&&000 FRANCE –5TH GRADE 1930S FR-5TH-30S.TXT samples from: Istra (4); Delagrave (2); 47 xerox pages &&111 Il revint bientôt accompagné de son homme, qu'il me présenta, et dont il me loua fort la probité. Nous entrâmes tous trois dans la cour où l'on amena ma mule. On la fit passer et repasser devant le maquignon, qui se mit à l'examiner depuis les pieds jusqu'à la tête. Il ne manqua pas d'en dire beaucoup de mal. J'avoue qu'on n'en pouvait dire beaucoup de bien : mais, quand ç'aurait été la mule du pape, il y aurait trouvé à redire. Il assurait donc qu'elle avait tous les défauts du monde ; et, pour mieux me le persuader, il en attestait l'hôte, qui sans doute avait ses raisons pour en convenir. «Eh bien ! me dit froidement le maquignon, combien prétendez-vous vendre ce vilain animal-là? » Après l'éloge qu'il en avait fait, et l'attestation du seigneur Corcuelo, que je croyais homme sincère et bon connaisseur, j'aurais donné ma mule pour rien : c'est pourquoi je dis au marchand que je m'en rapportais à sa bonne foi ; qu'il n'avait qu'à priser la bête en conscience, et que je m'en tiendrais à sa prisée. Alors, faisant l'homme d'honneur, il me répondit qu'en intéressant sa conscience je le prenais par son faible. Ce n'était pas effectivement par son fort ; car, au lieu de faire monter l'estimation à dix ou douze pistoles , comme mon oncle, il n'eut pas honte de la fixer à trois ducats , que je reçus avec autant de joie que si j'eusse gagné à ce marché-là. Après m'être si avantageusement défait de ma mule, l'hôte me mena chez un muletier qui devait partir le lendemain pour =Astorga. Ce muletier me dit qu'il partirait avant le jour, et qu'il aurait soin de me venire réveiller. Nous convînmes du prix, tant pour le louage d'une mule que pour ma nourriture : et quand tout fut réglé entre nous, je m'en retournai vers l'hôtellerie avec Corcuelo, qui, chemin faisant, se mit à raconter l'histoire de ce muletier. Il m'apprit tout ce qu'on en disait dans la ville. Enfin il allait de nouveau m'étourdir de son babil importun, si par bonheur un homme assez bien fait 15 ne fût venu l'interrompre en l'abordant avec beaucoup de civilité. Je les laissai ensemble et continuai mon chemin, sans ,soupçonner que j'eusse la moindre part à leur entretien. Je demandai à souper dès que je fus dans l'hôtellerie. C'était un jour maigre : on m'accommoda des eeufs. Pendant qu'on me les apprêtait, je liai conversation avec l'hôtesse, que je n'avais point encore vue. Lorsque l'omelette qu'on me faisait fut en état de m'être servie, je m'assis tout seul à une table. Je n'avais pas mangé le premier morceau que l'hôte entra, suivi de l'homme qui l'avait arrêté dans la rue. Ce cavalier portait une longue rapière , et pouvait bien avoir trente ans. Il s'approcha de moi d'un air empressé : - «Seigneur écolier, me dit-il, je viens d'apprendre -que vous êtes le seigneur =GilBlasdeSantillane, l'ornement =d'Oviédo et le flambeau de la philosophie. Est-il bien possible que vous soyez ce savantissime, ce bel esprit dont la réputation est si grande en ce pays-ci? Vous ne savez pas, continua-t-il en s'adressant à l'hôte et à l'hôtesse, vous ne savez pas ce que vous possédez : vous avez un trésor dans votre maison : vous voyez dans ce jeune gentilhomme la huitième merveille du pour notre saule. Nous employâmes toutes sortes de ruses pour en fournir pendant quelques jours : et cela nous réussit si bien que nous vîmes bourgeonner et pousser de petites feuilles dont nous mesurions croisement d'heure en heure, persuadés, quoiqu'il ne fût pas à un pied terre, qu'il ne tarderait pas à nous ombrager. Comme notre arbre, nous occupant tout entiers, nous rendait inca abies de toute application, de toute étude ; que nous étions presque en élire, et que, ne ruchant à qui nous en avions 2, on nous tenait de plus court qu'auparavant, nous vîmes l'instant fatal où l'eau nous allait maniquer et nous nous désolions dans l'attente de voir notre arbre périr de =eresse. Enfin la nécessité, mère de l'industrie, nous suggéra une inversion garantir l'arbre et nous d'une mort certaine : ce fut de faire par-dessous terre une rigole qui conduisît secrètement au saule une partie de l'eau dont on arrosait le noyer. Cette entreprise, exécutée avec ardeur, ne réussit pourtant pas d'abord. Nous avions si mal pris la pente que l'eau ne coulait point. La terre s'éboulait et bouchait la rigole ; l'entrée se remplissait d'ordures ; tout allait de travers. Rien ne nous rebuta : Omnia vincit kabor inrprobu$ s. Nous creusâmes davantage la terre et notre bassin, pour donner à l'eau son écoulement ; nous coupâmes des fonds de boîtes en petites planches étroites, dont les unes, mises de plat à la file, et d'autres posées en angle des deux côtés sur celles-là, nous firent un canal triangulaire pour notre conduit. Nous plantâmes, à l'entrée, de petits bouts de bois minces et à clairevoie, qui, faisant une espèce de grillage ou de crapaudine', retenaient le linon et les pierres, sans boucher le passage à l'eau. Nous recouvrîmes soigneusement notre ouvrage de terre bien foulée ; et le jour où tout fut fait, nous attendîmes dans des transes d'espérance et de crainte l'heure de l'arrosement. Après des siècles d'attente, cette heure vint enfin =MLambercier vint aussi, à son ordinaire, assister à l'opération, =Durant laquelle nous nous tenions tous deux derrière lui pour cacher notre arbre, auquel très heureusement il tournait le dos. A peine achevait-on de verser le premier seau d'eau, que nous commençâmes d'en voir couler dans notre bassin. A cet aspect, la prudence nous abandonna ; nous nous mîmes à pousser des cris de joie qui firent retourner =MLambercier ; et ce fut dommage, car il prenait grand plaisir voir comment la terre du noyer était bonne, et buvait avidement son eau. Frappé de la voir se partager en deux bassins, il s'écrie à son tour, regarde, aperçoit la friponnerie, se fait brusquement apporter une pioche, donne un coup, fait voler deux ou trois éclats de nos planches et criant pleine tête' : Un aqueduc ! un aqueduc ! il frappe de toutes pats des ups impitoyables, dont chacun portait au milieu de nos ceeurs . En un =ornent les planches, le conduit, le bassin, le saule, tout fut détruit, tout. labouré, sans qu'il y eût, durant cette expédition terrible, nul autre ot prononcé, sinon l'exclamation qu'il répétait sans cesse : Un aqueduct écriait-il en brisant tout, un aqueduc ! semaine. Sur la route, la nuit. . 1e petit Jack s'est sauvé de la pension =Moronval, où il était très rml. hettieux. Il a quitté Paris et s'est va vers le viliage rd'Etiolles (à quelgzceo kilomètres a,ct nord de =orbeil et à plus de vingt-cinq kilornèlres de Paris) où vit sa mère. =Jack a dépassé la banlieue parisienne ; il a traversé Charcutes. La nuit est venue. Ce n'était plus la banlieue parisienne aux champs entrecoupés d'usines. 11 longeait des fermes, des étables, d'où sortaient des froissements de paille. une odeur chaude de laine et de fumier. Ensuite la route s'élargissait, retrouvait ses fossés interminables, ses tas de pierres symétriquement alignés et ses bornes basses qui mesurent les distances aux pas fatigués des voyageurs. Ce silence glissant dans l'espace. cette mort de tout mouvement fait a l'enfant l'illusion d'un immense sommeil épandu. Même le bruit léger (le sa marche le trouble : parfois il se retourne vivement . La lueur de =Paris éclaire toujours l'horizon. Au loin, on entend un grincement de roues, tintement de grelots. L'enfant se dit : «Attendons ! » ; mais rien ne passe. et cette charrette invisible dont les roues semblent marcher péniblement. s'enfonce en un endroit lointain de l'horizon, revient, se tait, se réveille dans les caprices tournants de quelque route difficile, et ne se décide jamais à paraître. =Jack continue sa coureee . Quel est cet homme qui l'attend debout an détour du chemin? . Un homme, deux, trois. Ce sont des arbres, de 'longs peupliers, qui frémissent de toutes leurs feuilles sans courber seulement leur faîte : puis des ormes. de vieux ormes de France, aux troncs capri" cieux, feuillus, immenses. tourmentés ; et =Jack marche entouré de nature. pris dans ce grand mystère des nuits de printemps où l'on croit entendre Mon oncle Jules. Un vieux pauvre, à barbe blanche, nous demanda l'aumône. Mon camarade, Joseph Davranche, lui donna cent sous. Je fus surpris. Il me dit . - Ce misérable m'a rappelé une histoire que je vais te dire et dont le souvenir me poursuit sans cesse. La voici Ma famille, originaire du =Havre, n'était pas riche. On s'en tirait, voilà tout. Le père travaillait, rentrait tard du bureau et ne gagnait pas grand'choce. J'avais deux sceurs. Ma mère souffrait' beaucoup de la gêne où nous vivions, et elle trouvait bien des paroles aigres pour son mari, des reproches voilés et perfides. la pauvre homme avait alors un geste qui me navrait'. Il se passait la main ouverte sur le front, comme pour essuyer une sueur qui n'existait pas, et il ne répondait rien. Je sentais sa douleur impuissante. On economisait sur tout ; on n'acceptait jamais un dîner pour n'avoir pas à le rendre ; on achetait des provisions au rabais, les fonds de boutiques. Mes soeurs faisaient leurs robes elles-mêmes. Notre nourriture ordinaire consistait en soupe grasse et boeuf accommodé à toutes les sauces. On me faisait des scènes abominables pour les boutons perdus et les pantalon déchirés. Mais chaque dimanche nous allions faire notre tour de jetée en grande tenue. Mon père. en redingote, en grand chapeau, en gants, offrait le bras à ma mère, pavoisée comme un navire un jour de fête. Mes sueurs, prêtes les premières, attendaient le signal du départ ; mais, au dernier moment, on découvrait toujours une tache oubliée sur la redingote du père de famille, et il fallait bien vite l'effacer avec un chiffon mouillé de benzene. on se mettait en route avec cérémonie. Mes soeurs marchaient devant en se donnant le bras. Elles étaient en âge de mariage, et on en faisait morceau de drap de lit qu'elle avait apporté, le chiffre de son aïeul maternelle et la date de 174 Maman travaillait avec ses invitées. Nous Et participions, le jeune Caumont et moi, à cette eeuvre charitable, sous la le surveillance de la vieille =Mélanie * qui, de ses doigts rudes, effilait le et chiffon à quelque distance de la table, par déférence. Pour ma part, je ch, m'acquittais de ma tâche avec zèle, et mon orgueil grandissait à chaque fil que je tirais. Mais, quand je vis que le tas =d'Octave =Caumont était plus gros que le mien, j'en souffris dans mon amour-propre et ma satis je faction de préparer le soulagement des blessés en fut beaucoup diminuée de De temps en temps, des personnes de notre intimité, =MDebas, surga nommé =SimondeNantua, et =MCaumont, l'éditeur, venaient nous apporter je des nouvelles. =MCaumont était habillé en garde national: mais il s'en fallait portât l'uniforme avec autant d'élégance que mon cher papa. Mon papa avait le teint pâle et la taille fine. =MCaumont, le visage bourgeonné, étalait trois mentons sur le devant de sa tunique qui, ne pouvant pas se' =MBadin est un drôle d'employé : toutes les occasions lui sont bonnes r éviter de se rendre à son bureau. Son directeur l'a fait appeler et l'a ;réprimandé. =MBadin se justifie. =MBADIN. - Avez-vous jamais réfléchi au sort du pauvre fonctionnaire qui, systématiquement, opiniâtrément, ne veut pas aller au bureau, et f que la peur d'être mis à la porte hante, poursuit, torture, martyrise d'un bout de la journée à l'autre? =LEDIRECTEUR. - Ma foi, non. =MBADIN. - Eh bien, monsieur, c'est une chose épouvantable, et c'est là ma vie, cependant. Tous les matins, je me raisonne, je me dis : « Va au bureau, =Badin ; voilà plus de huit jours que tu n'y es allé ! » Je m'habille alors et je pars. Je me dirige vers le bureau. Mais, ouitche ! j'entre à la brasserie. Je prends un bock. deux bocks. trois bocks ! Je regarde marcher l'horloge, pensant : « Quand elle marquera l'heure, je me rendrai à mon ministère. » Malheureusement, quand elle a marqué l'heure, j'attends qu'elle marque le quart ; quand elle a marqué le quart, j'attends quelle "marque la demie. . =LEDIRECTEUR. - Quand elle a marqué la demie, vous vous donnez le quart d'heure de grâce. . =MBADIN. - Parfaitement ! Après quoi, je me dis : « Il est trop tard. Taurais l'air de me moquer du monde. Ce sera pour une autre fois. » Quelle existence ! Moi qui avais un si bon estomac, un si bon sommeil, 'une si belle gaieté, je ne prends plus plaisir à rien. Tout ce que je mange me semble amer comme du fiel ! Si je sors, je longe les murs comme un voleur; l'oeil aux aguets, avec la peur incessante de rencontrer un de mes .chefs. Si je rentre, c'est avec l'idée que je vais trouver chez le concierge mon arrêté de révocation ! Je vis sous la crainte du renvoi comme un Patient sous le couperet ! Ah ! Dieu. =AugustinMeaulnes - le grand =Meaulnes - ta 16 ans. Il est en pension chez =MSeurel, directeur d'école dans un petit bourg du =Cher. =François, le fils de =MSeurel, est son grand ami, plais =Meaulnes a le goût des aventures, et il a fait récemment une escapade mystérieuse. Certain soir les grands élèves de la classe (=Giraudat, =Delouche . ), conduits par un jeune Bohémien à la figure bandée et au fin profil, attirent leaulnes et =François dans une embuscade et leur dérobent le plan du trajet suivi par llleaulnes.dans son escapade. Le même =Bohémien se présente le lendemain à l'école. C'est =FrançoisSeurel qui parle. Le réveil du lendemain fut pénible. A huit heures et demie, à l'instant où =MSeurel allait donner le signal d'entrer, nous arrivâmes tout essoufflés pour nous mettre sur les rangs. Comme nous étions en retard, nous nous glissâmes n'importe où; mais d'ordinaire le grand =Meaulnes était le premier de la longue file d'élèves, coude à coude, chargés de livres, de cahiers et le porte-plumes, que =MSeurel inspectait. Je fus surpris de l'empressement silencieux que l'on mit à nous faire place vers le milieu de la file ; et tandis que =MSeurel, retardant de quelques secondes l'entrée au cours, inspectait le grand =Meaulnes, j'avançai curieusement la tête, regardant à droite et à gauche pour voir nos ennemis de la veille. Le premier que j'aperçus était celui-là même auquel je ne cessais de penser, mais le dernier que j'eusse pu m'attendre à voir en ce lieu. Il était à la place habituelle de =Meaulnes, le premier de tous, un pied sur la marche de pierre, une épaule et le coin du sac qu'il avait sur le dos accotés au chambranle de 'la porte. Son visage fin, très pâle, un peu piqué de rousseur, était penché et tourné vers nous avec une sorte de curiosité méprisante et amusée. Il avait la tête et tout un côté de la ' figure bandés de linge blanc. Je reconnaissais le chef de bande, le jeune Bohémien qui nous avait volés, la nuit précédente. Mais déjà nous entrions dans la classe et chacun prenait sa place. Le nouvel élève s'assit à la gauche du long banc dont =Meaulnes occupait, à droite, la première place. Giraudat, Delouche et les trois autres du premier banc s'étaient serrés les uns contre les autres pour lui faire place, comme si tout eût été convenu d'avance. Le « canoë » est un bateau léger, mais résistant, à une, deux ou trois places, avec lequel on peut passer partout, se glisser entre les rochers des rivières ou franchir les remous ou les petites chutes d'eau. Il existe des canoës pliants, en caoutchouc, qui se montent sur un châssis de bambou, et d'autres, en tôle d'acier, qui ne pèsent guère qu'une quarantaine de kg. Le prix moyen de ces commodes engins de sport ne dépasse guère 1000. L'amusement du canoë, dans des cours d'eau plats ou dans les rivières de la France centrale, et même dans le plus modeste des biefs au bord d'un moulin de la =Creuse, est qu'il passe vraiment partout. Le canoë monoplace en caoutchouc a dix centimètres de tirant d'eau Ce n'est rien ; et là où il n'y a que centimètres, il est bien facile de mettre pied à terre pour le soulager et le faire passer. . Vous avez été à =Saint-Glinglin ; vous connaissez l'église et les trois épiceries, et peut-être même les chiens jaunes du garde champêtre. Mais, pour les aviateurs, qu'est-ce que Saint-Glinglin signifie? Le terrain est-il atterrissable ? Est-il près du village? N'aura-t-on pas, sur le sol, oublié une charrue? N'y a-t-il pas des peupliers doublés de vignes, qui en rendent l'accès impossible? Il en est de même pour le canoéiste, parce qu'il suit l'eau et vient avec elle, au hasard du courant, au mépris et au péril des roches. Tous les rivages lui sont nouveaux ; la plupart, il y a seulement dix ans, lui étaient inconnus. Il a fallu en faire la carte. Il a fallu en publier les guides, et ça été l'ceuvre de quelques esprits dévoués, qui ont rempli le même rôle que les navigateurs du temps de =Marcopolo, lesquels notaient sur des parchemins « les courants malé ficques, les tourbillons, les vents tout soubdains et, couverts d'écailles sur leur dos, les animaux horri ficques. ». Vous connaissez tous les cartes routières, et les guides où se trouvent les noms des hôtels, avec un petit château devant ces noms. Un petit château signifie qu'il y a généralement du savon sur le lavabo, lequel est dans l'entrée de la salle à manger. Deux petits châteaux veulent dire que le savon est délivré par une ma- chine ; mais cela ne garantit pas qu'elle est pleine. La clientèle parle haut, raconte des histoires de chasse. Trois petits châteaux indiquent que vous paierez plus cher que dans la maison à deux petits châteaux, pour manger la même cuisine faite par le cuisinier renvoyé par l'autre maison - avec forcément les mêmes petits pois, car il n'y en a pas soixante espèces. Quatre petits châteaux signifient que, lorsque vous demandez Paris au téléphone, un chasseur suivi de la dame du vestiaire vous feront perdre une minute de plus. Cinq petits châteaux indiquent ce que le guide appelle « confort prin- cier». Le confort princier, c'est la présence - entre l'escalier et vos valises - de trois garçons qui se partageront vos bagages et vos pourboires, et se précipiteront sur vous à chacune de vos rentrées, en vous offrant de toute urgence la clé du =68, alors que vous habitez au . Le départ du paquebot. C'est tout au bout de la ville que l'on s'embarque, après des kilomètres de hangars, de voies bruyantes, de quais encombrés où défilent sans arrêt des camions débordants et des tramways bondés. Partout du charbon, en montagnes, en sacs, en poussière. Des grues qui ferraillent', des navires qui appellent, et, dans les bassins de radoub , de vieux cargos qu'on dirait écorchés, avec leur tôle à vif qu'on repeint au minium Mon paquebot domine le quai, comme un lourd édifice. Sur la passerelle se croisent les porteurs qui redescendent les mains vides et ceux qui montent, pliant sous la charge. Là-haut, c'est une cohue d'abordage. Les chaînes, en grinçant, balancent au-dessus des têtes des poignées de colis qui s'engouffrent par les panneaux béants. Des gens tournent, étourdis. - Le pont C, s'il vous plaît ? . Le pont C ? . On dirait un immense hôtel qui s'emplit d'un seul coup par tous ses escaliers, tous ses sabords ouverts. Aux étages, les garçons affairs renseignent : - A droite. A gauche . Descendez . Au-dessus . . Les coursives sont trop étroites pour cette ruée de passagers, de porteurs, de parents. Les cabines s'ouvrent : petites cellules blanches, chambres miniatures dont on a, brusquement, rapproché les quatre murs. Comment tout tiendra-t-il dedans, les valises, la trousse, la malle de cabine ? - Tout à l'heure ! crie la femme de chambre en se sauvant. Il faudrait sagement s'étendre, ou bien ouvrir ses bagages, s'installer. Mais non ; MÉTIERS DE FEMMES Un atelier de couturières. Après la morte-saison d'été, l'atelier de couture de Madame et de Monsieur =Delignac vient de rouvrir ses portes. Les ouvrières, =Bergeounette, la petite =Duretour, =Sandrine, «=Bouledogue » sont jeunes et gaies. L'espoir du travail apportait de la joie dans l'atelier. Il n'était question que d'une nouvelle cliente dont les paiements seraient sûrs parce qu'elle tenait un commerce important, et qui nous donnerait beaucoup d'ouvrage, parce qu'elle avait cinq filles. Le patron pressait sa femme d'aller chercher les étoffes annoncées - Vite, vite, disait-il. Et il s'agitait si fort qu'il heurtait les mannequins 1 et les tabourets. =MmeDafignac riait, et tout le monde en faisait autant. Le soleil paraissait rire avec nous aussi. Il rayonnait à travers la vitre et cherchait à se poser sur la corbeille à fil et sur la machine à coudre. Sa chaleur était encore très douce, et =Bergeounette ouvrit toute grande la fenêtre pour qu'il pût entrer à son aise . . Aussitôt que sa femme fût partie, le patron se fit aider par la petite =Duretour pour débarrasser les planches des bouts de chiffons et mettre de l'ordre un peu partout. La petite =Duretour n'était pas très bonne ouvrière, malgré ses 18 ans ; mais =MmeDelignac la gardait à cause de sa grande gaîté ! . . Maintenant elle vidait les casiers et brossait les planches. De temps en temps, elle lançait un paquet en l'air et le rattrapait comme une balle ; Le zingueur sur le toit. Les ouvriers zingueurs travaillent dans des conditions parfois difciles. Admirons l'aisance et la souplesse de =Coupeau. =Coupeau terminait la toiture d'une maison neuve, à trois étages. Ce jour-là, il devait justement poser les dernières feuilles de zinc. Comme le toit était presque plat, il y avait installé son