&&000 FRANCE –3RD & 4TH GRADE TEXT 1930S FR-4TH-30S.TXT SAMPLES FROM Hachette, Larousse, Nathan, Delagrave Re-dedited by dph 17 march 2005 against orig. Xerox pages &&111 TABLEAUX DE MISÈRE Cet hiver-là fut très long et très âpre. Notre maigre feu ne parvenait pas à dissoudre la couche de glace recouvrait nos carreaux. Il me fallait, si j e voulais vo dehors, la gratter avec un vieux clou. Elle était dure e je n'arrivais qu'à dégager un espace large comme une pièce. de deux sous. Alors, j'apercevais en face un morceau de muraille noire avec un tuyau de descente enveloppé de verglas et un paquet de neige sur une saillie. Cette glace voila nos vitres pendant presque tout l'hiver, nous laissant, dans une quasi-obscurité. Un matin, elle fut si épaisse qu mon clou, manié par mes petits doigts engourdis, ne put l'entamer. Nous n'avions plus de feu! Nos affaires n'avaient jamais été si mal. Ma grand- mère ne vendait plus rien'. Le froid terrible rendait presque désert le marché Saint-Médard; et les rares ménagères qui s'aventuraient sur cette place battue par la neige et par la bise, se hâtaient de faire leurs strictes provisions de bouche et de regagner la bonne chaleur de leur cuisiniere. Ma grand-mère rentrait grelottante, la figure bleuie, les yeux hagards. Enfin chez nous tout manqua, le pain, le charbon, la lumière. Alors, nous allâmes nous chauffer dans les églises et manger à la soupe populaire. On la distribuait dans un baraquement du côté du Jardin des Plantes. Nous nous mettions à la file des meurt-de-faim, qui s'allongeait dehors, entre une balustrade de bois et une cloison en planches derrière laquelle se trouvait le réfectoire; et, dans le froid et la neige, nous attendions des heures avant d'avoir notre écuellée, ou bien un morceau de pain bis, avec un gobelet de café amer. Un matin, il fit une telle tempête de neige que ma grand-mère ne put se résoudre à m'emmener au baraquement. Pourtant, il fallait que je mange.... Alors, elle prit une casserole et se hasarda à aller chercher de la soupe à la caserne des pompiers de la rue Jeanne-d'Are. Elle revint - LES NUAGES Il y a, tout aujourd'hui, dans le ciel, un défilé de petits nuages semblables. Ils naissent là-bas, du côté de la: mer, et se succèdent sans trêve, comme des oiseaux qui reviendraient après l'hiver. Entre eux se révèle un beau ciel tout neuf, un peu pâle encore, à l'horizon surtout, où le fleuve le reflète jusqu'à se confondre avec lui. Je suis ici aux premières pour contempler les grandes scènes qui se déroulent dans l'azur. Il arrive que, sous l'influente du vent, souvent très grand sur nos rives, les hauts, cumulus venus de l'Océan heurtent leurs masses ou s'a, bordent comme des galères. Les uns prennent figure de bêtes fantastiques qui se poursuivent et paraissent à la fin s'atteindre et se confondre. D'autres sont comme des montagnes chargées de neige. Il en est qui, semblables à des collines, ont l'air de porter des maisons étagées et me rappellent cette île volante que Gulliver vit venir à lui au cours de ses voyages. Le vent, qui joue avec ces masses cotonneuses et cependant architecturales, les façonne a certains jours plus curieusement encore, et j'ai cru voir parfois jusqu'à des palais errants dans le champ d'azur dont ils me révélaient tout d'un coup l'étendue. Par ces temps calmes, les vapeurs immobiles et amoncelées forment au loin des chaînes sourcilleuses sur lesquelles le soleil fait se jouer les plus vives couleurs. Il m'arrive de demeurer longtemps à suivre ces fantasmagories et m'étonner de leur infinie variété. Le vaste horizon m'enivre et m'élève et fait que, chaque matin, je ne pousse point sans curiosité mes volets. Je souffrirais je crois, s'il me fallait vivre dans une rue de la ville où je n'aurais en face de moi que le mur de la maison voisine, et je ne sais si je m'habituerais à cette claustration. Ces grand espaces sans cesse offerts aux yeux donnent au coeur j’imagine, un perpétuel désir de monter, quelque chose comme un bondissement vers l'infini. UN VIEIL AVEUGLE Jamais le temps ne me dure; quand il fait beau, hors de la maison, je m'assois à une bonne place au soleil, contre un mur, contre une roche, contre un châtaignier; et je vois en idée la vallée, le château, le clocher, les maisons qui fument, les boeufs qui pâturent, les voyageurs qui passent comme je les voyais autrefois des yeux. Je connais les saisons tout comme dans le temps où je voyais verdir les avoines, faucher les prés, mûrir les froments, jaunir les feuilles du châtaignier, et rougir les prunes des oiseaux sur les buissons. J'ai des yeux dans les oreilles, continua-t-il en souriant; j'en ai sur les mains; j'en ai sous les pieds. Je passe des heures entières à écouter près des ruches, les mouches à miel qui commencent à bourdonner sous la paille et qui sortent une à une en s'éveillant, par leur porte, pour savoir si le vent est doux et si le trèfle commence à fleurir. J'entends les lézards glisser dans les pierres sèches, j e connais le vol de toutes les mouches et de tous les papillons dans l'air autour de moi. C'est mon horloge et mon almanach à moi, voyez-vous. Je me dis : « Voilà le coucou qui chante; c'est le mois de mars, et nous allons avoir du chaud; voilà le merle qui siffle : c'est le mois d'avril; voilà le rossignol : c'est le mois de mai; voilà le hanneton : c'est la Saint-Jean; voilà la cigale : c'est le mois d'août; voilà la grive; c'est la vendange, le raisin est mûr; voilà la bergeronnette, voilà les corneilles : c'est l'hiver. Il en est de même pour les heures du jour. Je me dis parfaitement l'heure qu'il est à l'observation des chants d'oiseaux, du bourdonnement des insectes et des bruits de feuilles qui s'élèvent ou qui s'éteignent dans la campagne, selon que le soleil monte, s'arrête ou descend dans le ciel. Le matin, tout est vif et gai; à midi tout baisse; au soir, tout recommence un moment, mais plus triste et plus court puis tout tombe et tout finit. Oh! jamais je ne m'ennuie. Mais l'hiver? lui dis-je, afin de m'instruire pour moimême de tous ces mystères de la solitude, de la cécité et de la vieillesse. LES MEUBLES On a retrouvé de très beaux meubles appartenan aux époques les plus reculées, à l'antique =Égypte, à la =Grèce à =Rome, des sièges, des tables, des trépieds sculptés. Les boiseries du moyen âge sont merveilleuses de sculpture. Vou verrez souvent, dans nos plus anciennes cathédrales, de stalles de choeur, des chaires, dont le bois est découpe fouillé en mille façons et dénote chez