avait traversé Sérigny et remontait vers =Château-Gallé quand le bruit d'une voiture la fit se ranger sur le bord de la route. Elle pensa : « C'est le petit =Ravisé qui n'a pas encore fini sa tournée ; il mène le pain à ceux de ),a plaine.» Mais la voiture venait avec une vitesse inusitée 3 et il n'y avait personne sur le siège. Inquiète, la Misangère s'arrêta. Le cheval passa au galop en hen- nissant, grande bête folle à la tête dressée et dont le museau semblait ricaner. Les roues firent voler des pierres. Premier coup de fusil. en =Normandie. Un père et sa fille font l'ouverture de la chasse. La scène se passe =Bruno n'eut pas besoin de l'appeler pour la réveiller. Le coeur bondissant, elle achevait déjà de s'habiller. Elle mit pour la première fois ses guêtres de cuir jaune, cadeau de son père, et avec quel orgueil ! Avoir des guêtres de cuir jaune, cela donne à toutes les enjambées qu'on fait quelque chose d'héroïque. Cela sent les longues marches dans les terrains difficiles, la fatigue, l'imprévu, l'aventure. Le père et la fille déjeunèrent vivement : pain dur et fromage avec un verre de cidre. - Es-tu parée, ma fille ? - Oui, =papa ! - Alors, allons ! Oh, le premier pas dehors, au sortir de la maison obscure, la première bouffée d'air respirée dans le petit jour parfumé de septembre =1 Au chenil, le jeune Charles les attendait comme il était convenu. C'était lui qui couplait les deux braques et les tenait en laisse jusqu'au point voulu. Silencieusement, il salua. Après quelques mots et quelques gestes, on se remit en route. Peu après la barrière, les autres chasseurs apparurent. Ils étaient quatre, des paysans, dont le père de =Charles. Beau temps, m'sieu =Horp ; quand on pense qu'hier ça versait à Dieu miséricorde - Oui, père =Langlois - Nous aurons du lièvre, il y en a dans les labours. =Alexandra, Oui, j'ai vu ça 1 Je l'avais dit à papa. - Bientôt ce fut la plaine où le blé coupé en chaume se hérissait a, où le ciel immense, étouffé de nuages sur ses bords, répandait un crépuscule 4 triste et blafard, encore privé de la présence du soleil. - Lâche les chiens, =Charles ! Le Seigneur et sa cour. Le jour où j'essayai ma pirogue fut une date importante dans ma vie. J'avais fait, tout en la construisant, de si grands rêves de liberté l Je me voyais abordant sans peine à cette côte et recueilli par des planteurs généreux. Chimères' qui berçaient mon effort, patiemment! Et tout de suite, dès que je fus sur l'eau, porté par cette mer qui sait creuser dans ses colères de si redoutables abîmes, je compris que mes rêves ne pouvaient se réaliser. Jamais cette coque de noix ne pourrait affronter l'espace qui me séparait de la côte aperçue, espace qui, selon moi, était de quarante milles environ. A la première bourrasque, qu'adviendrait-il de cette barque fragile ? Ah! si j'avais pu construire une pirogue dix fois plus importante et si, surtout, j'avais pu la mettre à l'eau, je sentais que mon projet de fuir mon île aurait pu se réaliser! Mais là, me risquer sans assurance, c'eût été un vrai suicide. Je renonçai donc à atteindre le rivage de mes rêves et, pour m'enlever mes regrets, je n'eus qu'à écouter ma raison. Elle me représenta en effet tout ce qu'une telle entreprise aurait eu d'imprudent, même si l'état de la mer avait pu me permettre d'aborder sans naufrage. Je pouvais tomber sur une île sans ressources, être fait prisonnier par de cruels sauvages, finir dans des tourments inouïs une existence que la Providence m'avait conservée par miracle. Et, résigné à continuer mes jours tels qu'ils s'étaient écoulés depuis des années, j'accostai au rivage ; je mis en sûreté ma pirogue dans une crique très abritée et je rentrai chez moi. =Paf, =Poll, =Foune et mon chevreau lui-même m'accueillirent avec plus de transports amicaux que de coutume. J'en fus touché comme s'il y avait eu là, de leur part, une espèce de divination, un besoin de me prouver par leurs caresses que ma solitude - cette solitude que j'avais eu l'ambition de fuir - était douce puisqu'elle comportait de réelles amitiés. « Oui, mon petit peuple docile, dis-je à mes bêtes en les caressant, que puis-je vouloir de plus ? Je suis prince et seigneur de toute cette île ; j'ai droit de vie et de mort sur tous mes sujets. Je peux les pendre, les tuer, leur donner ou leur reprendre leur liberté. =Goupil, =Miraut et le chasseur. =Goupil, le renard, est poursuivi par le chien =Miraut et par le chasseur =Lisée. Il décrit de grands cercles dans le taillis et file vers son trou des =Bougeottes, à l'abri des rochers. Le chien arrive à l'entrée du trou, renifle et avertit son maître : Oute ! oute ! oute ! Arrivent alors les deux chasseurs : Lisée et son compagnon de chasse. =Malgré l'étroitesse du chemin, le vieux renard vit et sentit que le chien cherchait à se faufiler dans son boyau 1 de terre. =Goupil écoutait de toutes ses oreilles : l'aboi du chien lui était familier ; mais il ne pouvait pas savoir qu'il y avait maintenant à sa porte deux hommes qui parlaient de lui. L'un disait - Je te dis de me passer le fusil et d'emmener le chien. Tu verras. N'aie pas peur de crier et de traîner les pieds en partant. - Oui, répondait l'autre, tu as raison. =Goupil n'entendait rien à ce dialogue, mais ce qu'il comprit bien, ce fut : « Viens ici, =Miraut ! » du chasseur appelant son chien, et les pas qui s'éloignaient, et le tintement du grelot qui décroissait dans le lointain. Une joie silencieuse l'envahit, le baigna. Ah ! ils renonçaient à sa poursuite ! le vieux solitaire s'y attendait. Mais, avec ces gaillards-là, il y avait les pièges à redouter. La caverne n'avait pas d'autre issue, le mieux était de filer. Le tintement du grelot n'était plus, dans les rumeurs de la forêt, qu'un petit point aigrelet de son. Ils étaient hors de sa portée. Et, doucement, rampant d'abord pour se redresser ensuite de toutes ses pattes engourdies, il arriva, le mufle calme, à l'entrée du terrier. « Baoum ! » un coup terrible résonna. Une charge de plomb et qui fit balle, heureusement pour lui, siffla sous son ventre, entre les pattes, lui pelant net l'extrémité de la queue, tandis qu'il bondissait devant lui d'un élan formidable, affolé de la secousse. « =Baoum ! » un nouveau coup lui siffla aux oreilles, des plombs