établi, un large volet sur deux tréteaux. Un beau soleil de mai se couchait, dorant les cheminées. Et, tout là-haut, dans le ciel clair, l'ouvrier taillait tranquillement son zinc à coups de cisaille, penché sur l'établi, pareil à un tailleur coupant chez lui une paire de culottes. Contre le mur de la maison voisine, son aide, un gamin de dix-sept ans, fluet et blond, entretenait le feu du réchaud en manceu- vrant un énorme soufflet, dont chaque haleine faisait envoler un pétillement d'étincelles. - Hé ! =Zidore, mets les fers cria =Coupeau. L'aide enfonça les fers à souder au milieu de la braise, d'un rose pâle dans le plein jour. Puis il se remit à souffler. =Coupeau tenait la dernière feuille de zinc. Elle restait à poser au bord du toit, près de la gouttière ; là, il y avait une brusque pente, et le trou béant de la rue se creusait. Le zingueur, comme chez lui, en chaussons de lisière'-, s'avança, traînant les pieds, sifflotant l'air d'Ohe ! les petits agneaux! Arrivé devant le trou, il se laissa couler, s'arc-bouta d'un genou contre la maçonnerie d'une cheminée. Une de ses jambes pendait. Quand il se ren- versait pour appeler cette couleuvre de =Zidore, il se rattrapait à un coin de la maçonnerie, à cause du trottoir, là-bas, sous lui. Nous sommes au début du =XIXe siècle. =Jacquou - un enfant de =12 à =13 ans - a perdu sa mère avec qui il vivait dans une forêt du =Périgord. Il est recueilli par un brave curé qui se préoccupe de l' « orienter », comme nous dirions aujourd'hui. =Jacquou, maintenant il te faut songer à prendre un état. Voyons, que préfères-tu? Veux-tu être tisserand ? sabotier ? maréchal ? Veux-tu te mettre en apprentissage avec =Virelon, le tailleur? As-tu quelque idée pour un métier quelconque? - Monsieur le =Curé, je ferai ce que vous me conseillerez. - Cela étant, mon ami, je te conseille de te faire cultivateur. C'est le premier de tous les états ; c'est le plus sain, le plus intelligent, le plus libre. C'est, vois-tu, le travail des champs qui a libéré de la servitude le peuple de =France, et c'est par lui qu'un jour la terre sera toute aux paysans. Mais n'allons pas si loin. Comme je me doutais de ta réponse, voici comment j'ai arrangé les choses avec =M le chevalier'. Tu travailleras le jour avec =Cario :c'est un bon ouvrier terrien qui te montrera à labourer, sarcler, biner , faucher, moissonner, façonner les vignes, et le reste. Tu vivras avec lui et la =Toinette chez =MleChevalier ; mais tu coucheras ici, parce que, le soir, je pourrai encore te donner quelques leçons et t'enseigner des choses qui te seront utiles plus tard. Nos bonnes gens de par là, qui ont vu leurs anciens ne sachant ni A, ni B, et qui sont euxmêmes aussi ignorants, disent qu'il n'est pas besoin d'en savoir tant pour Soir de tempête. Le vent du nord soufflait en tempête, emportant par le ciel d'énormes nuages d'hiver, lourds et noirs, qui jetaient en passant sur la terre des averses furieuses. La nier démontée mugissait et secouait la côte, précipitant sur le rivage des vagues énormes, lentes et baveuses, qui s'écroulaient avec des détonations d'artillerie. Elles s'en venaient tout doucement, l'une après l'autre, hautes comme des montagnes, éparpillant dans l'air, sous les rafales, l'écume blanche de leurs têtes, ainsi qu'une sueur de monstres. L'ouragan s'engouffrait dans le petit vallon d'Yport, sifflait et gémissait, arrachant les ardoises des toits, brisant les auvents, abattant les cheminées, lançant dans les rues de telles poussées de vent qu'on ne pouvait marcher qu'en se tenant aux murs, et que les enfants eussent été enlevés comme des feuilles et jetés dans les champs, par-dessus les maisons. On avait halé les barques de pêche jusqu'au pays, par crainte de la nier qui allait balayer la plage à marée pleine ; et quelques matelots, cachés derrière le ventre rond des embarcations couchées sur le flanc, regardaient cette colère du ciel et de l'eau. Puis ils s'en allaient peu à peu, car la nuit tombait sur la tempête, enveloppant d'ombre l'Océan affolé, et tout le fracas des éléments en furie. Deux hommes restaient encore, les mains dans les poches, le dos rond sous les bourrasques, le bonnet de laine enfoncé jusqu'aux yeux, deux grands pêcheurs normands au collier de barbe rude, à la peau brûlée par les rafales salées du large, aux yeux bleus piqués d'un grain noir au milieu, ces yeux perçants des marins qui voient au bout de l'horizon, comme un oiseau de proie. Les =Hauts-Jurassiens. Entre 1000 et 1500 m. d'altitude, dans ce pays de prés-bois et de pâturages qu'est le =Haut-Jura - pays où sommeillent des lacs, où serpentent des rivières vivent des honnnes travailleurs que l'auteur nous décrit. La race d'hommes de ce pays est laborieuse, disciplinée et pré- voyante. L'épaisse parure forestière des monts témoigne de sa sagesse séculaire. Les bûcherons jurassiens ont «jardiné » sous les sapinières. Ils ont été précautionneux contre l'incendie. Ils se sont interdit les coupes paresseuses gaspilleuses de bois, dévastatrices. Les grands sapins abattus sont descendus jusqu'au chemin de la scierie par les beeufs lents et pru- dents, habiles à ne pas écraser les jeunes pousses de la forêt. Dans la forêt, sagement exploitée, suintent les sources toujours vives, et se forment les ruisseaux clairs. Rares sont les cours d'eau à régime torrentiel. Les eaux, au fil de leurs pentes, font mouvoir les scies à bois, les meules des diamantaires et des lapidaires, les tours des lunettiers et des fabricants de jouets. La forêt, en même temps que la régularité des eaux, assure la conseration des pâturages. Les troupeaux sont nombreux et beaux. Ils four- nissent en abondance le lait aux chalets où, depuis le Moyen-âge, des associations coopératives de cultivateurs fabriquent les meules de gruyère. S'administrant elles-mêmes, ces coopératives ne peuvent vivre et prospérer que si le lait de chacun est scrupuleusement honnête, et si les décisions, prises à la majorité, sont par tous obéies. LA FERME ET LA FERMIÈRE - A la ferme des =Quatre-Chênes. La ferme des =Quatre-Chênes avait une belle apparence. Le fermier, qui s'appelait de son nom =Scheuer, avait reçu des gens d'alentour le surnom de =Tient-Bon. Si le surnom lui venait de ce qu'il tenait bon en toutes choses, jamais sobriquet ne fut plus honorable, ni mieux porté. L'argent qu'il avait gagné à la sueur de son front, il ne le laissait jamais s'éparpiller en fantaisies ou en dépenses inutiles ; il ne le laissait pas non plus dormir au fond de quelque vieux bas. Il savait que l'argent travaille, et il s'entendait à le faire travailler. L'idée qu'il avait une fois mise dans sa tête après l'avoir mûrement ruminée', il la menait jusqu'au bout. Il pratiquait fidèlement ses théories et ses maximes, ce qui est assez rare en ce monde. Il avait souvent à la bouche un mot familier qui lui venait de son père : «Chaque chose à sa place, et chacun à sa place. » Jamais il n'en démordait, et tout le monde s'en trouvait bien. Ce n'est pas de son temps qu'on aurait vu une pelle à l'endroit où doit être la pioche, ni une pioche là où doit être la fourche. On ne voyait pas non plus des traînées de paille ou de foin pendre aux lucarnes du grenier et du fenil, comme pendent les cheveux d'une vachère négligente. Rien n'encombrait la cour : les charrues étaient dans leur coin quand on ne s'en servait plus ; les voitures étaient remisées dans la charreterie ; le fumier était dans son trou, et non pas à côté. Les étrilles pour les chevaux étaient suspendues en rang, à leurs clous, bien à portée de la main, et ne flânaient pas sur les rebords des fenêtres ou sous les pieds des allants et venants. - Une maison bien simple. L'auteur a été malade. Pour se remettre, il est venu respirer l'air de la campagne, et a loué, dans la Flandre, une pauvre demeure - qui lui plaît, et qu'il nous décrit de façon amusante. Elle est bien trop simple pour vivre sur le bord de la route : un bout de chemin lui suffit. D'ailleurs, il y a les champs . Elle se tient là, modeste, avec ses volets qui sont des paupières, et ses tuiles, qui lui font un joli bonnet enrubanné de mousse . A vrai dire, elle n'est pas très haute. A cent mètres, avec un bon élan, il semble qu'on lui sauterait par-dessus la tête. A l'intérieur, quand je passe ma vareuse, il faut que je me surveille les bras, pour ne pas lui faire mal aux solives . . Et puis, elle est si vieille ! Ses murs tout de travers, elle porte, au beau milieu du pignon, une grosse bosse. Si basse, elle se rattrape à être longue : on dirait que, ne pouvant porter ses étages, elle les a déposés de plain-pied autour d'elle. Cela forme des granges, des étables, toute espèce de réduits comme dans une vraie ferme. On voit tout de suite qu'elle a été bâtie pour la commodité des bêtes : les gens s'arrangent. Notre lit a la largeur de la chambre - tout juste ! Un centimètre de plus, il n'entrait pas. Tête en avant, il s'encastre dans le fond, entre les trois murs qui forment alcôve. Pour se coucher, il faut grimper sur une haise, enjamber le pied, puis l'on plonge. =Marie plonge la première. A mon tour, je me laisse aller, bras ouverts, comme en pleine eau. Plouf! En louant ma hutte, ce qui m'a décidé, c'est qu'il y avait un âtre. Sans l'âtre, peut-être serais-je un monsieur, mort dans un cimetière de la ville. Mais il y avait l'âtre, et je vis. On se sent tout de suite loin quand on fait des Au champ d'honneur Voici ce que m'a raconté mon médecin On m'a appelé ce matin en hâte à la métairie de =Barnau. L'émissaire' (un voisin à bicyclette) m'avait dit : «Venez vite, il est presque mort» Il =Janouêt, le métayer . On m'accuse de brûler la route : cette fois, je l'avoue, j'arrivai d'un bond d'auto. Le soleil marquait neuf heures. L'air frais du 'matin, imprégné de rosée encore, soufflait ses dernières bouffées, et toutes les choses balances étincelaient sous la lumière. Un calme radieux emplissait l'horizon. Arrivé, je demandai - Comment va-t-il? L'aspect des lieux me faisait croire qu'il vivait encore. Quand la mort a passé, la maison se ferme autour des yeux clos. Elle restait ouverte, et la porte toute grande sur l'espace bleu . La femme de Janouêt me répondit en sanglotant - Trop tard, monsieur, il est mort. - Peut-être . . J'espérais une syncope ; je le savais cardiaque. - Où est-il? Sa femme montra d'un geste le val, là-bas, qui débordait de maïs. Une large tache blanche s'y voyait, au milieu de la nappe du feuillage, et un groupe de gens penchés comme des ombres sur quelque chose de gisant. Je me dirigeai à pas rapides vers ce point. Le chien de la métairie qui avait accompagné son maître, m'ayant aperçu, accourut et sortit tout à coup du LES SPORTS =Roland - un ancien commerçant parisien qui, par amour