l'artiste une grand science unie à une riche imagination. Vous verrez plus souvent encore, dans nos campagnes, dans nos fermes françaises, de vieux meubles trè artistement travaillés : armoires et bahuts aux panneau sculptés, vaisseliers aux fines galeries, coffres aux ferrures merveilleusement découpées. Qui les a faits, ces beaux vieux meubles? D'obscurs ouvriers de village. Mais c'était dans un temps où la main-d'oeuvre n'était pas chère et où l'on tenait à n'avoir que de beaux objets d'ameublement parce qu'on en avait peu. On y mettait le temps, l'argen et le goût nécessaire. La =France a eu, à toutes les époques, de véritables; grands artistes en ce genre. Le plus célèbre est peut-être =André-CharlesBoule, qui vécut sous =Louis =XIV. Il s'acquit une telle renommée que le grand Roi le prit sous sa protection, l'admit même dans son palais et à sa table, honneur réservé aux seuls grands seigneurs. Les meubles de =Boule sont presque tous ornés d'incrustations d'écaille, de cuivre, ou de métaux précieux Voici une belle table qui est son oeuvre. Voyez d'abor quelle grâce l'artiste a su donner à ce meuble sans pourtant en compromettre la solidité. Les lignes sont Presque partout droites, sauf en quelques points où elles se courbent pour rompre la rigidité de l'ensemble. Regardez ensuite le dessin si fin, si élégant et si richement varié des applications de cuivre sur toutes les parties planes. SEPTEMBRE L'août passa comme un songe lumineux et paisi ble, et le tendre septembre occupa la campagne. Il offrait tous les fruits et des fleurs encore pour faire oublier sa naissante mélancolie; mais les soirs déjà courts, les matinées plus fraîches, je ne sais quoi d'automnal dans le ciel, l'air, les présents mêmes qu'il apportait, disaient la secrète blessure de l'année, et la moitié de mes vacances s'achevait. Les jours qui me séparaient de la rentrée allaient tomber un à un, tels des défenseurs inutiles; octobre viendrait les couvrir de ses feuilles et me reprendre à La Grangère que je m'attristais déjà de quitter. Les raisins gonflés de la treille attiraient les guêpes qui s'y engluaient avidement, et mettaient à notre porte une couronne bourdonnante dont j'étais apeuré; les vignes s'alourdissaient par le bas, et les grappes bleues écartaient les feuilles, ainsi que les poussins que leur mère ne peut dérober sous ses ailes. On préparait les vaisseaux vinaires; le réfectoire des vendangeurs frais lavé, prenait l'air; on restaurait le pressoir, et le cuvier ouvert répandait dans la cour sa senteur aigre. Derrière la maison, les rosiers recommençaient de fleurir; leurs roses, moins légères que celles de mai, ployaient les tiges comme des fruits dont elles prenaient la couleur. Elles naissaient à profusion, et leur parfum stagnait sur l'allée au long de laquelle elles s'ouvraient; elles avaient des noms étranges qui . faisaient d'elles des personnes dont on s'entretenait. On dédaignait un peu les roses du Bengale, qui, dès midi, laissaient choir sur la haie leur corolle simple, déclose du matin; les roses mousse semblaient au contraire ne pouvoir écarter les vertes côtes des sépales et sentaient fort sans s'épanouir; on les laissait se faner sur leur tige. On coupait de préférence les fleurs de quelques rosiers touffus de feuillage; ma tante en envoyait chaque semaine au cimetière où reposait, outre son mari, la fille morte jeune qu'elle avait si longtemps pleurée. « Donne-moi ta menotte', =Vincent. -Et moi aussi, maman? - Oui, ma petite Jeanne, toi aussi, donne-moi la main pour traverser la Cendrine. » La mère prit donc les deux mains tendues, l'une à sa droite, l'autre à sa gauche, continua un moment de marcher dans l'herbe haute, et arriva au bord de la rivière. Pour passer l'eau, en cet endroit peu profond, il y avait d'abord trois pierres blanches qui émergeaient, formant une ligne, puis, cinquante centimètres plus loin, dans le courant, un gros rocher plat comme une table, enfin, un peu plus loin, encore trois petites pierres blanches comme les premières. « Attention, les enfants! Avançons tous la jambe gauche, et ne tombons pas dans la =Cendrine. » Trois jambes gauches se tendirent ensemble, et les voyageurs montèrent chacun sur sa pierre blanche, la maman tenant bien serrées les mains des deux petits. « A présent, avançons la jambe droite et sautons sur la table de pierre! » Ils sautèrent tous trois,presque aussi légèrement, car la mère était jeune encore. Quand ils furent rendus là, au milieu de la rivière, ils firent une halte, la roche étant large, et regardèrent à leurs pieds la nappe luisante et bleue où tremblaient des feuilles de nénuphars. Un martin-pêcheur; un éclair bleu, glissa tout près de =Vincent. « Oh! le joli! dit =Jeanne. Pourquoi ne l'as-tu pas pris, =Vincent? Nous avons un sansonnet en cage : ils se seraient entendus. Déjà l'oiseau était loin, et, posé sur la rive, attendait le fretin « Allons, un dernier pas, les enfants, et nous aurons passé la rivière, comme les grands, sans avoir besoin d'un pont. » =Vincent, =Jeanne et leur mère avancèrent cette fois le pied La rentrée des foins Le vent du nord-ouest souffla trois jours de suite, fort et continu, assurant une période de temps sans pluie. Les faux avaient été aiguisées longtemps d'avance, et les cinq hommes se mirent à l'ouvrage le matin du troisième jour. Vers le soir, tous les cinq prirent des fourches et firent les « veilloches 1 », hautes et bien tassées, en prévision' d'une saute de vent possible. Mais le temps resta beau. Trois ou quatre fois par jour, une femme leur apportait un seau d'eau qu'ils cachaient sous des branches ; et quand la chaleur, le travail et la poussière de foin leur avaient par trop desséché le gosier, ils allaient chacun à son tour boire de grandes lampées d'eau et s'en verser sur les poignets ou sur la tête. En cinq jours, tout le foin fut coupé, et comme la sécheresse persistait, ils commencèrent au matin du sixième jour à ouvrir et retourner les « veilloches » qu'ils voulaient granger avant le soir. Les faux avaient fini leur besogne et ce fut le tour des fourches. Elles démolirent les veilloches, étalèrent le foin au soleil, puis, vers la fin de l'après-midi, quand il eut séché, elles l'amoncelèrent de nouveau en tas de la grosseur exacte qu'un homme peut soulever en une seule fois au niveau d'une haute charrette déjà presque pleine. =Charles-Eugène tirait vaillamment entre les brancards : la charrette s'engouffrait dans la grange, s'arrêtait, et les fourches s'enfonçaient une fois de plus dans le foin rudement foulé, qu'elles enlevaient en galettes épaisses, sous l'effort des poignets et des reins, et déchargeaient au côté. A la fin de la semaine, tout le foin était dans la grange, sec et d'une belle couleur, et les hommes s'étirèrent et respirèrent longuement comme s'ils sortaient d'une bataille. =Jeanne et =Coürard I =Jeanne reçut de sa mère un ordre qui l'obligea à changer de jeux. Les foins étaient rentrés depuis la veille, lorsque maîtresse =Fruytier, après la tartine du matin lui dit: « Tu vas aller au pré garder les vaches. - Et =Pierre ? - Il a demandé à suivre le père, il dit qu'il est un homme à présent. 2. - Oh ! un petit, màman! Nous nous sommes mesurés : j'ai un centimètre de plus que lui. Alors je serai toute seule avec les bêtes? - Tu auras =Courard avec toi. - C'est une bête, puisque c'est un chien. - Il a de l'esprit autant que toi - Oh! il faudrait voir! - Si les bceufs veulent passer dans le pré du voisin, tu enverras =Courard, qui saura les ramener. - Oui, maman. - Fais attention aux serpents : il y en a, des fois, près de la mare. - Oui, maman. - Et si tu étais en danger, crie, comme je fais pour annoncer le dîner aux hommes : Ouh, ouh! oh là hou! J'aurai toujours l'oreille de ton côté. - Oui, maman! Hou! hou! Oh là hou! C'est cela. Va, ma fille, et emporte ta baguette. » La plus jeune de la maison se plaça donc en face de la grande porte de l'étable, sa baguette de houx à la main. Les vaches, les génisses', les veaux, les quatre grands boeufs défilèrent' devant elle, comme une troupe devant le général. Quand tout fut en bon chemin, Jeanne se mit à l'arrière, accompagnée de Courard qui sautait à sa gauche, à sa droite, devant elle. Il aboyait de plaisir, ouvrant une large gueule frangée de poils gris. =Boum-Boum III Et, tout à coup, - il n'y avait pas une demi-heure que le clown avait disparu, - brusquement la porte se rouvrit, comme tout à l'heure; et, dans son maillot noir pailleté', la houppettes jaune sur le crâne, le papillon d'or sur la poitrine et dans le dos, un large sourire ouvrant comme une bouche de tirelire sa bonne figure enfarinée, =Boum-Boum, le vrai =Boum-Boum du cirque, le =Boum-Boum du petit =François, =Boum-Boum parut! Et sur son petit lit blanc, une joie de vie dans les yeux, riant, pleurant, heureux, sauvé, l'enfant frappa de ses maigres petites mains, cria bravo et dit, avec sa gaîté de sept ans : =Boum-Boum ! c'est lui, c'est lui cette fois! Voilà =Boum-Boum ! Vive =Boum-Boum! Bonjour, =Boum-Boum ! » Quand le docteur revint, ce jour-là, il trouva, assis au chevet du petit =François, un clown à face blême, qui faisait rire encore et toujours rire le petit, et qui lui disait, en remuant un morceau de sucre au fond d'une tasse de tisane n Tu sais, si tu ne bois pas, toi, petit François, Boum-Boum ne reviendra plus ! » Et l'enfant buvait. - « N'est-ce pas que c'est bon? - Très bon! Merci, Boum-Boum ! - Docteur, dit le clown au médecin, ne soyez pas jaloux. Il me semble pourtant que mes grimaces lui font autant de bien que vos ordonnances!» Le père et la mère pleuraient; mais, cette fois, c'était de joie. Et jusqu'à ce que petit François fût sur pied, une voiture s'arrêta tous les jours devant le logis d'ouvrier de la rue des Abbesses, à =Montmartre, et un homme en descendit, enveloppé dans un paletot, le collet relevé, et, dessous, costumé comme pour le cirque, avec un gai visage enfariné. Qu'est-ce que je vous dois, Monsieur? dit à la fin =Jacques L'aube vint, et le jour. La flamme brûlait plus bas. La provision de bois était épuisée, et il fallait la renouveler. =Henry tenta de franchir le cercle ardent qui le protégeait, mais les loups surgirent aussitôt devant lui. Il leur lança, pour les écarter, quelques brandons, qu'ils se contentèrent d'éviter, sans en être autrement effrayés. Il dut renoncer au combat. L'homme, vacillant', s'assit sur son matelas et ses couvertu res. Il-laissa tomber sa poitrine sur ses genoux, comme si son corps eût été cassé en deux. Sa tête pendait vers le sol. C'était l'abandon de la lutte. De temps à autre, il relevait légèrement la tête pour observer son feu qui se mourait. Des brèches s'ouvraient dans le cercle de flammes et de braises. « Je crois, murmura-t-il, que bientôt vous pourrez venir m'avoir. Qu'importe à présent ? Je vais dormir. » Une fois encore, il entr'ouvrit les yeux, et ce fut pour voir, par une des brèches, la louve qui le regardait. Combien de temps dormit-il ? Il n'aurait su le dire. Mais, lorsqu'il se réveilla, il lui parut qu'un changement mystérieux s'était produit autour de lui. Les loups étaient partis. Seul le piétinement pressé de leurs pattes imprimées sur la neige lui rappelait le nombre et l'acharnement pressé de ses ennemis. Puis, le sommeil redevenant le plus fort, il laissa retomber sa tête sur ses genoux. Ce furent des cris d'hommes qui le réveillèrent tout à fait, mêlés au bruit des traîneaux. Quatre traîneaux venaient en effet vers liai. Une demi-douzaine d'hommes l'entouraient quelques instants après. Accroupi au milieu de son cercle de feu qui se mourait, il les regarda comme hébété,, et balbutia « La louve rouge. D'abord elle mangea les chiens. Puis elle mangea =Bill. » Le Tapis ir =IV Tandis que les uns et les autres faisaient remarquer la beauté de l'ouvrage, ses riches couleurs si agréablement mêlées et l'ingénieux caprice' de ses dessins, la jeune femme, retenant ses larmes, l'examinait en silence. Elle s*écria tout à coup « Il y a une inscription! » Elle ne mit pas longtemps à en déchiffrer les lettres; tous firent de nième; et, avec stupeur', ils lurent le nom du prince. Ils virent aussi que l'auberge du vieux pont était nommée dans l'inscription. « C'est lui, dit-elle d'une voix tremblante, c'est lui qui a brodé cette inscription! Il nous appelle à son secours! » Le sultan demanda pourquoi le prince aurait ajouté à son nom celui d'une auberge. « Quelque malheur, dit la princesse, a dû lui arriver à cet endroit. Croyezmoi, Seigneur, il nous appelle, et pas un instant =ne doit être perdu pour le secourir ! » « Peu importe ! dit le sultan; ma bru a raison, c'est bien le =cri de mon fils en détresse que nous fait entendre l'inscription de ce tapis. Sa vie est en danger : sauvons-le ! » Sur l'ordre du sultan, une troupe armée se dirigea en toute hâte vers l'auberge du vieux pont. Elle y parvint peu après les deux bandits qui avaient reçu les cent livres d'or. La maison fut aussitôt cernée, et les brigands, surpris, saisis. garrottés', ne purent même pas