de la mer, s'est retiré au =Havre - est allé pêcher au large du cap de la =Hève, avec ses deux fils: =Pierre qui, à trente ans, vient d'achever ses études de médecine, et =Jean - de quelques années moins âgé - qui est licencié- en droit. =MmeRoland et une invitée. =MmeRosémilly, sont de la partie. L'aller s'est effectué à la voile ; mais le vent étant tombé, on décide de revenir à la rame. Quand le père commanda le retour : «Allons ! En place pour la nage'!», Madame =Roland sourit en voyant ses fils, ses deux grands fils. ôter leurs jaquettes et relever sur leurs bras nus les manches de leur chemise. =Pierre, le plus rapproché des deux femmes, prit l'aviron de tribord =Jean l'aviron de bâbord , et ils attendirent que le patron criât : « Avant' partout ! », car il tenait à ce que les manoeuvres fussent exécutées réguliè- rement. Ensemble, d'un même effort, ils laissèrent tomber les rames, puis se couchèrent en arrière en tirant de toutes leurs forces ; et une lutte commença pour montrer leur vigueur. Ils étaient venus à la voile tout doucement ; mais la brise était tombée, et l'orgueil de mâles,' des deux frères s'éveilla tout à coup à la perspective de se mesurer l'un contre l'autre. Quand ils allaient pêcher seuls avec le père, ils ramaient ainsi sans que personne gouvernât, car Roland préparait les lignes tout en surveillant 1a marche de l'embarcation, qu'il dirigeait d'un geste ou d'un mot : «=Jean mollis ! - A toi, =Pierre, souque'!» Ou bien il disait : «Allons, le un ARTISTES ET SAVANTS Une expérience dangereuse. Au moment oie se passe cette scène, l'auteur - qui était alors un petit garçon de 13 ans - habitait avec sa famille, rue de =Tournon, à =Paris, dans le quartier du =Luxembourg. Je m'étais fait donner pour mes étrennes le gros livre de chimie de =Troost. Ce fut ma tante =Lucile qui me l'offrit ; ma tante =Claire, à qui je l'avais d'abord demandé, trouvait ridicule de me faire cadeau d'un livre de classe ; mais je criai si fort qu'aucun autre livre ne pouvait me faire plus de plaisir, que ma tante Lucile accédai. Elle avait ce bon esprit de s'inquiéter, pour me contenter, de mes goûts plus que des siens propres, et c'est à elle que je dus également, quelques années plus tard, la collection des Lundis de =Sainte-Beuve', puis la =ComédieHumainedeBalzac'. Mais je reviens à la chimie. Je n'avais encore que treize ans, mais je proteste qu'aucun étudiant jamais ne plongea dans ce livre avec plus d'avidité que je ne fis. Il va sans dire, toutefois, qu'une partie de l'intérêt que je prenais à cette lecture pendait' aux expériences que je me proposais de tenter. la mère consentait à ce que cet office y servît, qui s se trouvait à l'extrémité de notre appartement de la rue de =Tournon, à côté de ma chambre, et où j'élevais des cochons de Barbarie'. C'est là que j'installai un petit fourneau Mécanicien et chauffeur. Quand sur le coup de 21 . =Gangnard, mécanicien de la 241 A 30, ut soudé sa lourde =Mountain 1 au convoi remorqué de =Paris à =Laroche par une =Pacifie à l'allure endiablée, il s'essuya machinalement les mains à un morceau de toile à sac, tira son oignon et regarda l'heure. Sur le quai, un employé s'avança - Hé, =Gangnard, onze voitures, 536 tonnes. Cinq cent trente-six tonnes : le poids du train. Ce n'était pas excessif. =Gangnard l'écrivit soigneusement à la craie sur un petit recoin de tôle et attendit. Pas longtemps. Un coup de sifflet long lui dit que l'heure était venue. Il la vérifia à son oignon, tira légèrement sur le régulateur' et démarra. Alors =Maubian, chauffeur, manifesta sa présence. Un coup d'ceil au manomètre pour voir si la pression était bonne, une pesée sur le contrepoids d'entrée de foyer, et au travail. Bien assis sur les jambes, son grand torse courbé, il prit la courte pelle et chargea le feu d'un mouvement précis et calculé, répartissant le combustible, le dispersant selon les lois d'une technique qui n'a jamais été écrite, mais qu'un bon chauffeur ne doit pas ignorer. Puis ses sept ou huit pelletées enfournées - 100 kilos de charbon - le contrepoids redressé, =Maubian prit sa lance d'arrosage et doucha la houille du tender. AU PAYS DU SOLEIL - La cueillette des olives. Dans les régions méridionales, on gaule les olives noires à la fin de l'automne, avant les premières gelées. La charrette arrivait, en un joyeux claquement de fouets, ses deux chevaux tirant de toute leur force sur la pente dont les pierres jetaient parfois des étincelles. Sous les arbres, encore enveloppés de leur fine robe de bruines, fré- missait la lueur tremblante de l'aurore. Dans les vignes; les souches à l'écorce rugueuse reluisaient d'une gelée blanche. Sur la forêt prochaine. une ombre flottait toujours, ainsi qu'une fumée d'orage. La terre, ses prés sauvages et ses champs labourés, dégageait une odeur d'amande et de rosée, et à cause des charrettes qui roulaient çà et là sur les flancs invisibles de la colline, elle résonnait d'un grondement sourd de tambour. Bientôt, le soleil perça de ses rayons, aussi éclatants que du cuivre, les haies broussailleuses, répandit sa lumière jusque dans les profondeurs de la plaine, où la petite ville sembla un bouclier d'or reposant au milieu des jardins. Sur les plateaux, les oliviers remuèrent ensemble leurs feuilles d'argent. Les femmes de la cueillette, presque toutes jolies, en bonnet et en tablier blanc, se mirent enfin au travail, en pépiant' avec le même entrain que des oiseaux dans les haies . . On riait dessous le branchage des arbres qui, chaque fois que les touchait une gaule, répandaient dans l'espace bleu un étincellement d'étoiles blanches. Ces oliviers, plus que séculaires, couvraient sans ordre un vaste champ de pierrailles, d'où avaient peine à émerger des touffes d'herbes savoureuses. Entre 1000 et 1500 m. d'altitude, dans ce pays de prés-bois et de pâturages qu'est le. =Haut-Jura - pays où sommeillent des lacs, où serpentent des rivières vivent des hommes travailleurs que l'auteur nous décrit. La race d'hommes de ce pays est laborieuse, disciplinée et prévoyante. L'épaisse parure forestière des monts témoigne de sa sagesse séculaire. Les bûcherons jurassiens ont «jardiné' » sous les sapinières. Ils ont été précautionneux contre l'incendie. Ils se sont interdit les coupes paresseuses', gaspilleuses de bois, dévastatrices. Les grands sapins abattus sont descendus jusqu'au chemin de la scierie par les bceufs lents et prudents, habiles à ne pas écraser les jeunes pousses de la forêt. Dans la forêt, sagement exploitée, suintent les sources toujours vives, et se forment les ruisseaux clairs. Rares sont les cours d'eau à régime torrentiel. Les eaux, au fil de leurs pentes, font mouvoir les scies à bois, les meules des diamantaires et des lapidaires, .les tours des lunettiers et des fabricants de jouets. La forêt, en même temps que la régularité des eaux, assure la conservation des pâturages. Les troupeaux sont nombreux et beaux. Ils fournissent en abondance le lait . aux chalets où, depuis le Moyen-âge, des associations coopératives de cultivateurs fabriquent les meules de gruyère. S'administrant elles-mêmes, ces coopératives ne peuvent vivre et prospérer que si le lait de chacun est scrupuleusement honnête, et si les décisions, Prises à la majorité, sont par tous obéies. - A la ferme des Quatre-Chênes. La ferme des =Quatre-Chênes avait une belle apparence. Le fermier, qui s'appelait de son nom =Scheuer, avait reçu des gens d'alentour le surnom de =Tient-Bon. Si le surnom lui venait de ce qu'il tenait bon en toutes choses, jamais sobriquet ne fut plus honorable, ni mieux porté. L'argent qu'il avait gagné à la sueur de son front, il ne le laissait jamais s'éparpiller en fantaisies ou en dépenses inutiles ; il ne le laissait pas non plus dormir au fond de quelque vieux bas. Il savait que l'argent travaille, et il s'entendait à le faire travailler. L'idée qu'il avait une fois mise dans sa tête après l'avoir mûrement ruminée', il la menait jusqu'au bout. Il pratiquait fidèlement ses théories et ses maximes, ce qui est assez rare en ce monde. Il avait souvent à la bouche un mot familier qui lui venait de son père : «Chaque chose à sa place, et chacun à sa place.» Jamais il n'en démordait, et tout le monde s'en trouvait bien. Ce n'est pas de son temps qu'on aurait vu une pelle à l'endroit où doit être la pioche, ni une pioche là où doit être la fourche. On ne voyait pas non plus des traînées de paille ou de foin pendre aux lucarnes du grenier et du fenil, comme pendent les cheveux d'une vachère négligente. Rien n'encombrait la cour : les charrues étaient dans leur coin quand on ne s'en servait plus ; les voitures étaient remisées dans la charreterie ; le fumier était dans son trou, et non pas à côté. Les étrilles pour les chevaux étaient suspendues en rang, à leurs clous, bien à portée de la main, et ne flânaient pas sur les rebords des fenêtres ou sous les pieds des allants et venants. Casimir et la publicité. =Casimir entend la publicité;. « il y réagit » loyalement. Dites à Casimir que « Tartempy habille mieux », dites-le, bien sùr, avec force et fermeté; répétez-le sans lassitude, et =Casimir le croira. Certains compagnons de =Casimir vont insinuant que le cher homme est défiant, chicanier, sournois. Ce sont là compliments d'amis. =Casimir est la fraîcheur d'âme et la confiance en personne. Il éprouve du respect pour la chose imprimée. Il se complaît à la lecture des bons journaux et ne détourne pas son regard. des affiches stimulantes. Il a des maximes toutes rondes : « Le plus sùr, c'est encore de prendre une marque. Avec une bonne marque, on sait toujours de quoi il retourne. » Il aime la phrase bien frappée, le « slogan » comme on dit aux États-Unis. Il répète volontiers les aphorismes peints en couleurs voyantes et en lettres. de six pieds sur les murailles de nos plus gracieux villages «la moutarde chose est la moutarde qui s'impose; » « le purgatif machin est un purgatif dont chaque goutte compte. » S'il voit imprimé dans son journal favori cette sentence lapidaire « Le cabriolet =Labrioche est la voiture de l'élite, » =Casimir qui, cela va sans dire, appartient à l'élite, se sent travaillé par la honte et le désir. Il tire des plans pour bazarder sa berline et s'assurer une honnête remise sur le fameux cabriolet. Satisfait, ce qui ne tarde guère, il regarde avec un mélange de hauteur et de commisération les gens qui ne sont pas de l'élite. =Casimir a lu, sur les murs de Paris, cette affirmation péremptoire « Les goujats ne portent pas le chapeau =Lafleur. » Casimir a d'abord bondi sous l'offense, car il avait un chapeau de chez Lenglumé. Il a déclaré tout net : « C'est stupide! » Mais, le lendemain, il est passé chez Lafleur et s'est fait livrer un assortiment