essayer de se défendre. On envahit le cachot en enfonçant la porte de fer par où les bandits avaient l'habitude d'y pénétrer, et on trouva le prince assis à terre, commençant un nouveau tapis. On le fit sortir. Le sultan ne tarda pas à arrive*, avec sa bru, sa famille et sa suite. Je vous laisse à penser combien il fut ému en serrant son fils entre ses bras. Puis ce fut à la jeune femme de presser =IV Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon. J'étais étonné de voir comme je comprenais. Tout ce qu'il disait me semblait facile, facile. Je crois aussi que je n'avais jamais si bien écouté, et que lui non plus n'avait jamais mis autant de patience à ses explications. On aurait dit qu'avant de s'en aller le pauvre homme voulait nous donner tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d'un seul coup. La leçon finie, on passa à l'écriture. Pour ce jour-là, nous avait préparé des exemples tout neufs, sur lesquels était écrit en belle ronde : =France, =Alsace, =France, =Alsace. Cela faisait comme des petits drapeaux qui flottaient tout autour de la classe, pendus à la tringle' de nos pupitres. Il fallait voir comme chacun s'appliquait, et quel silence! On n'entendait rien que le grincement des plumes sur le papier. Un moment, des hannetons entrèrent; mais personne n'y fit attention, pas même les tout petits qui s'appliquaient à tracer leurs bâtons, avec un ceeur, une conscience, comme si cela encore était du françai. Tout de même, =MHamel eut le courage de nous faire la classe jusqu'au bout. Après l'écriture, nous eûmes ensuite les petits chantèrent tous ensemble le Là-bas, au fond de la salle, le vieux =Hauser avait mis ses lunettes, et, tenant son abécédaire à deux mains, il épelait les lettres avec eux. On voyait qu'il s'appliquait, lui aussi; sa voix tremblait d'émotion, et c'était si drôle de l'entendre, que nous avions tous envie de rire et de pleurer. Ah! je m'en souviendrai de cette dernière classe! Tout à coup, l'horloge de l'église sonna midi, puis l'Angélus. Au même moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de l'exercice éclatèrent sous nos fenêtres. =MHamel se leva, tout pâle, dans sa chaire. Jamais il ne m'avait paru si grand. La queue relevée en panache, les oreilles dressées, l'animal, avec ses pattes de devant portées à sa bouche, semblait occupé à croquer une noisette. - « Un écureuil! s'écria l'impétueux' Boucheseiche. Que personne n'y touche, Messieurs. Je vais lui régler son compte. » Les autres chasseurs s'étaient reculés en cercle et s'entre regardaient avec des rires sournois. Le percepteur arma son fusil, épaula, mit lentement l'écureuil en joue, puis lâcha son coup. « Touché! » s'exclama-t-il dès que la fumée se fut dissipée. En effet, la bête avait glissé le long de la branche, la tête en bas; néanmoins elle ne tombait pas. « Il se raccroche! » objectas le notaire d'un ton goguenard. «Ah! tu te raccroches, mâtin! » cria =Boucheseiche qui ne se possédait plus; - et avec rage il lui envoya un second coup qui fit voler des bouquets de poil. L'animal demeurait dans la même position. Il y eut alors un éclat de rire général. « A votre place, percepteur, je grimperais là-haut, pour voir .. » Mais Justin Boucheseiche n'était pas un grimpeur. Il avisa tin gamin qui suivait la chasse en qualité de rabatteur. « Je te donne dix sous, lui dit-il; tu vas monter à l'arbre et m rapporter mon écureuil! » Le jeune drôle ne se le fit pas répéter. En un clin d'oeil il embrassa le hêtre, joua des genoux et atteignit la fourche de branches. Arrivé là, il poussa une exclamation. « Eh bien? cria le percepteur qui trépignaits d'impatience, jette-le-moi. - Mais, m'sieu, répondit l'autre, je ne peux pas l'écureuil est attaché avec un fil de fer. Les rires éclatèrent de plus belle. lune, de voir la grande ville où les lumières brillaient comme des centaines d'étoiles, d'écouter la belle musique, le brouhaha des voitures et des passants, de regarder les flèches' et les tours d'églises et d'entendre sonner les cloches; tout cela l'attirait d'autant plus qu'elle ne pouvait vivre sur la terre. L'année suivante, la seconde sueur eut la permission de monter et de nager où bon lui semblait. Elle sortit la tête de l'eau juste au moment où le soleil touchait à l'horizon, et pour elle rien ne pouvait rivaliser avec ce spectacle. - Tout le ciel semblait de l'or fondu, dit-elle, et les nuages, oh! les nuages, leur beauté dépassait tout ce que l'on pouvait imaginer! Roses et violets, ils passaient. au-dessus de sa tête; mais, plus rapide encore que les nuages, passait une nuée de cygnes sauvages, pareille à un voile blanc lancé vers le ciel; elle aurait voulu les suivre, mais le soleil disparut et les teintes roses ne tardèrent pas à s'évanouir. L'année d'après, ce fut le tour de la troisième sueur. Elle était la plus hardie; aussi eut-elle le courage de remonter le cours d'un grand fleuve qui se jetait dans la mer. Elle vit de belles collines vertes, plantées de vignes, des châteaux et des fermes entourées de forêts superbes. Elle entendit chanter les oiseaux. Et la bonne chaleur du soleil la forçait souvent à plonger sous l'eau pour rafraîchir son visage brûlant. Dans une anse, elle trouva une bande de petits êtres humains qui pataugeaient tout nus dans l'eau; elle voulut jouer avec eux, mais ils se sauvèrent tous, effrayés, et un petit animal noir - c'était un chien, mais elle n'en avait jamais vu - se mit à aboyer si terriblement qu'elle en eut peur et regagna la pleine mer. Mais jamais elle n'oublierait les belles forêts, les collines vertes, et les jolis enfants qui savaient nager, bien qu'ils n'eussent point une queue de poisson. La quatrième sueur était moins courageuse. Elle resta au milieu de la pleine mer. Elle avait aperçu des navires, mais de si loin qu'ils avaient l'air de goélands; d'amusants dauphins' faisaient des culbutes et de grosses baleines lançaient de l'eau par les narines, si bien qu'on eût dit des centaines de jets d'eau. Arriva le tour de la cinquième Sirène. Son anniversaire entre dans le bois, y reste enfoncée, et l'homme s'élève dessus comme sur une marche pour frapper de l'autre pied avec l'autre pointe sur laquelle il se soutiendra de nouveau en recommençant avec la première. Et à chaque montée, il porte plus haut le collier de corde qui l'attache à l'arbre; sur ses reins, pend et brille la hachette d'acier. Il grimpe toujours, doucement, comme une bête parasite attaquant un géant, il monte lourdement, le long de l'immense colonne, l'embrassant