de chapeaux. En cachette de son médecin qui en a vu bien d'autres, il achète des flacons de =Transpironal et des comprimés de Voluptase. Il en gobe, soir et matin. Il dit à sa femme : « Depuis le temps qu'on en vend, si ça ne faisait rien, on le saurait, s ou : « s'ils dépensent des millions pour leur publicité, c'est qu'ils en gagnent, et s'ils les gagnent, c'est que la marchandise est bonne. » Un ouvrier d'usine. =Edmond a été embauché. voilà quatre mois, comme tourneur. Il travaille dans un atelier assez petit. et tout en longueur, au premier étage du bâtiment. Son tour est installé contre le mur extérieur, un peu au-dessous du village. Il s'appuie à titre encoignure que fait le mur avec un large poteau de maçonnerie, à droite, qui soutient la construction. Cette encoignure ne forme pas un lieu désagréable. Elle donne un sentiment (le sécurité et de chez soi. La face enduite de plâtre que présente le poteau, très bien éclairé par le jour, fait penser à un de ces pans de mur familiers où se pose de préférence le regard dans une chambre. =Edmond y a fixé un calendrier orné d'une figure de femme, et planté un clou, où il accroche sa montre. Il lui arrive aussi d'y épingler le dessin giie les services techniques lui ont fourni pour une pièce qu'il exécute. Depuis hier, avant- midi. il tourne des vilebrequins, pour le moteur onze-douze chevaux quatre cylindres du châssis que =Bertrand va présenter au Salon. Il Dense qu'il en tournera pendant plusieurs jours encore, sauf imprévu. De lui-mène, il n'aperçoit pas de mono- tonie dans son travail. S'il compare sa situation présente. dans l'usine neuve de =Bertrand, à celle qu'il a connue par exemple dans le petit atelier de =Levallois, où il devait répondre aux injonctions les plus diverses et les plus itnprévucs. ce dont il songe le moins à se plaiudrc, c'cst d'avoir abandonné la variété pour la uuouutouie. Il lui semble bien plutôt avoir quitté le désordre pour l'ordre, la bousculade l'on s'énerve, où l'on se sent toujours en retard, où, dès qu'on a commencé à gauche une besogne, l'on est sûr d'être appelé d'urgence à droite, pour l'effort régulier, giii. par sa continuité méme, prend certains caractères du repos. Tout en sauvant de l'ennui par l'intensité de l'attention. Mais que restera-t-il de l'intérèt du métier quand l'équipement industriel aura fait un progrès de plus ? =Edmond a entendu parler de machines-outils dont on se sert déjà, paraît-il, en Amérique; et qui se chargent elles-niètnes de la plupart des opérations qui deman- dent tant de réflexions à un tourneur d'ici, et tant d'expérience de son métier. Quand on s'en servira partout, qu'on les aura perfection- nées, l'ouvrier n'aura tout au plus qu'à présenter les pièces à la Soir de fête. Le soir, la fête continua. On tira sur le champ de foire, à dix heures, un feu d'artifice. Ce fut comme un rêve merveilleux. Je dormais, paquet encapuchonné, dans les bras de mon père, quand l'éclatement de la première fusée et les cris de la foule qui accompagnaient sa volée me réveillèrent. J'eus d'abord un peu peur de cette pluie de feu. Puis l'émerveillement l'emporta. Des jeunes gens sifflant entre leurs doigts imitaient le bruit des fusées montantes. La difficulté était de garder assez d'air enfermé dans ses joues pour crier encore quand la fusée éclatait. Que de fois, plus tard, quand j'étais apprenti, je me suis amusé à ce jeu! Ce soir-là je ne plaisantais pas, j'étais ébloui, étonné et grave. Ces lueurs vacillantes qui un instant laissaient voir comme en plein jour les gros nuages ronds qui, sans cesse, roulent au-dessus de notre pays, ces comètes qui passaient comme de grands oiseaux lumineux, ces chutes d'étoiles, le grésillement des grandes pièces, leurs gerbes d'étincelles, les soleils tournants, enfin l'embrasement de la vieille ville, ces feux de bengale, bleus, blancs, rouges, allumés tous ensemble et qui durant quelques minutes pavoisèrent le ciel même aux couleurs nationales, l'annexèrent et en firent comme une province française, toute cette fantasmagorie éclatante séduisit et conquit mon ceeur de petit paysan. Il n'en fallait pas davantage pour me donner à la ville où éclataient ces miracles. Ces fêtes me sont devenues insupportables depuis que je suis parvenu, seulement avec des livres, à en organiser pour moi seul de plus discrètes. Mais je ne veux pas être injuste envers elles. C'est vrai, après tout, qu'elles nous élèvent au-dessus de nous-mêmes. Vive la joie! Les jours de 14 juillet, j'ai léché la tuile, j'ai fait la course en sac, la course aux eeufs. Je me suis versé plusieurs cuvées d'eau sur la tête en essayant d'enfiler la bague. Bah! vive la joie!. J'ai grimpé au mât de cocagne, les mains et les pieds frottés de résine. Chaque fois, j'ai été payé de ma peine. C'est une sublime émotion d'être à la pointe du mât qui oscille, à la hauteur des clochers, audessus des maisons, au-dessus de tout, au-dessus de soi-même, 1à-haut dans le vent qui fait claquer le drapeau ou frissonner la feuille Un pique-nique'. On fut d'avis de mettre la table dehors, au beau milieu de la route qui passait devant la maison forestière. « Nous serons plus à l'aise; et ça dégagera les abords de la cheminée. » =Huchon prit en main les opérations de cuisine. Il avait, en cette matière, quelque compétence. Mais il lui fallut des aides pour les basses besognes. =Orner et =Lamendin s'en furent ramasser le menu bois qui allumerait les bûches. =Bénin et -Lesueur puisèrent de l'eau dans un petit bassin naturel qui se cachait à vingt pas sous les airelliers et ils y couchèrent les bouteilles de =Saint-Péray mousseux pour les rafraîchir. =Broudier disposait les assiettes, verres, fourchettes et couteaux clans l'ordre le plus impeccable, tandis que =Martin, accroupi contre la cheminée, épluchait des pommes de terre. Oh ! regarde-moi les épluchures que tu fais ! C'est du sabotage' Tu en enlèves la moitié ! Et nous n'avons que quinze patates ! Au reste, =Huchon ne cessait de gémir : « Comment voulez-vous que je m'en sorte ! Je n'ai pas ce qu'il faut ! Ce veau =Vercingétorix, dont la recette m'est venue la nuit dernière au cours d'une insomnie, réclame une foule d'ingrédients qui me manquent. Passe-moi le cognac ! si vous étiez de chics types, vous me chercheriez quelques fines herbes. .- Non, mais des fois. .- Un soupçon de thym, une branchette de serpolet, une feuille de menthe, et un rien de fenouil. Oui, =Broudier, tu méconnais l'importance de ces détails. Tant pis ! Mon veau =Vercingétorix ne sera qu'une grossière ébauche. Le festin commença, dès que =Huchon crut pouvoir relâcher la surveillance de ses marmites. Les copains, spontanément, prirent les places qui leur étaient habituelles dans leurs réunions. Les copains mangèrent d'abord le saucisson, flanqué de sardines, Deux litres de vin périrent dans ce premier choc. Le troisième s'évanouit, tandis que =Huchon allait quérir les saucisses. Elles se présentèrent attachées par couples, comme les gens d'une noce. On leur fit bien voir que ce n'était pas le moment de plaisanter. Mais il s'éleva une discussion assez vive. Huchon soutenait qu'avecc les saucisses le =Saint-milion s'accorderait mieux que le Barsae. Un dessert original. L'auteur et son jeune fils sont dans la demeure d'un pauvre paysan. Deux heures venaient de sonner; son couvert était mis pour son goûter, c'est-à-dire que, sur le bout de la table, étaient placés une large tranche de pain de ménage, un pot d'eau, et cinq ou six radis rouges flanqués d'une pincée de gros sel gris. Mais tout à coup, mon fils s'écria « Oh! père, regarde donc! » Voici ce qui attirait son attention : en face de ce frugal repas, sur la même table, et juste devant la fenêtre qui lui versait toute sa lumière, s'élevait dans une petite caisse de bois un magnifique cactus. C'est un des plus splendides fils de cette splendide famille de fleurs; il est blanc; du fond de la belle coupe d'albâtre qui forme sa corolle, part et vient pour ainsi Aire se coucher sur le bord des pétales dentelés une riche et épaisse houppe d'étamines d'un blanc plus mat encore. L'odeur que cette belle plante exhale rappelle à la fois le parfum de la fleur du citronnier et le parfum de son fruit, et comme pour ajouter encore à tant d'heureux dons le prix de la fugitivité, la nature n'accorde guère à cette fleur plus de cinq ou six heures de vie : ouverte à midi, elle est flétrie le soir. La présence d'une plante aussi rare dans cette pauvre demeure, et surtout le contraste de sa magnificence avec le maigre déjeuner qui lui servait de pendant m'occupaient, moi, et étonnaient cet enfant comme une sorte d'énigme, quand la femme du paysan entra. « Est-ce donc, lui dis-je en riant, comme supplément de goûter que vous avez servi à votre mari ce beau cactus à côté de ses radis ? - Sans doute, monsieur, c'est son dessert, à ce pauvre homme. - Son dessert? Il aime donc beaucoup les fleurs? - S'il aime les fleurs! =Jésus, mon Dieu! s'écria-t-elle; mais après fa bourgeoise, c'est ce qu'il aime le mieux, et encore faut-il savoir si entre moi et ses géraniums. Non, non, je suis une menteuse. Tant il y a cependant, monsieur, qu'il n'en dort pas. Tous les matins d'été, deux heures avant de partir pour le travail, c'est-à-dire bel et bien ii trois heures, il se lève pour soigner ses plantes. Le soir, il revient a sept heures et demie, harassé, tout trempé de sueur, mourant de faüii; vous croyez qu'il se met à souper et qu'il se couche : du tout! Est-ce qu'il y a des gens qui oublient les premiers joujoux et les premiers livres qu'ils ont eus, étant de petits enfants? Non, on ne les oublie jamais tout à fait, et parmi ces livres et ces joujoux il en est toujours un qu'on oublie moins que les autres. Voilà ce que pensait le poète =JeanBril en se souvenant plus tard des Contes de fées que lui avait donnés =MMuller, bien longtemps après que le pauvre =MMuller fut sorti de ce monde. Jamais il n'avait éprouvé d'émotion comme celle qu'il éprouva lorsqu'il vit sur ses genoux le beau livre avec sa couverture rouge, et il regardait tantôt =MMuller, tantôt le livre, sans oser l'ouvrir. Son coeur était tout gros, et il avait envie de pleurer : il se mit en effet à pleurer et courut se jeter dans les bras de =MMuller, en sanglotant. Il prit ensuite son livre, le tourna et le retourna dans ses mains, le mit sous son nez pour sentir la bonne odeur du vernis et finalement l'ouvrit. Qu'est-ce qu'il allait voir à présent? Son coeur battait très vite. Et comme son eeil brilla étrangement quand, sur le beau papier satiné, au milieu des blancheurs glacées de la première page, lui apparut un dessin colorié qui représentait Cendrillon! Elle était toute mignonne, les joues de la couleur des pêches en septembre; sous le bord