et l'éperonnant' pour aller le décapiter. Dès qu'il arrive aux premières branches, il s'arrête, détache de son flanc la serpe aiguë et il frappe. Il frappe avec lenteur, avec méthode, entaillant le membre tout près du tronc, et, soudain, la branche craque, fléchit, s'incline, s'arrache et s'abat en frôlant dans sa chute les arbres voisins. Puis elle s'écrase sur le sol, avec un grand bruit de bois brisé, et toutes ses menues branches palpitent longtemps. Le sol se couvrait de débris que d'autres hommes taillaient à leur tour, liaient en fagots et empilaient en tas, tandis que les arbres restés encore debout semblaient des poteaux démesurés', des pieux gigantesques amputés et rasés par l'acier tranchant des serpes. Et, quand l'ébrancheur avait fini sa besogne, il laissait au sommet du fût droit et mince le collier de corde qu'il y avait porté, il redescendait ensuite à coups d'éperon, le long du tronc découronné que les bûcherons alors attaquaient par la base, en frappant à grands coups qui retentissaient dans tout le reste de la futaie'. Quand la blessure du pied semblait assez profonde, quelques hommes tiraient, en poussant un cri cadencés, sur la corde fixée au sommet, et l'immense mât, soudain, craquait et tom. bait sur le sol, avec le bruit sourd et la secousse d'un coup de canon lointain. =Robinson tailleur et cordonnier. Mes habits commençant à disparaître par lambeaux, j'étais devenu tailleur ou ravaudeur' par nécessité. Mais mon travail était pitoyable'. Après beaucoup de tâtonnements et d'échecs je réussis à faire deux vêtements bizarres avec des débris de culottes et de caleçons découpés et rassemblés d'une étrang façon. Avec des peaux de bête séchées, je fis ensuite un grand bonnet de fourrure, puis un habit entier, veste et culottes. Je fabriquai enfin, non sans peine, un objet ressemblant à un parasol que je couvris de peaux et je pus ainsi, tout en marchant, m'abriter de la pluie ou du soleil suivant les jours. Si un =Européen avait pu me rencontrer dans mon étrange costume, il-serait parti d'un éclat de rire irrésistible. Je portais un chapeau d'une hauteur effroyable, en peau de chèvre et sans forme. J'avais une espèce de robe courte faite de peau de chèvre comme mon chapeau, et qui descendait jusqu'aux genoux. La peau d'un vieux bouc me servait de culottes et ses longs poils pendaient jusqu'au bas de la jambe. Je n'avais ni bas ni souliers, mais je m'étais fabriqué unepaire de je ne sais quoi qui ressemblait assez- à des bottines je les attachais comme des guêtres. Dans mon ceinturon de peau, je passais une scie et une hache de chaque côté. Une courroie soutenait sous le bras gauche de poches étranges. Dans l'une je mettais ma poudre et dans l'autre mes balles. Sur mon dos, parfois une corbeille, sur mon épaule un fusil et, au-dessus de ma tête, mon parasol bizarre avec poils flot tants. Mon visage était bronzé. Ma barbe n'était longue que d'un quart d'aune', car je la coupais avec des ciseaux. Mais j'avai laissé toute liberté de pousser à ma moustache. Elle était =si longue qu'on aurait pu penser. à y suspendre mon chapeau. Et elle était si grosse qu'elle aurait vraiment paru effroyable en Europe. faibles qu'ils ne pouvaient plus por r leurs maîtres. Bayart, pourtant, demeurait plus alerte que jamais et les privations semblaient le rendre plus fort. Les quatre frères tombèrent dans un état d'effrayante mai- greur. Pour se garder de la neige, de la pluie, du vent, du grésil, ils se mettaient à l'abri sous les racines mises à nu des grands arbres. Mais ils restaient pénétrés d'humidité. Leur linge s'était peu à peu usé, et les mailles d'acier de leur haubert reposaient maintenant sur la chair nue. L'acier commençait à se rouiller et à tomber en poussière. Leurs cheveux et leur barbe, démesurément longs et en désordre, les faisaient, de loin, ressembler à des ours. Le cuir de leurs brides et rênes était pourri. Ils avaient dû les remplacer par des branches à lier les fagots. En voyant ses frères si maigres et si pâles, Renaut gémissait douloureusement. Il s'aperçut un jour que le plus jeune de ses frères, =Richard, avait la bouche tout enflée. - Petit frère, qu'as-tu donc? demanda-t-il. - J'ai faim, répondit =Richard. =Renaut prit son frère entre ses bras pendant que ses larmes coulaient silencieusement. Ils avaient déjà tué l'un après l'autre les trois chevaux pour se nourrir de leur chair. Bayart seul restait. Saisi de pitié devant son frère évanoui, =Renaut tire son épée, prêt à en frapper Bayart. Le bon cheval s'agenouilla et tendit lui-même son cou à Pépée. - Qu'allais-je faire? s'écria =Renaut en laissant tomber son arme. Et prenant Bayart par le cou, il l'arrosa de ses larmes. A ce moment, un petit rayon de soleil vint rappeler =Richard à la vie. - Frères, dit =Renaut, en plaçant =Richard sur le bon cheval, allons revoir notre mère qui, pour nous, a tant pleuré. La Boutique du sabotier. La boutique de Baptiste Dumont était pleine de sabots. Elle en contenait tant que l'on comprenait bien vite qu'elle ne pouvait contenir autre chose. Les uns, accrochés aux quatre murs par des clous, en occupaient toute la surface. Ils étaient là . il y avait des sabots sur les murs, ils avaient pris tant de place que l'on n'était pas certain qu'il en restât pour les murs derrière les sabots. Les autres pendaient par rangées à des cordes tendues en travers de la chambre, un peu plus haut que votre tête. Et, entre chaque rangée, il y avait assez d'intervalle pour que l'on pût apercevoir, suspendue à des cordes tendues un peu plus haut que les premières, une seconde couche de sabots. Ce que l'on voyait donnait à prévoir qu'il y avait une troisième couche encore, et, comme on n'apercevait pas le plafond, on ne pensait pas à lui, et l'on se disait que quatre, que cinq, que cinquante couches, qu'une pyramide de sabots emplissait jusqu'au toit un grenier situé au-dessus de la maison. Après avoir cru à ceux du grenier, on était porté bien vite à croire à ceux de la cave'. Comme une partie du sol de la boutique était occupée par des sabots que l'on avait posés sur le carreau, l'imagination, grossie par la vue de tant de ces objets, ne se satisfaisait pas d'une vérité si simple. On en arrivait naturellement à penser qu'une masse de sabots déposés dans la cave avait monté, poussée par une force irrésistible. On avait enfin l'impression que la maison tout entière, mur, plafond, parquet, était construite avec des sabots. Les sabots se font avec le bois du noyer. La boutique sentait la