de sa robe, s'avançait le bout de son menu pied, chaussé d'une imperceptible pantoufle. Qu'elle était jolie! Elle rougissait, elle baissait les yeux comme si elle eût voulu se dérober aux regards ardents de =JeanBril. Alors, le cœur palpitant, il fit voler sous son doigt les pages l'une après l'autre, et, à mesure qu'il les feuilletait, de grandes images de pourpre et d'azur, pareilles aux figures qu'il avait vues sur les vitraux de l'église, et de belles pages imprimées en caractères bien formés, se déroulaient confusément devant lui avec une mystérieuse splendeur. Et la soirée s'acheva ainsi, dans la petite chambre où l'abat-jour de la lampe faisait régner une ombre transparente, pendant que la bouilloire chantait sur le poêle, qu'au dehors le brouillard suintait en grosses gouttes qui claquaient à intervalles réguliers sur le bord La jeune A=lexandraHorp, qui vient de perdre sa mère, doit, pour la première fois de sa vie, s'occuper des soins du ménage. Elle entre dans la cuisine. Les volets sont fermés. Il fait tout noir. « Ah!. s'exclame-t-elle. Plus de =Fernande l à partir d'aujourd'hui, sinon pendant une heure pour préparer le repas de midi. » Elle ne veut pas admettre qu'elle est bien attrapée. « Bah! je saurai faire chauffer le lait! Ce n'est pas difficile d'allumer le fourneau. D'abord, il fait un froid de chien là-dedans! » Les volets ouverts, le jour faible, encore ouaté de brouillard, envahit la cuisine glacée. « Voyons! un bout de papier, un peu de petit bois. où est-ce qu'on met le charbon, déjà?. » Penchée sur le gouffre du fourneau dont elle a fait sauter avec bruit les ronds, =Alexandra reste perplexe. Le charbon est trouvé, mais le papier s'est éteint sous le petit bois. Une fumée âcre fait tousser =MneHorp, qui s'impatiente. Il y a sans doute un certain tour de clef qu'il faut donner pour obtenir le tirage. Mais plus elle remue cette clef, moins le feu veut prendre. « C'est. dégoûtant! » dit-elle tout haut en frappant du pied. Elle tourne sur elle-même plusieurs fois. Elle a faim et elle claque des dents. Kiki ne comprend pas ce qui se passe. Il est sans cesse dans ses jambes et reçoit un coup de pied rageur. « Bon! J'ai taché le crêpe de ma manche. Pourquoi y a-t-il de la graisse sur ce sale fourneau ? » =Haussant les épaules, elle tente un nouvel essai. Que faire ? Le feu ne prend pas mieux la seconde fois que la première. Et tout à coup : « Je n'ai qu'à faire chauffer ça dans la cheminée! » Dans la cheminée, il y a toujours des tisons sous la cendre. Elle prend les pincettes et fouille vivement. Mais la cendre n'a pas été mise en tas. Point de tisons. Papa ne sait pas; il a laissé le feu s'éteindre hier au soir sans l'arranger, comme faisait toujours maman avant de se coucher. « A quoi est-ce qu'il a pensé, papa? » Allumer du feu dans une cheminée, c'est son affaire. La flamme, au bout d'un instant, monte victorieusement. « Ça y est! Une La fierté d'un artisan. Un jeune collégien vient en vacances dans sa famille paternelle. Ce bon oncle =Albert - je l'ignorais encore - était charpentier et vivait dans un village entre =Toulon et =Marseille. Il avait une carriole que nous allâmes prendre dans une remise, le lendemain matin, après avoir dormi à l'hôtel; en route, il lm conta, avec une énergique admiration de maître charpentier, ce qu'avait fait mon grand-père depuis « son malheur » « Hou, lou Rougé! » Le bon cheval breton, large et rond, tirait, franc du collier, dans la poussière de la route, blanche comme neige. Sur les murs des enclos, les mousses exposées au =Nord, au' d'ètre d'un vert d'émeraude, étaient rousses comme le cuivre, sous des poudres blanches. Partout des mamelons, chargés de pins =d'Alep, et, à travers les jambes grises et fauves des pins, le im étincelait, ciel et mer. Nous laissions derrière nous la =Notre-Dame de la =GardedeMarseille, dressée en plein ciel. . La carriole roulait bon train. « Hue, lou Rougé! » Tout m'amusait. Oh! mon oncle! cet oiseau, qu'est-ce que c'est' - Une agace, mon neveu. - Une pie?. J'en ai vu. dans les fables de La Fontaine. Est-ce que ça se mange ?. Et cette herbe jaune, mon oncle? - C'est du blé, mon neveu. Qu'est-ce qu'on t'apprend donc au collège ? » Mon ignorance le confondait. clou« Mon Dieu! mon oncle, le latin. - Quel est votre métier. mon oncle ? - Je suis charpentier, mon neveu. » Il surprit sans te mon étonnement un peu dédaigneux, et il se hâta fffl ter : « Une belle charpente n'est pas à dédaigner! Une mortaise réussie, où le tenon s'ajuste exactement, n'est pas chose méprisable. Il faut clés charpentes aux palais comme aux plus pauvres maisons. Vous manions l'équerre et le compas, nous autres, tout comme Quand je serai grande. r. Les petites ont joué longuement, pour finir, au jeu de « Qu'est-ce qu'on sera ». - Moi, quante J'serai grande. . Elles manquent d'imagination. Une sorte de sagesse résignée, une terreur villageoise de l'aventure et de l'étranger retiennent d'avance la petite horlogère, la fille de l'épicier, du boucher et de la repasseuse, captives dans la boutique maternelle. . A court de souhait, =Minet-Chéri leur a jeté, son tour venu, sur un ton de mépris : « Moi, je serai marin!. » parce qu'elle rêve parfois de porter culotte et béret bleus. La mer qu'ignore =Minet-Chéri, le vaisseau debout sur une crête de vague, l'île d'or et les puits lumineux, tout cela n'a surgi, après, que pour servir de fond au blouson bleu, au béret à pompon. Moi, je serai marin, et dans mes voyages. » Assise dans l'herbe, elle se repose et pense un peu. Le voyage? L'aventure?. Pour une enfant qui franchit deux fois l'an les limites de son canton, ces mots-là sont sans force et sans vertu. Ils n'évoquent que des pages imprimées, des images en couleur. La Petite, fatiguée, se répète machinalement « Quand je ferai le tour du monde. » comme elle dirait : « Quand j'irai gauler des châtaignes. t Un point rouge s'allume dans la maison, derrière les vitres du salon et la Petite tressaille. Tout ce qui, l'instant d'avant, était verdure, devient bleu autour de cette flamme rouge immobile. La main de l'enfant, traînante, perçoit dans l'herbe l'humidité du soir. C'est l'heure des lampes. La porte du chenil se met à battre le mur comme en hiver par la bourrasque. Le jardin, tout à coup ennemi, rebrousse autour d'une petite fille dégrisée ses feuilles froides de laurier, dresse ses sabres de yucca. La Petite, dans l'herbe, tient ses yeux fixés sur la lampe, qu'une brève éclipse vient de voiler : une main a passé devant la flamme, une main qu'un dé brillant coiffait. Et la voici à présent debout, pâlie, adoucie, un peu tremblante de ressentir pour la première fois que cette main et cette lampe et la tête penchée, soucieuse, sont le centre du monde où elle vit, qu'elle connaît et qu'elle aime. Au delà, tout est danger et solitude. 1 Les charmes d'un pays désolé. =MariaChapdelaine se demande si elle doit rester à la terre, au =Canada, et mener la même dure vie que sa mère et les siens. =Maria se demandait encore : Pourquoi rester là, et tant peiner, et tant souffrir? Pourquoi?. Et comme elle ne trouvait pas de réponse, voici que, du silence de la nuit, à la longue, des voix s'élevèrent. Elles n'avaient rien de miraculeux, ces voix; chacun de nous en entend de semblables lorsqu'il s'isole et se recueille. Seulement elles parlent plus haut et plus clair aux cceurs simples, au milieu des grands bois du Nord et des campagnes désolées. Comme =Maria songeait aux merveilles lointaines des cités, la première voix vint lui rappeler en chuchotant les cent douceurs méconnues du pays qu'elle voulait fuir. L'apparition miraculeuse de la terre au printemps, après de longs mois d'hiver. la neige redoutable se muant en ruisselets espiègles sur toutes les pentes; les racines surgissant, puis la mousse encore gonflée d'eau, et bientôt le sol délivré sur lequel on marche avec des regards de délice et des soupirs d'allégresse, comme en une exquise convalescence. Un peu plus tard les bourgeons se montraient sur les bouleaux, les aunes et les trembles; le bois de charmes se couvrait de fleurs roses; et après le repos forcé de l'hiver le dur travail de la terre était presque une fête; -peiner du matin au soir semblait une permission bénie. Le bétail enfin délivré de l'étable entrait en courant dans les clos et se gorgeait d'herbe neuve. Toutes les créatures de l'année : les veaux, les jeunes volailles, les agnelets batifolaient au soleil et croissaient de jour en jour tout comme le foin et l'orge. Le plus pauvre des fermiers s'arrêtait parfois au milieu de sa cour ou de ses champs, les mains dans ses poches, et savourait le grand conten- tement de savoir que la chaleur du soleil, la pluie tiède, l'alchimie généreuse de la terre - toutes sortes de forces géantes travaillaient en esclaves soumises pour lui. pour lui. . Après cela, c'était l'été; l'éblouissement des midis ensoleillés, la montée de l'air brûlant qui faisait vaciller l'horizon et la lisière Le secret du bonheur. Un jeune lycéen de Saint-Etienne nous parle des vacances qu'il passe dans un village de montagne, aux environs du Puy. Les premiers moments ont été tristes. Il n'y a pas d'enfants pour jouer avec moi; il souffle un vent dur qui rase la terre avec colère, parce qu'il ne trouve pas à se loger dans le feuillage des grands arbres. Je ne vois que des sapins maigres, longs comme des mâts, et la montagne apparaît là-bas, nue et pelée comme le dos décharné d'un éléphant. C'est vide, vide, avec seulement des boeufs couchés, ou des chevaux plantés debout dans les prairies ! Il y a des chemins aux pierres grises comme des coquilles de pèlerins, et des rivières qui ont les bords rougeâtres comme s'il y avait eu du sang : l'herbe est sombre. Mais, peu à peu, cet air cru des montagnes fouette mon sang et me fait passer des frissons sur la peau. J'ouvre la bouche toute grande pour le boire, j'écarte ma chemise pour qu'il me batte la poitrine. Est-ce drôle ? Je me sens, quand il m'a baigné, le regard si pur et la tête si claire!. . C'est que je sors du pays du charbon avec s'es usines aux pieds sales, ses fourneaux au dos triste, les rouleaux de fumée, la crasse des mines, un horizon à 'couper au couteau, à nettoyer à coups de balai. Ici, le ciel est clair, et s'il monte un peu de fumée, c'est une gaieté dans l'espace : elle monte, comme un encens, du feu de bois mort allumé là-bas par un berger, ou du feu de sarment frais, sur lequel un petit vacher souffle dans cette hutte, près de ce bouquet de sapins. Il y a le vivier, où toute l'eau de la montagne court en moussant, et si froide qu'elle brûle les doigts. Quelques poissons s'y jouent. On a fait un petit grillage pour éviter qu'ils ne passent. Et je dépense des quarts d'heure à voir