feuille, . sentait la noix, -sentait le terreau. fois il cinglait de son fouet la croupe des chevaux, mais le plus souvent il les encourageait seulement avec des clappements' de langue, car ils étaient fourbus'. C'est que le travail était dur et pénible. Mais il conduisait la charrue d'une main ferme et vigilantes et taillait motte après motte, façonnant la terre en larges billons' droits, car on allait y semer du froment. - Holà! cria-t-il de sa voix chantante. Il sortit de terre le socs qui brillait comme de l'argent, le souleva légèrement, tira à lui les chevaux avec les rênes, leur faisant décrire un court demi-cercle, planta la charrue étince- lante dans le chaumes et mania le fouet. L'attelage tira sur place avec tant de force que les palonniers7D en grincèrent. Et il continua à labourer la grande bande de terre qui se déroulait en pente douce jusqu'au village. Des corneilles11 suivaient dans les sillons, piquant la terre du bec. Le poulain bail'', qui broutait le long de la lisière, bondissait sans cesse avidement vers la jument, happant vers les tettes maternelles. - Ne voudrait-il pas encore téter? grommela =Victor en le cinglant sur les pattes, si bien qu'il leva la queue et fit un bond de côté. Mais les chevaux allaient de plus en plus lentement; ils allaient tout couverts d'écume. Lui aussi, bien qu'il n'eût que son pantalon de toile blanche et sa chemise, il avait le visage baigné de sueur et les mains engourdies de fatigue, si bien qu'il cria joyeusement en apercevant sa sueur - Tu viens à point nommé, nous sommes à bout de souffle. Il mena son sillon jusqu'à la forêt, détela les chevaux, les débrida en les lâchant sur le chemin herbu en bordure des arbres, puis il se jeta lui-même à l'ombre et se mit à puiser dans le panier comme un loup affamé. Comme =Petit-Aîné ne répondait pas, elle ajouta : - Tu es un bon petit garçonnet; tu n'as jamais maltraité personne, ni les oiseaux qui viennent becqueter ton pain, ni les vieux qui, pour leur hiver, ramassent les éclats de bois que ton père fait avec sa hache. Puisque tu aimes les oublies, je veux bien t'apprendre comment les fées s'en approvisionnent. Elle prit la main de =Petit-Aîné, et, par les grimpettes qui vont montant, par les raidillons qui dévalent', tous deux arrivèrent bientôt dans un coin du bois où les branches dépouillées laissaient luire le bleu du ciel et où la mousse disparaissait sous un tapis de feuilles mortes. Et ces feuilles mortes craquaient comme des oublies quand on les croque, et il semblait qu'à leur parfum mouillé se mêlât une appétissante odeur de gâteaux frais sortis du four. - Ne sommes-nous point arrivés? - Si, =Petit-Aîné, nous y sommes. Alors, s'étant mise à genoux, la fillette remplit de feuilles mortes son tablier. - Goûte celle-ci, elle est à point : dorée et recroquevillée'. - C'est fin et doux, fit =Petit-Aîné. Puis comme il avait excellent coeur, il ajouta - Si vous voulez bien le permettre, je vais jeter les châ- taignes de mon sac et le remplir d'oublies pour Cadette. ma sceur, qui va bientôt sur ses six ans et n'a jamais mangé de si bonnes choses. Or, pendant que =Petit-Aîné remplissait le sac, sa petite amie disparut, le, laissant à son réveil - car sans s'en douter il avait dormi - tout penaud au milieu des bois avec un sac de feuilles. C'étaient bien des feuilles, hélas! et quand il voulut ygoûter, elles n'avaient plus le même goût. =Renard et =Pinçard le héron. A petits sauts, =Renard longe une rivière. Sur sa gauche, à l'ombre d'un saule, il observe maître =Pinçard le héron, qui pêche : il plonge son bec dans l'eau, et saisit les poissons, comme avec une pince. Renard baisse la tête et cherche une ruse nouvelle. Alors il arrache de ses dents les roseaux plantés au bord de l'eau; il lance dans le courant une grande brassée verte qu'il laisse filer vers =Pinçard. Le héron dresse la tête, cesse de pêcher et recule avec prudence. - Ah bon! c'est seulement un paquet de roseaux! Il repousse la brassée et retourne à sa pêche. =Renard rassemble une autre brassée et lance les roseaux qui flottent au fil de l'eau; le héron saute encore en arrière; puis il approche, il touche les plantes; des pieds et du bec, il retourne le paquet de roseaux - Toujours la même chose! Et il retourne à sa pêche. =Renard surveille bien les mouvements de =Pincard. Le héron est tranquillisé à présent. Parfait! =Renard arrache alors une grande quantité de roseaux qu'il amasse en paquet; il pousse le tout à l'eau et se couche sur la verdure. Les roseaux sont légers, ils flottent et portent =Renard; il enveloppe son corps de feuilles, et bien embusqué dessous il glisse au fil de la rivière. Le courant pousse =Renard vers le pêcheur qui regarde sans inquiétude la nouvelle brassée de roseaux. Et voici maître =Renard tout près du héron : il plante ses crocs dans le cou de Pinçard qu'il étrangle, puis il retourne vers son château de =Malpertuis. La troupe de =Vitalis. - Ainsi, c'était le lendemain que je devais faire mes débuts dans la troupe de Vitalis. Les chiens et Joli-Cceur, notre singe, avaient sur moi le grand avantage d'être habitués à paraître en public, de sorte qu'ils virent arriver le lendemain sans crainte. Pour eux, il s'agissait (le faire ce qu'ils avaient déjà fait cent fois, mille fois peut-être. Mais, pour moi, je n'avais pas leur tranquille assurance. Que dirait Vitalis, si je jouais mal mon rôle? Que diraient nos spectateurs? 2. - Le lendemain donc, nous quittâmes notre auberge pour nous rendre sur la place où devait avoir lieu notre représentation. Vitalis, le chef de la troupe, ouvrait la marche, la tête haute, la poitrine cambrée, et il marquait le pas des deux bras et des pieds en jouant une valse sur un fifre en métal. Derrière lui venait Capi, notre gros chien, sur le dos duquel se prélassait =MJoli-Cceur, en costume de général anglais, habit et pantalon rouges, avec un chapeau à plumet. Puis s'avançaient Zerbino et Dolce, les deux autres chiens. Enfin, je formais la queue du cortège. ce qui mieux encore que notre défilé provoquait l'attention, c'étaient les sons perçants du fifre qui allaient jusqu'au fond des maisons éveiller la curiosité des habitants. On accourait sur les.portes pour nous voir passer, les rideaux de toutes les fenêtres se soulevaient rapidement. Quelques enfants s'étaient mis à nous suivre, des paysans ébahis s'étaient joints à eux et, quand nous fûmes sur la place, nous avions derrière nous et autour de nous un véritable cortège - Notre salle de spectacle fut bientôt dressée; elle