bouillonner cette eau, à l'écouter venir, à la regarder s'en aller, en s'écartant comme une jupe blanche sur les pierres! La rivière est pleine de truites. J'y suis entré une fois jusqu'aux cuisses; j'ai cru que j'avais les jambes coupées avec une scie de glace. C'est ma joie maintenant d'éprouver ce petit frisson. =Casimir et la publicité. =Casimir entend la publicité;. « il y réagit » loyalement. Dites à =Casimir que « =Tartempy habille mieux », dites-le, bien sùr, avec force et fermeté; répétez-le sans lassitude, et =Casimir le croira. Certains compagnons de =Casimir vont insinuant que le cher homme est défiant, chicanier, sournois. Ce sont là compliments d'amis. Casimir est la fraîcheur d'âme et la confiance en personne. Il éprouve du respect pour la chose imprimée. Il se complaît à la lecture des bons journaux et ne détourne pas son regard des affiches stimulantes. Il a des maximes toutes rondes : « Le plus sùr, c'est encore de prendre une marque.Avec une bonne marque, on sait toujours de quoi il retourne. » Il aime la phrase bien frappée, le « slogan » comme on dit aux =États-Unis. Il répète volontiers les aphorismes peints en couleurs voyantes et en lettres. de six pieds sur les murailles de nos plus gracieux villages : «la moutarde chose est la moutarde qui s'impose; « le purgatif machin est un purgatif dont chaque goutte compte. » S'il voit imprimé dans son journal favori cette sentence lapidaire. « Le cabriolet Labrioche est la voiture de l'élite, » =Casimir qui, cela va sans dire, appartient à l'élite, se sent travaillé par la honte et le désir. Il tire des plans pour bazarder sa berline et s'assurer une honnête remise sur le fameux cabriolet. Satisfait, ce qui ne tarde guère, il regarde avec un mélange de hauteur et de commisération les gens qui ne sont pas de l'élite. =Casimir a lu, sur les murs de =Paris, cette affirmation péremptoire « Les goujats ne portent pas le chapeau =Lafleur.» =Casimir a d'abord bondi sous l'offense, car il avait un chapeau de chez =Lenglumé. Il a déclaré tout net : « C'est stupide! » Mais, le lendemain, il est passé chez =Lafleur et s'est fait livrer un assortiment de chapeaux. En cachette de son médecin qui en a vu bien d'autres, il achète des flacons de =Transpironal et des comprimés de =Voluptase. Il en gobe, soir et matin. Il dit à sa femme : « Depuis le temps qu'on en vend, si ça ne faisait rien, on le saurait, » ou : « s'ils dépensent des millions pour leur publicité, c'est qu'ils en gagnent, et s'ils les gagnent, c'est que la marchandise est bonne. » Il est doux de se souvenir. Il est doux de se souvenir. Le silence de la nuit y invite. Son calme, apprivoise les revenants qui sont timides et fuyants par nature et veulent l'ombre et la solitude pour venir parler à l'oreille de leurs amis vivants. Les rideaux des fenêtres sont tirés, les portières pendent à plis lourds sur les tapis. Seule une porte est entrouverte, là, du côté où mes yeux se tournent par instinct. Il en sort une lueur d'opale; il en vient des souffles égaux et doux, dans lesquels je ne saurais distinguer moi-même celui de la mère de ceux des enfants. Dormez, chéris, dormez! Au coin du feu qui meurt, je rêve et je me figure que cette maison de famille, avec la chambre où luit en tremblant la veilleuse et d'où s'exhalent ces souffles purs, est une auberge isolée sur cette grande route dont j'ai déjà suivi la moitié. Dormez, chéris, nous repartirons demain. Demain! Il fut un temps où ce mot contenait pour moi la plus belle des magies. En le prononçant, je voyais des figures inconnues et charmantes me faire signe du doigt et murmurer : « Viens! » J'aimais tant la vie, alors! J'avais en elle la belle confiance d'un amoureux, et je ne pensais pas qu'elle pût me devenir sévère, elle qui pourtant est sans pitié. Je ne l'accuse pas. Elle ne m'a pas fait les blessures qu'elle a faites à tant d'autres. Elle m'a même caressé par hasard, la grande indifférente! En retour de ce qu'elle m'a pris ou refusé, elle m'a donné des trésors auprès desquels tout ce que je désirais n'était que cendre et fumée. Malgré tout, j'ai perdu l'espérance, et maintenant, je ne puis entendre dire : « A demain! » sans éprouver un sentiment d'inquiétude et de tristesse. Non! je n'ai plus confiance en mon ancienne amie la vie. Mais je l'aime encore. Tant que je verrai son divin rayon briller sur trois fronts blancs, sur trois fronts aimés, je dirai qu'elle est belle et je la bénirai. Il y a des heures où tout me surprend, des heures où les choses les plus simples me donnent le frisson du mystère. Ainsi, il me paraît en ce moment que la mémoire est une faculté La ménagère improvisée. La jeune =AlexandraHorp, qui vient de perdre sa mère, doit, pour la première fois de sa vie, s'occuper des soins du ménage. Elle entre dans la cuisine. Les volets sont fermés. Il fait tout noir. « Ah! s'exclame-t-elle. Plus de =Fernande l à partir d'aujourd'hui, sinon pendant une heure pour préparer le repas de midi.» Elle ne veut pas admettre qu'elle est bien attrapée. « Bah! je saurai faire chauffer le lait! Ce n'est pas difficile d'allumer le fourneau. D'abord, il fait un froid de chien là-dedans! » Les volets ouverts, le jour faible, encore ouaté de brouillard, envahit la cuisine glacée. « Voyons! un bout de papier, un peu de petit bois. où est-ce qu'on met le charbon, déjà?. » Penchée sur le gouffre du fourneau dont elle a fait sauter avec bruit les ronds, =Alexandra reste perplexe. Le charbon est trouvé, mais le papier s'est éteint sous le petit bois. Une fumée âcre fait tousser =MlleHorp, qui s'impatiente. Il y a sans doute un certain tour de clef qu'il faut donner pour obtenir le tirage. Mais plus elle remue cette clef, moins le feu veut prendre. « C'est. dégoûtant! » dit-elle tout haut en frappant du pied. Elle tourne sur elle-même plusieurs fois. Elle a faim et elle claque des dents. =Kiki ne comprend pas ce qui se passe. Il est sans cesse dans ses jambes et reçoit un coup de pied rageur. « Bon! J'ai taché le crêpe de ma manche. Pourquoi y a-t-il de la graisse sur ce sale fourneau? » Haussant les épaules, elle tente un nouvel essai. Que faire ? Le feu ne prend pas mieux la seconde fois que la première. Et tout à coup : « Je n'ai qu'à faire chauffer ça dans la cheminée! » Dans la cheminée, il y a toujours des tisons sous la cendre. Elle prend les pincettes et fouille vivement. Mais la cendre n'a pas été mise en tas. Point de tisons. =Papa ne sait pas; il a laissé le feu s'éteindre hier au soir sans l'arranger, comme faisait toujours maman avant de se coucher. « A quoi est-ce qu'il a pensé, papa? » Allumer du feu dans une cheminée, c'est son affaire. La flamme, au bout d'un instant, monte victorieusement. e Ça y est! Un dîner en famille. Dans la salle à manger brûlait, dès le crépuscule, notre grosse lampe de cuivre, toujours bien fourbie, toujours un peu moite de pétrole. Nous venions travailler et jouer là, sous cette lumière enchantée. Maman, pour disposer les assiettes du couvert, repoussait en grondant nos cahiers et nos livres. =Ferdinand alignait avec minutie, des caractères soigneusement moulés. Il écrivait, le nez sur la page. Il avait déjà grand: besoin de lunettes. On ne s'en aperçut que plus tard. =Joseph, les coudes sur la toile cirée, faisait semblant 'de réciter ses leçons, mais il lisait le journal posé devant lui, contre un verre. =Cécile jouait sous la table et, de minute en minute, cessant. de psalmodier « huit fois huit » et « huit fois neuf », je cherchais. et taquinais du pied la petite sauvage. Nous entendions maman remuer une casserole de fer, dans la cuisine, de l'autre côté du mur. =Joseph bâilla vigoureusement, à plusieurs reprises et cria « On a faim! » Maman parut dans le cadre de la porte. Elle s'essuyait les doigts à son tablier de toile bleue. Elle lit : « Votre père est en retard. Mes enfants, nous allons commencer sans lui. Venez vous laver les mains. » Nous passâmes dans la cuisine pour nous laver les mains, tous, sauf =Joseph qui haussait les épaules et disait : « J'ai les mains propres. » Quand nous fûmes assis de nouveau, maman vint avec la' soupière. Maman! Elle était petite, bien faite, un peu grasse, la' peau tendue sur le visage plein, un gros chignon non pas dressé sur le sommet de la tête, comme c'était la mode en ce temps-là, mais bas, contre la nuque, et pesant comme un beau fruit. C'était une soupe aux lentilles. Joseph dit : « Toujours! » Nous étions à la fin de l'hiver. Nous n'aimions pas beaucoup la soupe; mais la bonne chaleur descendait tout le long de la gorge, et un moment après on la sentait jusqu'aux jarrets, jusqu'aux pieds . un peu gourds dans les grosses chaussettes de laine. De temps en temps, =Ferdinand se penchait sur l'assiette pleine de désir de vous donner aide en la calamité où je voue voix. Vous me faites grand pitié. Mon ami, dites-moi qui êtes-voue? d'où venez-vous? où allez-vous? que quérez-vous? et quel est votre nom? » Panurge répond à ces questions par un petit discours qu'il recommence en treize langues différentes; et cette érudition lui vaut définitivement les bonnes grâces de Pantagruel. «Mon ami, dit =antagruel, ne savez-vous parler français? - Si fait ; très bien, seigneur, répondit le campagnon. Dieu merci ! C'est ma langue naturelle et maternelle, car je suis né et ai été nourri jeune au jardin de =France, qui est =Touraine. - Donc, dit =Pantagruel, racontez-nous quel est votre nom et d'où vous venez : car, par ma foi, je vous ai déjà pris en amour si grand que, si vous condescendez à mon vouloir, vous ne bougerez jamais de ma compagnie, et vous et moi ferons un nouveau pair d'amitié, telle que fut entre =Enée et =Achate'O. - Seigneur, dit le compagnon, mon vrai et propre nom de baptême est =Panurge ; et à présent je viens de =Turquie, où je fus mené prisonnier lorsqu'on alla à =Mytilène u en la male heure . Et volontiers je vous raconterais mes fortunes, qui sont plus merveilleuses que celles =d'Ulysse ; mais, puisqu'il vous plaît me retenir avec vous (et j'accepte volontiers l'offre, protestant jamais ne vous laisser, allassiez-vous à tous les diables), nous aurons assez loisir d'en raconter. Car, pour cette heure, j'ai né- cessité bien urgente de me repaître : dents aiguês, ventre vide, gorge sèche, appétit strident. Si vous me voulez mettre en aeuvre , ce sera un baume de me voir briber ; pour Dieu, donnez-y ordre ! » Lors =Pantagruel commanda qu'on le menât en son logis, et qu'on lui apportât force vivres. Ce qui fut fait. Et il mangea très bien ce soir-là, et s'en alla coucher en chapon", et dormit jusqu'au lendemain, à l'heure de dîner - en sorte qu'il ne fit que trois pas et un saut du lit à table. - Bref portrait de =Panurge. Panurge, avons-nous dit, était un assez mauvais sujet. Comme