consistait en une corde attachée à quatre arbres de manière à former un carré long au milieu duquel nous nous plaçâmes. La première partie de la représentation consista en différents tours exécutés par les chiens. Vitalis avait abandonné son fifre et l'avait remplacé par un violon, au moyen duquel il accompagnait les exercices des chiens, tantôt avec des airs de danse. tantôt avec une musique douce et tendre. La foule s'était amassée contre nos cordes, et, quand je - Ne vois-tu pas qu'il fait jour? Elle est repartie. Il fallait t'éveiller plus tôt. Elle était là, près de ta joue. Tu aurais pu la prendre dans ta main. Il m'a répondu « La prochaine fois, tu la mettras dans une boîte. Elle ne pourra plus s'en aller. » - J'ai encore fait ce qu'il voulait. Nous avons une petite boîte. « Ne l'ouvre pas, lui-dis-je. L'étoile s'échapperait. » Il tourne la boîte et la retourne. « Elle ne pèse pas beaucoup, ton étoile! » Mais il est très fier de son trésor. Il a dit en confidence à la vieille cuisinière : « Chut! J'ai une étoile. - Gardez-la bien! - Si j'ouvrais cette boîte, la nuit, m a chambre en serait tout éclairée. Mais il ne faut pas qu'on le sache. Si le bon Dieu s'apercevait qu'il lui manque une étoile, ce serait un beau tapage! Il plumerait deux ou trois anges, et vous penseriez qu'il neige. - Nous l'emporterons en vacances, rn'a-t-il dit. - Tu veux la mettre aux bagages? - Oh! non. Je la garderai dans le wagon, près de moi. Si le contrôleur savait que j'emporte une étoile! Peut-être qu'on pourrait un peu ouvrir la boîte dans les tunnels? » - Maintenant, son étoile l'inquiète. Si ce n'était pas une vraie étoile? Il a ouvert la boîte. Pas d'étoile l Il pleure. « Mais si! lui dis-je; je l'ai à peine vue, mais je l'ai vue. Elle a filé dès que tu as soulevé le couvercle. Tiens, regarde au-dessus du marronnier : elle monte! » Il écarquille ses yeux, pleins d'espoir et de larmes. « Tu ne peux plus la voir, lui dis-je. Elle est trop loin. Regarde le ciel : elles y sont toutes et nous n'en apercevons aucune. Ahl s'il faisait nuit! je t'en attraperais une autre. 1 Le bain interrompu. - J'avais alors dix ans. Un jour que j'étais assis au pied d'un hêtre, je m'endormis, la tête posée sur mon bras. =iViais à peine étais-je assoupi, que je fus réveillé par une douleur vive j'y portai la main et je pris une grosse fourmi fauve; en mème temps je sentis une infinité d'autres piqûres dans toute les parties du corps. Je me déshabillai vivement, et, avant secoué mes vêtements, j'en fis tomber toute une fourmilière; mais je ne fus lias pour cela guéri des pigères que ces maudites bêtes m'avaient faites. Naturellement, plus je me grattais, plus la douleur s'irritait. - J'étais à proximité d'une rivière. Il me sembla que je souffrirais moins si je prenais un bain. En quelques seco-ides je fus complètement déshabilléz et je me jetai è l'eau. Je serais resté là plusieurs heures, tant le froid de l'eau m'était agréable, si tout- à coup je ne m'étais entendu interpeller par une voix partant précisément de l'endroit où j'avais laissé mes vêtements. Ah! brigand, je te prends encore à te baigner là! ch bien, cette fois, tu viendras chercher tes habits à la mairie. » - Mes habits! mes habits à la mairie! c'est-à-dire mes habits d'un côté et moi de l'autre, je n'en pouvais croire mes oreilles. Stupéfait, je regardai qui me parlait ainsi : c'était un petit homme gros et gras, qui, du bord du chemin, me montrait le - La mort du lion. - Le lion se leva et fit quelques pas pour venir à notre rencontre. « Visez bien, camarades, nous dit Rouvière, un genou à terre, visez bien, et au commandement de trois, feu! Attention. une, deux, trois!... » Une décharge générale eut lieu et nous saisîmes d'autres armes des mains de nos esclaves. Le lion avait fait un bond terrible presque sur place, et des flocons de poils avaient volé en l'air. poussait des rugissement brefs et entrecoupés de longs soupirs, sa queue battait ses flancs avec une violence extrême, sa langue rouge passait et repassait sur les longues soies de sa face ridée, et deux prunelles fauves et ardentes roulaient dans leur orbite. Pas un de nous ne soufflait mot, mais pas un de nous ne perdait de vue le redoutable ennemi, qui en avait vingt-cinq. à combattre. « N'est-ce pas, disait tout bas Bouvière, en tournant rapidement la tête vers nous comme pour juger de notre émotion, n'est-ce pas que le coeur bat vite? Du courage! nous en viendrons à bout.» - Mais le sang du lion coulait en abondance et rougissait la terre autour de lui. « Allons! allons continua tout bas l'intrépide Bouvière, une nouvelle décharge générale. Il faut que tous les coups portent à la tête ou près de la tête. tâche donc d'être plus honnête avec =Jean-Pierre. Tu n'as pas toujours été malin pour raboter une planche et pour enfoncer un clou; ça ne t'est pas venu tout seul. Il t'a fallu des années et des années.. S'il avait fallu attendre sur toi pour inventer les chevilles, on aurait attendu longtemps. Je te défends d'être grossier années.... S'il avait fallu attendre sur toi pour inventer les chevilles, on aurait attendu longtemps. Je te défends d'être grossier villes, on aurait attendu longtemps. Je te défends d'être grossier avec l'apprenti; je ne veux pas de ça. Tu m'entends? » Malheureusement, le brave homme n'était pas toujours à l'atelier. - Cela dura un an de la sorte. Je n'étais pas encore bien adroit dans notre métier, mais, assez souvent, =MNivoi m'avait chargé de faire de petits meubles, et toujours il avait paru content. « C'est bien, =Jean-Pierre, disait-il, cela peut aller; il manque encore la dernière main. Voici des jointures qui ne sont pas assez serrées..., cette charnière est trop lâche, cette serrure a pris trop de bois. Mais, pour un apprenti. cela marche très bien. Naturellement, Jâry, ces jours-là, se montrait encore plus mauvais qu'à l'ordinaire; aussitôt le maître sorti de l'atelier, il tournait en moquerie ses compliments et traitait mon ouvrage tournait en moquerie ses compliments et traitait mon ouvrage de savate. On pense si j'étais indigné. - Au commencement de ma troisième année d'apprentis- sage, un soir, au moment de partir, =MNivoi me dit après avoir regardé mon travail : « Jean-Pierre, je suis content de toi, tu m'as déjà rendu de véritables services, et je veux te montrer ma satisfaction. Dis-moi ce qui peut te faire plaisir. » En entendant ces paroles, je sentis mon coeur battre. Et comme je restais là tout troublé, sans répondre; le père Nivoi me dit encore : « Hé, tu n'as jamais rien reçu de moi. =Jean-Pierre! Eh bien, voici pour toi! » Et en même temps, il tira de sa poche une grosse pièce de cinq francs qu'il fit sauter dans sa main. Le roi des casseurs d'assiettes. - J'étais très curieux et très gourmand, de sorte que je cherchais toujours à savoir ce qu'il y avait dans les plats que ma mère apportait de notre petite cuisine? Comme j'étais brusque et maladroit, il m'arrivait de casser tantôt une assiette, tantôt un saladier, tantôt un plat. Mon grand-père tournait un peu la tête, pas beaucoup parce qu'il commençait à avoir les mouvements un peu raides, et il me disait par-dessus son épaule : « Ce n'est pas malin, j'en ferais bien autant! » Et il riait de sa plaisanterie. Un jour, j'étais grimpé sur une chaise, pour voir de près un plat de nouilles qui sentaient terriblement bon. Patatras la chaise tombe d'un côté, moi de l'autre; je veux me raccrocher et j'entraîne avec moi le plat de nouilles, la grande soupière, et au moins une demi-douzaine d'assiettes. Cette fois, mon grand-père fit faire demi-tour à son fauteuil et me dit : « C'est absolument comme le colonel Max. » - Au bruit-de la vaisselle cassée, ma mère était accourue. Elle commença par s'assurer que je ne m'étais pas blessé dans ma chute; alors, elle se mit à faire des hélasl en levant les mains au plafond. Mon père, son marteau de cordonnier dans une main et une grosse botte dans l'autre, regardait par la porte entr'ouverte. Le singe cordonnier. - Il y avait une fois à Paris un joyeux savetier nommé =Blondeau, qui réparait les souliers et gagnait sa vie gaiement. Du matin au soir il chantait et réjouissait tout le voisinage, On dit que, de toute sa vie, il ne fut jamais vu triste qu'une fois : ce fut lorsqu'un monsieur qui demeurait vis-à-vis sa logette acheta un singe. Ce singe faisait mille maux à ce pauvre =Blondeau. Il l'épiait aiguisant son tranchet, taillant son cuir, et, aussitôt que le savetier était allé dîner, il descendait dans l'atelier, prenait le tranchet, et découpait le cuir comme il avait vu faire. Le pauvre =Blondeau n'osait aller boire ni manger hors de son atelier sans enfermer son cuir. Et si, par malheur, il oubliait de tout fermer, le singe n'oubliait pas de tailler le cuir en morceaux,ce qui mettait =Blondeau dans des colères folles. Quand il en eut assez d'être ennuyé, il résolut de se venger. - Il observa attentivement les gestes du singe, et s'aperçut que l'animal imitait tout ce qu'il voyait faire. =Blondeau aiguisait-il son tranchet ou son alène, le singe l'aiguisait après lui; enduisait-il son fil de poix, ainsi faisait le singe. =Blondeau alors aiguisa un tranchet et le fit couper comme un rasoir. Puis, quand il vit le singe aux aguets, il se mit le tranchet contre la gorge, et le mena et le ramena comme s'il eût voulu s'égorger. Quand il eut fait ce manège assez longuement pour que le singe s'en aperçût, il quitta sa boutique et s'en alla dîner. - Le singe ne perdit pas de temps pour descendre. Il prit le tranchet, se le mit contre la gorge, le menant et le ramenant, ainsi qu'il avait vu faire à =Blondeau. =Zazou n'aime pas le veau. - Quand =Bernard avait dix-huit mois, il appelait ses crayons des « tiotios ». Zazou les appelle des « gazons ». De rectification en rectification, tiotio a redonné crayon; « gazon » fera de même. Tout rentrera finalement dans l'ordre. A la suite de son frère, Zazou vient de contracter l'étrange maladie qui consiste à dire, de chaque plat qu'on lui présente « J'aime pas ça. » Il reçoit donc quelques bouchées de veau et s'écrie : « J'aime pas ça - Mange donc, c'est du veau. - J'aime pas le veau. - Mais c'est du bon veau. - J'aime pas le bon vea. Maman intervient, prend l'assiette, ajoute un peu de jus, coupe les trop gros morceaux, émiette du pain et replace le tout sur la petite table. J'aime pas le veau. Ce n'est pas du veau, c'est du chien. - Ah! bon. » Et il mange. Il a bon appétit; Il est satisfait. Il est en train de manger du chien, et c'est rudement bon. - Pendant qu'on apprend à parler, profitons de l'occasion pour apprendre à compter. Les débuts sont durs. =Bébé s'en tire comme il peut. Il déclare : « Je viens chercher des bonbons. Donne-moi-z-en pour nous tous. . - Combien? - Un, un, un et un. » C'est assez clair, mais ce n'est pas encore de véritable arithmétique. - Alors, il apprend à compter sur les doigts. Quand on lui demande son âge, l'âge de =Robert, il montre, avec assez d'exactitude, un plus ou moins grand nombre de doigts. Une main y passe, puis l'autre. Et tout à coup, les choses se compliquent « Quel est l'âge de =Jacqueline? » Il rêve une seconde et répond « Ah! pour =Jacqueline, il faut un petit doigt de pied. » - 'Coup double. - Un jour, à l'éblouissement de Poum et de Zette, le jeune César Biolle retira d'un étui de toile, non un parapluie, mais une mignonne carabine, et invita les deux enfants à l'accompagner à la chasse dans le petit bois, près du jardin. Ils jugeraient de son adresse. L'essentiel était qu'il y eût du gibier. Y en avait-il? Zette avait entendu parler de lapins. Des lapins? Un chevreuil, un cerf eussent mieux fait son affaire. Mais, faute de grive. - Tout à coup, =MCésarBiolle sursaute, trébuche; clac! c'est le coup qui part, à deux pouces de la tête de =Poum, et =MCésarBiolle, très pâle, puis très rouge, murmure des sons incompréhensibles : comment son fusil est-il parti tout seul? gâchette? accident! C'est votre faute, petit imprudent! criet-il à =Poum; vous ne devez pas marcher à côté d'un chasseur. Tenez-vous derrière, à trois pas au moins » - Précipitamment, =Zette et =Poum se dissimulent derrière =Turc, le chien, inquiets. Ce n'est pas amusant du tout, cette chasse! D'abord, il n'y a pas de gibier. Mais voici =MBiolle qui s'arrête Tenez, dit-il, vous voyez ce gros champignon? Je vous parie que je. le foudroie du premier coup! » Et il s'avance encore d'un bon pas, ce qui raccourcit à trois mètres la distance; s'il ne l'attrape pas! Longuement, il épaule. - =MBiolle n'a pas manqué le but. Le champignon énorme l'a reçu, en plein l Il verdit, rougit, s'affaisse, se boursoufle. Bien plus, il gémit à petits cris, il pleure! Quel est ce miracle? - =MBiolle, =Zette et =Poum s'approchent, les uns derrière les autres; on a déchaîné =Turc, qui pourra les défendre au besoin. Là, derrière le hideux champignon effondré, cette chose grise qui palpite, du poil saignant, deux longues oreilles, dont une rabattue, comme cassée. Quelle bête étrange ! Un lapin ! Oh ! puissance du hasard !