nombre d'étudiants à cette époque, il se plaisait à faire des farces, spécialement aux gens du guet. Lorsque le moment sera venu, vous étudierez la vie de =François =Villon (il vivait au milieu du =XVe siècle, à l'époque de Charles VII et de Louis XI) qui a été un très grand écrivain et qui s'appelait lui-même, =FrançoisVillon, écolier. Vous verrez que Villon a commis les mêmes méfaits que =Panurge - et d'autres plus graves, qu'il a d'ailleurs regrettés. =Panurge était de stature moyenne, ni trop grand, ni trop petit ; et il avait le nez un peu aquilin, fait en manche de rasoir. Et alors il était de l'âge de trente et cinq ans, ou environ, fin à dorer comme une dague de vîmes bourgeonner et pousser de petites feuilles dont nous mesurions accrois ='ement d'heure en heure, persuadés, quoiqu'il ne fût pas à un pied terre', qu'il ne tarderait pas à nous ombrager. Comme notre arbre, nous occupant tout entiers, nous rendait inca- ables de toute application, de toute étude ; que nous étions presque en élire, et que, ne cachant à qui nous en avions , on nous tenait de plus ourt qu'auparavant, nous vîmes l'instant fatal où l'eau nous allait manquer et nous nous désolions dans l'attente de voir notre arbre périr de cheresse. Enfin la nécessité, mère de l'industrie, nous suggéra une invenion pour garantir l'arbre et nous d'une mort certaine : ce fut de faire ar-dessous terre une rigole qui conduisît secrètement au saule une partie de l'eau dont on arrosait le noyer. Cette entreprise, exécutée avec ardeur, ne réussit pourtant pas d'abord. Nous avions si mal pris la pente que l'eau ne coulait point. La terre s'éboulait et bouchait la rigole ; l'entrée se remlissait d'ordures ; tout allait de travers. Rien ne nous rebuta : Omnia vincit labor improbus Nous creusâmes davantage la terre et notre bassin, pour donner à l'eau son écoulement ; nous coupâmes des fonds de boîtes en petites planches étroites, dont les unes, mises de plat à la file, et d'autres posées en angle des deux côtés sur celles-là, nous firent un canal triangulaire pour notre conduit. Nous plantâmes, à l'entrée, de petits bouts de bois minces et à Claire-voie, qui, faisant une espèce de grillage ou de crapaudine 4, retenaient le limon et les pierres, sans boucher le passage à l'eau. Nous recouvrîmes soigneusement notre ouvrage de terre bien foulée ; et le jour où tout fut fait, nous attendîmes dans des transes s d'espérance et de crainte l'heure de l'arrosement. Après des siècles d'attente, cette heure vint enfin =MLambercier vint aussi, à son ordinaire, assister à l'opération, Durant La quelle nous nous tenions tous deux derrière lui pour cacher notre arbre, auquel très heureusement il tournait le dos. A peine achevait-on de verser le premier seau d'eau, que nous commençâmes d'en voir couler dans notre bassin. A cet aspect, la prudence nous abandonna ; nous nous mîmes à pousser des cris de joie qui firent retourner =MLambercier ; et ce fut dommage, car il prenait grand plaisir a voir comment la terre du noyer était bonne, et buvait avidement son eau. Frappé de la voir se partager en deux bassins, il s'écrie 6 à son tour, regarde, aperçoit la friponnerie, se fait brusquement apporter une pioche, donne un coup, fait voler deux ou trois éclats de nos planches et criant a pleine tête' : Un aqueduc ! un aqueduc ! il frappe de toutes parts des coups impitoyables, dont chacun portait au milieu de nos coeurs . En un moment les planches, le conduit, le bassin, le saule, tout fut détruit, toutt fut labouré, sans qu'il y eût, durant cette expédition terrible, nul autre mot prononcé, sinon l'exclamation qu'il répétait sans cesse : Un aqueduct s'écriait-il en brisant tout, un aqueduc ! A peine avais-je fini de boucler mes souliers et d'épingler mon fichu rouge devant et derrière ma robe de soie verte, que j'entendis le pas d'un 1nulet qui. s'arrêtait devant la porte. On frappa, j'ouvris : c'était Cyprien en habits neufs, en souliers neufs, en chapeau neuf à grands bords tombant sur les épaules, presque aussi longs et aussi noirs que ses cheveux. Il ne faisait pas encore bien jour, bien que ce fût trois semaines après =Pâques. Il n'y avait personne encore aux fenêtres ni dans la rue. =Cyprien avait marché de nuit pour m'emmener dès le point du jour, afin d'arriver à l'heure de la messe au village. Le mulet mangeait sur la porte. Il avait un panache rouge sur le front, un collier de grelots qui =sonnaipP-t gaiement à chaque mouvement de son encolure, un poitrail de cuire` garni de plaques luisantes comme de l'or, une selle large, rembourrée, couverte d'un beau tapis de laine de couleur sur le dos, avec un gros pommeau de cuir et de cuivre pour s'appuyer sur le devant et deux étriers de fer suspendus à des courroies courtes, au milieu de la selle, pour qu'une femme y pût mettre ses pieds. «Allons, Geneviève, me dit Cyprien, ne perdons pas un coup de l'horloge ; la route est longue, le soleil marche vite unt; fois qu'il sort des sapins, la famille nous attend. » Il me prit dans ses bras comme si j'avais été une javelle d'orge verte ; il m'assit sur la selle, il passa mes pieds dans les étriers, il me mit la bride dans une main et il me dit de me tenir de l'autre main au pommeau de la selle. J'avais bien peur 24 ; mais je ne dis rien, et je me rassurai en regardant les épaules et les cheveux de Cyprien, qui touchaient presque à mon genou. Il n'était pas tout à fait jour encore quand nous traversâmes le petit pont au milieu des prés et que nous commençâmes à gravir le sentier qui mène aux montagnes. =Cyprien, sans me regarder et sans me rien dire, se mit à chanter de toute sa force, et avec une si belle voix que les rochers de la route en sonnaient la chanson des fiançailles. Les grelots et les fers du mulet sur les roches luisantes accompagnaient la chanson de =Cyprien, et les rossignols qui s'éveillaient, et les alouettes qui partaient, et la chute des cascades qui bruissaient, et les jeunes filles qui sortaient du lit et qui se mettaient sur les portes de leurs chalets pour nous voir passer, tout cela était si gai, monsieur, que je ne me sentais plus le ceeur de contentement, et qu'il me semblait qu'on m'enlevait au troisième ciel. Nous nous arrêtâmes quelquefois pour faire souffler le mulet à l'ombre, dans le creux du rocher, au bord des eaux qui écumaient. Il cassait des branches de jeunes sapins qu'il me donnait pour m'éventer ou pour chasser les mouches de mes joues ; même, une fois que j'avais soif, il alla me chercher de l'eau au torrent dans le creux de ses deux larges mains qu'il arrondit comme une coupe ; il les éleva vers moi, et j'y bus en me penchant comme à la source. Puis, quand j'avais fini, il buvait après moi, ouvrait les mains et me jetait quelques gouttes au visage pour me rafraîchir le front La charpie. Le Petit =Pierre, comme le Livre de mon ami, est un recueil de souvenirs d'enfance =d'AnatoleFrance, qui se dépeint lui-même sous le nom de =Pierre =Nozière et qui représente son père comme un docteur, alors que celui-ci était en réalité libraire. Dans le chapitre que nous donnons, =AnatoleFrance rapporte ses souvenirs de la révolution de février =1848, à Paris. Je n'avais pas encore accompli mes quatre ans : un matin, ma mère me souleva de mon lit, et mon cher papa, qui avait revêtu son uniforme de garde national', m'embrassa tendrement. 11 avait un coq d'or et un ompon rouge à son shako. On battait le rappel sur le quai ; le galop des chevaux retentissait sur le pavé ; par moments passaient des chants et des clameurs farouches, et l'on entendait au loin le crépitement de la fusillade. Mon père sortit. Ma mère s'approcha de la fenêtre, souleva le rideau de mousseline et sanglota. C'était la révolution. Les journées de =Février m'ont laissé peu de souvenirs. On ne m'a pas fait sortir une seule fois pendant le combat des rues. Nos fenêtres donnaient sur la cour, et les événements qui s'accomplissaient au-dehors étaient pour moi infiniment mystérieux. Tous les locataires de la maison fraternisaient. Madame =Caumont, la femme du libraire-éditeur, mademoiselle =Mathilde, la fille déjà vieille de madame Laroque, mademoiselle =Cécile, la couturière, la très élégante madame =Petitpas, la belle madame =Moser, qu'on ne fréquentait pas en temps ordinaire, se réunissaient l'après-midi' chez ma mère, où elles faisaient de la charpie pour les blessés dont le nombre augmentait de minute en minute. L'usage alors suivi dans tous les hôpitaux était d'appliquer sur les plaies des filaments de toile. Ces dames apportaient chacune son paquet de linge ; elles s'asseyaient dans la salle à manger autour de la table ronde, et là, déchiraient. la toile par bandes étroites, puis l'effilaient. On admire, quand on y songe, que ces ménagères eussent tant de vieux linge. Madame Petitpas lut, sur un L'horrible délivrance. =Fuseline « la petite fouine à la robe gris-brun, au jabot de neige », a pris ses quartiers d'hiver, « dans la fourche, par le temps creusée, d'un vieux poirier moussu ». Certaine nuit, par la chatière d'une porte, elle est parvenue à se couler dans la grange d'un fermier, et elle a saigné plusieurs poules. Mais le fermier a combiné sa vengeance. D'abord, il a fermé toutes les ouvertures de sa maison, et =Fuseline =conacît le tourment de la faim. Les chasses nocturnes se passaient en infructueuses et monotones errances' le long dés murs des jardins, aux trous des haies des vergers, aux versants des toitures de bois. Depuis combien de jours durait cette vie de misère? Mais, cette nuit'là à la pâle clarté d'une étoile coulant à travers deux nuages comme un rayon de lumière filtré du seuil d'une chaumière aérienne, elle s'était rendue à l'irrésistible invite 2 d'une brèche de mur. Elle avait longé un fouillis desséché de perches à ramer les pois qui rayaient la neige d'une ligne grise, et tout au bout, comme si ces branchages à demi pourris eussent été un providentiel index, elle avait trouvé là, presque confondu à la blancheur de la neige, un gros eeuf frais pondu qu'elle avait avidement gobé. Le lendemain, elle en trouva un semblable et ainsi plusieurs soirs consécutifs, car chaque nuit maintenant elle revenait là quérir son unique pâture. Le reste de la nuit s'achevait en infructueuses recherches, et toujours l'aube tardive de ces matins d'hiver la retrouvait, agile et prudente, apie dans la fourche caverneuse de sa demeure sylvestre . Le soir était revenu, un soir de dégel au ciel livide chargé' de gros nuages : des paquets de, neige saturés d'eau s'égouttaient des grands arbres comme le linge d'une immense lessive, ou s'abîmaient. sur le sol avec le bruit gras de poches qui crèvent. en tombant ; des filets d'eau susurraient de partout. La terre semblait couvée par une grande aile.